[Sécheresse] Les arrêtés pleuvent, et ?
Cinq ans que, dans les Alpes, les restrictions d'eau s'enchaînent comme les arrêtés préfectoraux. Avec quels effets sur la ressource ? On n'en sait manifestement toujours rien...
On voit mal comment on pourra y échapper. Pour la cinquième année consécutive, on devrait donc aller tout droit vers une nouvelle sécheresse. Depuis 2018, les arrêtés et les mesures de restriction se suivent dans la région, et ce une bonne partie de l’année, d’avril à octobre. L’Ardèche, la Drôme, la Haute-Savoie sont touchées. La Savoie aussi qui, le 15 juin a elle aussi basculé en état d’alerte sur la quasi-totalité de son territoire, que ce soit pour les eaux souterraines ou les eaux superficielles. Le 16 juin, c’était au tour de l’Isère de pousser les feux à l’orange – le rouge est réservé à l’alerte renforcée – sans attendre la réunion du prochain comité départemental de l’eau, prévu le 24 juin.
Le problème est qu’à part sonner l’alerte, signer des arrêtés préfectoraux, départementaux puis inter-départementaux pour mieux prendre en compte des masses d’eau qui se fichent des limites administratives – arrêtés censés encadrer et limiter l’utilisation de l’eau – il ne se passe pour l’instant pas grand-chose de très concluant. Quels effets ont ces mesures sur la ressource ?
« Pour les eaux superficielles, certaines restrictions sont strictes pour la préservation des milieux et leur efficacité est avérée », avaient répondu les services du préfet de l’Isère sollicités à ce sujet en 2020. « Pour les eaux souterraines, l’efficacité des restrictions sur les nappes phréatiques reste moins perceptible ».
« La difficulté d’appréciation de ces contrôles pour un regard extérieur réside dans la connaissance fine de la ressource utilisée. En effet, suivant les situations, un prélèvement en nappe affleurante ou en nappe profonde, un prélèvement dans un cours d’eau ne seront pas soumis aux mêmes restrictions, même si l’utilisation finale de cette eau prélevée peut sembler être la même ».
Limpide ? Le problème est qu’il n’existe visiblement pas d’évaluation de ces mesures, comme le déplorait le Conseil d’Etat dans son rapport L’eau et son droit publié en 2010.
« L'efficacité des mesures prises n'est généralement jamais évaluée, pointait le rapport. Les préfets n'étant pas capables de gérer finement les volumes prélevés, ils recourent par commodité à des mesures globales telles que les tours d'eau et les interdictions d'arroser d'un à quatre jours par semaine, mais ces mesures, en apparence plus faciles à contrôler qu'un volume de prélèvement, se prêtent à des contournements aisés et, si elles semblent mieux respectées que les autres catégories de mesures prises au titre de la police des eaux, sont finalement peu efficaces et peu sanctionnées ».
Dix ans plus tard, pas grand-chose n’a changé. Dans un rapport publié en 2019, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) déplorait le manque de connaissance des prélèvements.
Car si l’objectif est bien de mieux mailler le territoire et l’équiper de stations de mesure, il reste encore des trous dans le filet. Dans certaines régions, les connaissances sont encore très lacunaires. Il n’y a par exemple que peu de mesures du côté de l’Îsle-Crémieu dans le nord-ouest du département de l’Isère. Dans le Trièves, ce n’est pas très fourni non plus, pas plus que dans la Chartreuse. Alors, connaitre l’impact des restrictions...
« La mission a systématiquement interrogé ses interlocuteurs pour savoir s’ils avaient réalisé des études – ou en avaient simplement une connaissance – permettant d’apprécier l’efficacité du dispositif de gestion des étiages. La quasi-totalité nous a répondu par la négative. La mission IGE (Inspection générale de l’environnement, en 2016, ndlr) avait également abordé cette question sans pouvoir y répondre ».
En 2019, la Dreal de Bourgogne Franche Comté s’était attelée à l’exercice.
« Les mesures peuvent impacter au maximum 1 % des prélèvements d’eau potable des particuliers en été, contre 2,5 % pour les prélèvements des collectivités. Concernant l’agriculture, il a été possible d’estimer l’efficacité maximum de ces mesures à environ 6 % à la condition d’une interdiction totale de l’irrigation ».
Mais si ses conclusions sont sans appel, c’est aussi parce que le manque de données conduit vraisemblablement à sous-estimer l’efficacité des mesures de restriction, nuancent les rapporteurs. Résultat, aujourd’hui encore, on ne sait pas grand-chose en la matière.
C’est tout aussi flou du côté des contrôles et potentielles sanctions. Combien de procès-verbaux ont été dressés ? A cette question, les services préfectoraux n’ont pas répondu. Tout juste sait-on que les contrôles sont assurés par les agents de l’Office français de la biodiversité dont les moyens sont particulièrement chiches. À l’occasion de la venue d’Emmanuel Macron à Chamonix en 2020, le syndicat national de l’environnement fustigeait un « office aux grandes ambitions politiques », mais « sans moyens à la hauteur des ambitions. Une Ferrari avec un moteur de 2 CV ! ».
Deux ans plus tard, et l’accord-cadre qui sert de base aux arrêtés re-patine, malgré un louable effort de rationalisation et de coordination des pouvoirs publics salué par de nombreux interlocuteurs, on patauge toujours en eaux troubles. « Le contrôle du respect des restrictions en période de sécheresse est également bien identifié comme prioritaire dans le plan de contrôles inter-services eau et nature 2022 et le nombre de jours prévisionnels a été dimensionné en prévision d'une année sèche », nous répondent les services de la préfecture de l’Isère contactés il y a quelques jours. « Tous les services sont mobilisés sur cette thématique ». On est rassuré.
Alors, certes, les mesures de restrictions ont été adaptées (sans plus de précisions) « pour tenir compte de la réglementation nationale publiée en 2021, qui elle-même place l'adaptation au changement climatique au cœur de ses objectifs ». Certes, le distinguo a été fait entre les “petits” cours d’eau et les grands. Certes, côté communication, le site internet du suivi de la sécheresse a fait peau neuve en 2022.
Mais, si l’on a droit à un nouveau cadre réglementaire, on reste bel et bien dans la gestion de crise quand de plus en plus de voix s’élèvent pour des mesures de fond, structurelles. D’autant que les sécheresses sont parfaitement prévisibles. « Dès qu’un manque de précipitations hivernales survient, comme ce fut le cas début 2022, nous nous retrouvons face à une situation précaire vis à vis de la ressource en eau », souligne Florence Denier Pasquier, spécialiste de l’eau à France Nature Environnement.
En attendant, il est fort à parier que les alertes et les arrêtés préfectoraux qui se multiplient, force relayés par les médias à la virgule près, ne changeront pas grand-chose à la situation.
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