[ Fraude fiscale ] UBS, Union des Brouzoufs Soustraits (au fisc)
Le jugement en cassation de la banque suisse sera prononcé le 15 novembre. Retour sur cette affaire d'évasion fiscale ainsi que sur la nature, la fonction et le statut des lanceurs d'alerte.
“C'est au moment de payer ses impôts qu'on s'aperçoit qu'on n'a pas les moyens de s'offrir l'argent que l'on gagne.” - Frédéric Dard
UBS, première banque de gestion de fortune au monde au moment des faits, a été condamnée en première instance en février 2019 à 4,5 milliards d’euros d’amende pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illégal effectué en France entre 2004 et 2012. Amende réduite à 1,8 milliard d’euros en appel en décembre 2021. La banque zurichoise s’est pourvue en cassation. La Cour de cassation rendra son arrêt le 15 novembre prochain. Si le jugement est cassé, retour en appel.
La condamnation d’UBS est un fait unique puisque d’autres établissements financiers, comme HSBC, ont bénéficié du régime des conventions judiciaires d’intérêt public de la loi Sapin II votée après le scandale Cahuzac, ministre de François Hollande qui disposait d’un compte secret chez UBS sur lequel des sommes furent notamment versées “clandestinement” par le laboratoire pharmaceutique Pfizer pour financer les activités politiques du courant rocardien du PS.
La convention judiciaire d’intérêt public est une procédure transactionnelle s’appliquant aux personnes morales (sociétés, associations, mutuelles etc.) par laquelle les poursuites pénales sont éteintes contre le versement au Trésor public d’une amende, l’obligation de mettre en place un programme de conformité à la loi et de réparer le préjudice causé.
La convention judiciaire d’intérêt public, c’est pratique. Plaie d’argent n’est pas mortelle. Ça évite aux entreprises les procès, pas bons pour l’image. Et les vrais responsables, les commanditaires et dirigeants, sont rarement poursuivis. Seuls les lampistes trinquent. Six à 12 mois avec sursis et quelques dizaines de milliers d’euros d’amende dans le cas d’UBS. On met rarement les banquiers au coffre.
Sauf peut-être aux Pays-bas – qui sait? – où Ralph Hamers, PDG d’UBS jusqu’en avril dernier, est poursuivi depuis 2020 pour blanchissement alors qu’il dirigeait la banque néerlandaise ING. Intéressant de constater qu’ING, elle, n’est pas poursuive. Il vient d’être remplacé par son prédécesseur Sergio Ermotti, qui avait dirigé UBS de 2011 à 2020, de retour pour gérer l’absorption de Crédit Suisse, sauvée de la faillite par l’Etat suisse. Chaises musicales et resserrage des rangs dans la Confédération.
L’un des principaux lanceurs d’alerte du volet français de l’affaire UBS (il y en a eu trois ainsi qu’un témoin sous X), Stéphanie Gibaud, nous a accordé une longue interview. Nous vous engageons à vous procurer ses deux livres, La femme qui en savait trop (Cherche Midi) et La traque des lanceurs d’alerte (Max Milo).
Qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? Vaste et épineuse question. Quelle différence avec une source, un informateur ou un témoin ? Un lanceur d’alerte est-il une personne qui met sur la place publique par voie de presse des faits graves que l’on cherche à dissimuler? Est-ce quelqu’un qui signale ces faits aux autorités compétentes tout en restant dans l’ombre ? Est-ce forcément quelqu’un qui bénéficie d’une forte exposition médiatique et qui accomplirait ainsi une mission d’intérêt général ? Peut-on s’autoproclamer lanceur d’alerte ? Peut-on lancer l’alerte et, si les informations et documents visant des faits graves ont été recueillis illégalement, bénéficier automatiquement de l’irresponsabilité pénale ? Un lanceur d’alerte peut-il être rémunéré pour avoir tiré sur le cordon de la sonnette ?
Le phénomène politico-social qu’est le lanceur d’alerte trouve son origine aux Etats-Unis où furent codifiés à partir des années 1970 par la jurisprudence puis par la loi sa nature, sa fonction et son statut.
Daniel Elsberg, décédé cette année, fut le premier lanceur d’alerte au sens contemporain du terme. Il a transmis en 1971 au New York Times et au Washington Post les Pentagon Papers, une étude de 7 000 pages en 47 volumes qui analysait les relations entre les USA et le Vietnam de 1945 à 1967, commandée par Robert McNamara, secrétaire à la défense américain sans discontinuer de 1961 à 1968 (donc sous JFK et Lyndon B. Johnson). Cette étude mettait en lumière les processus de prise de décision et de planification qui menèrent à l’engagement militaire catastrophique des Etats-Unis. La réponse de l’Etat fédéral américain, sous le premier mandat de Richard Nixon, fut de censurer le New York Times et le Washington Post, censure rapidement interdite par la Cour suprême.
C’est la publication des Pentagon Papers qui poussa Richard Nixon à créer les “plombiers” de la Maison Blanche, une équipe de barbouzes anciens de la CIA et du FBI, qui eurent pour première mission d’aller cambrioler le bureau du psychanalyste de Daniel Elsberg afin d’y subtiliser son dossier de patient dans le but de le discréditer. Ce furent ces mêmes plombiers qui s’introduisirent par effraction durant la campagne présidentielle de 1972 dans les bureaux du Comité national démocrate, situés dans l’immeuble du Watergate à Washington, pour y poser micros et bretelles téléphoniques. Plombiers qui furent pris le pantalon sur les chevilles par la police de Washington. C’est la dissimulation à grands coups de manœuvres obliques et d'’argent noir pendant deux ans de cette opération commanditée par Nixon en personne qui précipita le scandale du Watergate, qui mena à la démission en 1974 du 35e président des Etats-Unis.
