Homicide routier : la loi pour occuper les médias
Après le délit d’alcoolémie à la chasse, voilà une nouvelle absurdité sortie du chapeau par le gouvernement à seules fins de communication, qui ne change rien à l'affaire.
Un homicide consiste à ôter la vie à un être humain. Il peut être volontaire. C’est un meurtre. Il peut être volontaire et prémédité. C’est un assassinat. Il peut être involontaire, c’est alors un homicide … involontaire.
Les coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner tombent dans la catégorie de l’homicide involontaire. Un poivrot au volant qui tue quelqu’un commet également un homicide involontaire, parce qu’en conduisant en état d’ivresse, il ne visait pas à tuer quelqu’un. L'ébriété est alors la circonstance aggravante qui distingue l’accident de l’homicide.
L’idée même d’un homicide routier est absurde, puisque ce n’est pas l’instrument – un véhicule – qui caractérise l’infraction mais le résultat – la mort d’un homme. Tout comme un assassinat n’est pas défini par son moyen – arme à feu, arme blanche, strangulation, chandelier dans la bibliothèque etc. – à l’exception , à notre connaissance, de l’empoisonnement, forcément prémédité.
La justice ne fait pas œuvre de catharsis, même si elle prend en compte les victimes constituées en partie civile et s’attache à ce que tout préjudice soit réparé. Elle juge des faits dans l’intérêt de la société au nom du peuple français.
Bref, avec le “nouveau” délit d’homicide routier, le gouvernement comme toujours s’attache à renommer ce qui existe déjà (l’homicide involontaire) pour faire croire qu’il agit. Ainsi, les peines encourues restent elles inchangées.
Alors que l’inflation législative n’en finit pas et que les arguties juridiques se multiplient et viennent alourdir la charge d’une justice qui depuis longtemps a atteint son point de rupture, nous re-publions l’interview de Jacques Dallest, ancien procureur général de Grenoble. “Si on met de l’autorité publique partout, c’est le début du totalitarisme" nous déclarait-il.
Jacques Dallest : " Si on met de l’autorité publique partout, c’est le début du totalitarisme"
Magistrat pendant quarante ans à Ajaccio, Marseille, Chambéry ou Grenoble, Jacques Dallest revient sur la judiciarisation croissante de la société et la pénalisation d'infractions en tous genres.

Jacques Dallest a d’abord été juge d’instruction pendant dix ans avant de devenir procureur de la République. A Ajaccio notamment où il officiait lors de l’assassinat du préfet Erignac ou de l’affaire des paillotes. En Corse, il a aussi accompagné les débuts d’une autre affaire : celle du Crédit agricole qui s’était terminée par une magistrale relaxe générale. A Marseille, le magistrat a supervisé l’affaire Guérini avant de revenir sur ses terres natales des Alpes occuper le fauteuil de procureur général à Chambéry puis à Grenoble.
Tour à tour magistrat du siège et du parquet, Jacques Dallest est aussi l’auteur de plusieurs livres1 dont un essai consacré aux “cold case”, publié le 26 janvier 2023 aux éditions Mareuil, et à l’origine de la création du pôle dédié au aux crimes en série et non élucidés à Nanterre.
Aujourd’hui à la retraite, il revient dans un long entretien pour L’Eclaireur sur le fonctionnement de la justice. Pour Jacques Dallest, l’embolie générale, des tribunaux, des cours d’appel et cour de cassation, ne se résoudra pas sans s’attaquer à la racine du mal : l’explosion du contentieux due notamment à la pénalisation croissante d’infractions en tous genres.
L’Eclaireur Alpes - Les critiques et revendications sont récurrentes quant au manque de moyens de la justice en France. Comment s’explique ce sous-financement ? Peut-on voir une volonté politique de sous-financer la justice ?
Jacques Dallest - Même si les derniers gouvernements ont conduit à une augmentation assez sensible du budget, on court toujours derrière ce qui est nécessaire au fonctionnement normal de la justice. Est-ce qu’il faut y voir là une volonté des gouvernements de ne pas donner à la justice les moyens de travailler ? On peut en faire l’analyse. A la différence de certains pays, la place de la justice en France n’est pas si importante. Mais le problème est que l’on charge la barque d’énormément de contentieux.
Il n’y a pas 36 000 solutions. Pour résoudre la crise de la justice, soit vous augmentez les moyens mais de façon énorme, ce qui pose un gros problème budgétaire. Soit vous réduisez les contentieux. Je considère qu’il vaudrait mieux maintenant fermer les robinets, déjudiciariser et dépénaliser.