Carl Bernstein et Bob Woodward, les deux journalistes du Washington Post qui révèrent l’affaire dans une enquête au long cours, bénéficièrent d’informations et d’indications précieuses de leur fameuse source “gorge profonde”, dont l’identité fut conservée secrète jusqu’à ce que “gorge profonde” la révèle elle-même en 2005. Il s’agissait de Mark Felt, alors n°2 du FBI. Ce qui laisse penser à certains historiens que si les actes de Nixon étaient bien délictueux, il y aurait eu une manipulation savamment orchestrée pour que le président des Etats-Unis s’enferre dans son opération de dissimulation. Mark Felt avait été candidat à la succession de J. Edgar Hoover à la tête du FBI en 1972. Nixon lui avait préféré Patrick Gray, un haut fonctionnaire du département de la justice…
Plus proche de nous, il y a bien sûr Julian Assange, le fondateur de Wikileaks. Arrêté et emprisonné au Royaume Uni, son traitement est contraire à à peu près toutes les dispositions protégeant le journaliste qu’il est - d’autant qu’il n’a commis aucune infraction sur le territoire américain. L’attitude de la France, “pays des droits de l’Homme” qui refuse de lui accorder l’asile, n’est pas à son honneur.
Julian Assange a publié les milliers de documents secrets transmis par Bradley Manning, prouvant des crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak.
Il publia également une longue série de documents montrant la corruption d’Hillary Clinton et les crimes qu’elle avait commis en échangeant sur un serveur courriel privé non sécurisé situé dans la cave de son domicile des milliers de messages contenant des informations et des documents classifiés alors qu’elle était la secrétaire d’Etat de Barack Obama. Crime plus grave que celui que l’on reproche à Donald Trump, celui d’avoir conservé des documents secrets dans ses archives après avoir quitté la Maison Blanche. Donald Trump est poursuivi. Hillary Clinton court toujours. Allez comprendre.
C’est cette mise en cause d’Hillary Clinton en 2016, année de l’élection qu’elle perdit face à Donald Trump, bien plus que la mise à jour des crimes de guerre américains, qui vaut à Julian Assange son traitement inadmissible.
Edward Snowden balança en 2013 au journaliste Glenn Greenwald tous les détails du système de surveillance de masse, y compris des citoyens américains, institué par l’Etat fédéral et ses agences de renseignement. Une alerte d’un magnitude plus importante que celle de Daniel Elsberg en 1972 (à lire à ce sujet le dossier en 13 parties de Jacob Siegel, originellement paru dans Tablet Magazine et traduit par nos soins). Edward Snowden est aujourd’hui réfugié en Russie.
Récemment, les mésaventures judiciaires de la journaliste de Disclose Ariane Lavrilleux (dont nous nous sommes fait l’écho) qui a passé 48 heures de garde à vue et risque une mise en examen, nous rappellent que le secret des sources n’est pas absolu et qu’une infraction (en l’espèce avoir détenu des documents classés sans habilitation) a peu de chance de ne pas avoir de conséquences quand bien même les informations publiées seraient d’intérêt public.
Autre cas récent et édifiant, celui du lanceur d’alerte des “Football Leaks”, Rui Pinto. Bien que son statut de lanceur d’alerte a été confirmé par la justice, il a écopé de quatre ans de prison avec sursis pour avoir mal acquis en procédant à des intrusions informatiques (hacking) et à des vols de documents les informations explosives qu’il a mis sur la place publique. Une bonne action ne rachète pas les mauvaises qui l’ont rendue possible.
Un lanceur d’alerte encourt donc des risques très importants. Risques judicaires et physiques, menaces, intimidations, harcèlement, perte de liens (amis, famille), impossibilité de retrouver du travail. Bref, la mort sociale.
Décider de lancer l’alerte doit donc être une décision mûrement réfléchie, d’autant que le lanceur d’alerte ne pourra pas compter sur le soutien éternel de la presse, pour une raison aussi simple que brutale : ce n’est pas lui le sujet, ce n’est pas lui l’histoire. Il n’est que le messager. Une fois l’histoire ne faisant plus la Une, il sera jeté comme un Kleenex usagé.
La définition française officielle, légale, du lanceur d’alerte est la suivante : “Un lanceur d'alerte est une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général. Il peut également s'agir d'une violation (ou une tentative de dissimulation de cette violation) d'un engagement international de la France.”
Nous aurons l’occasion de revenir sur les aspects juridiques du lancement d’alerte dans un volet ultérieur de notre enquête.
Retour à UBS et l’évasion évasion fiscale à grande échelle qu’a organisée en France cette vénérable banque suisse.
Les faits que Stéphanie Gibaud nous a rapportés lors de cette interview sont troublants. Chronologies concordantes qui ne peuvent être des coïncidences, vrai-faux lanceur d’alerte américain, opération de déstabilisation du système bancaire suisse et européen dans le contexte de la crise des subprimes, service judiciaire de Bercy qu’elle suspecte d’avoir utilisé des méthodes tangentes etc. Du John le Carré ou bien un mauvais roman de gare ? Enquête.
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