La grande tendance de ces cinquante dernières années est de créer des incriminations et infractions nouvelles, comme pénaliser l’alcoolémie à la chasse2. C’est la tendance de tous les parlementaires, de tous les exécutifs de ces cinquante dernières années : créer de nouvelles charges qui sont transférées au judiciaire dans tous les domaines, que ce soit les atteintes à l’environnement, la délinquance financière, la toxicomanie etc. Le juge est partout. Donc toutes les juridictions sont embolisées, la cour de cassation, les cours d’appel, les tribunaux…
Créer des infractions est facile. En sortir est plus difficile parce que certains en font leur fonds de commerce. Sans compter le fait que l’on voudrait qu’il n’y ait plus de mémoire judiciaire, qu’on rende imprescriptibles un certain nombre d’affaires.
Tout est pénal aujourd’hui, le sport, l’économie… On a ouvert les vannes du judiciaire là où à mon avis il faudrait plutôt les fermer et trouver d’autres modes de traitement, comme la médiation. Et comme en plus, mécaniquement la société française s’accroit, cela génère des contentieux supplémentaires. On n’en sort pas.
L’Eclaireur Alpes - Qu’est ce qui empêche toute marche arrière ?
Jaques Dallest - Vous vous heurtez au barreau qui ne veut pas trop qu’on déjudiciarise, comme avec le divorce par exemple. A certains organismes et associations, qui en font aussi leur cheval de bataille. Un procureur reçoit des plaintes de tous les côtés, sur des faits même anciens et il est sommé de les traiter. J’ai souvent fait le rapprochement avec l’hôpital. On dit que trop de gens viennent aux urgences pour un petit bobo ? C’est un peu pareil : il y a trop de gens qui vont en justice pour des petites choses.
Des pays ont posé des restrictions, en obligeant à la consignation d’une somme d’argent. En France, la justice est gratuite, quasiment. Ce qui prête le flanc à tout un tas de démarches en justice. Un accident par exemple, c’est du pénal, avec des procès très longs, et qui ne satisfont pas les familles.
Cette fascination pour le pénal existe depuis les années 70-80 et elle monte en puissance. En début d’année, on a pénalisé le harcèlement scolaire qui est devenu une infraction pénale. On croit qu’en pénalisant on va mettre fin à un phénomène ? Non. On offre des tribunes multiples. Et, derrière, on n’arrive plus à faire face au vrai contentieux où il y a des vraies atteintes aux valeurs sociales.
Il faut avoir en tête qu’en France, on a un système judiciaire qui n’est ni accusatoire comme dans les pays anglo-saxons, ni inquisitoire. Le juge a un rôle actif mais il est face à des parties qui ont aussi un rôle actif. Tout cela complexifie le système avec des instances qui se chevauchent, le juge des libertés et de la détention, le juge d’instruction, le parquet… C’est devenu assez opaque. D’ailleurs, Emmanuel Macron souhaite que l’on réforme la procédure pénale.
L’Eclaireur Alpes - C’est plutôt une bonne chose qu’il soit donné des moyens au justiciable de bien se défendre…
Jacques Dallest - C’est un signe de bonne santé démocratique. Le problème est d’arriver à concilier l’efficacité de la procédure, sa rapidité et le respect des droits des individus. Et là ce n’est pas si simple. Il ne faut pas oublier que la France est aussi insérée dans des textes européens, et notamment la Cour européenne des droits de l’Homme qui oblige aussi à un respect d’un certain nombre de droits.
On veut ménager la chèvre et le chou. Résultat, tout le monde peut s’en plaindre. Les enquêteurs qui trouvent que c’est trop compliqué, les avocats qui trouvent que les dossiers n’avancent pas, alors que les juridictions travaillent beaucoup. Il y a une conscience professionnelle mais c’est aussi un puits sans fonds.
Quand vous ouvrez une instruction pour qu’un juge aille au fond des choses, il y a aussi le risque d’enliser le dossier. Il y a donc des dossiers que l’on préfère traiter en préliminaire c’est à dire sans passer par un juge d’instruction, pour aller plus vite. Mais il n’est pas simple de faire comprendre au grand public que si une instruction peut être une garantie, elle peut aussi être une source de lenteurs. Le juge peut être muté, il a d’autres dossiers à instruire aussi.
La stratégie peut donc consister à ne pas ouvrir une instruction, ce que je l’ai fait dans l’affaire des PIP, les implants mammaires à Marseille. Il y avait 8 000 parties. On a fait une enquête préliminaire. En trois ans, les auteurs ont été jugés. Si j’avais ouvert une instruction, peut-être que l’affaire y serait encore. C’est un des maux de notre procédure en France : elle est trop longue.
Et puis confier l’affaire à un juge d’instruction, c’est une façon aussi de se laver les mains pour le procureur. Cela peut être une forme de facilité, mais le dossier peut s’enliser sans jamais sortir. L’instruction n’est pas une garantie de vérité.