
Le G7 est mort, vive le G7 Cancer
Alors que le G7 tourne à la farce, le groupe des sept s'attèle à la lutte contre le cancer dans un exercice dont les motivations très politiques rejoignent des intérêts très financiers.
Le G7 est mort ? Sa représentativité, sa légitimité et son utilité sont en berne ? L’isolement des sept économies les plus développées sur la scène internationale est de plus en plus patent ? Vive le G7 Cancer. L’annonce a été relayée sur la base d’un simple du communiqué de presse de l’Institut national du cancer à l’initiative de cet énième projet de coopération 1, et peu commentée.
Ainsi donc, les sept pays censément les plus “puissants” de la planète, qui tentent un nouvel sursaut guerrier à Hiroshima, se sont mis d’accord, dans un entre-soi à sept, pour mener bataille contre les cancers.
De prime abord, l’intention est louable. L’idée est de mieux partager les données, notamment pour ce qui est des cancers pédiatriques ou des cancers rares. Mais aussi de cibler les cancers de mauvais pronostics (cancers dont le taux de survie à cinq ans ne dépasse pas 25 %), de se concentrer sur les inégalités ainsi que sur les politiques de prévention. Sans que l’on sache trop ce que cela recouvre : dans prévention se trouve listé le dépistage…
Si l’idée est de davantage coopérer et mobiliser, sa matérialisation consiste en des conférences, des échanges et des groupes de travail. N’oublions pas que la fonction du G7, qui reste un club informel, a toujours été une fonction politique et financière mais aussi très tributienne. “L’endroit où on commente, pas celui où l’on décide”, comme le soulignait le géopolitologue Dominique Moïsi.
A quoi servira ce G7, et sa déclinaison cancer ? On peine à en voir l’utilité. Car en matière de lutte contre les cancers, les collaborations inter-hospitalières, transfrontalières (entre Lyon et Turin par exemple, non on ne vous parle pas de l’hypothétique ligne ferroviaire), européennes et internationales sont nombreuses et n’ont pas attendu le G7 pour se développer. A l’image du centre international de recherche sur le cancer (Circ) basé à Lyon, qui a d’ailleurs vainement demandé à y assister.
A quoi va bien servir ce G7 ? Et bien à pousser encore plus les feux sur l’innovation. En “oubliant” que les traitements '“anciens” utilisés dans près de 80 % des cas, vont de pénurie en pénurie, comme le soulignait Jean-Paul Vernant, professeur émérite d’hématologie et vice-président de la Ligue contre le cancer en 2021 sur France Info.
“Il y a vingt ans, il y avait 50 ou 60 pénuries par an. Actuellement, près de 2 500 sont recensés par l'Agence du médicament. Ces pénuries ne touchent que des médicaments qui sont dans le domaine public, des médicaments anciens qui existent depuis 20 ans, 30 ans, 40 ans, 50 ans. Ces traitements ne sont pas chers et les marges bénéficiaires pour les industriels sont peu importantes. Cela ne rapporte plus assez d'argent, contrairement aux innovations thérapeutiques qui, elles, ont des marges bénéficiaires énormes”.
Avec l’explosion des cas de cancer, la fuite en avant technologique et la course à l’innovation, boostés par l’essor des immunothérapies et de la génomique, ne fait que commencer.
En 2020, près de 20 millions de nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués dans le monde, dont 36 % en Europe et en Amérique du Nord. Le marché mondial des traitements du cancer, déjà le plus gros de l'industrie pharmaceutique, a en 2021 augmenté de 12 % sur un an, à 185 milliards de dollars. Un marché que se dispute une poignée de géants, poids lourds du secteur tels que MSD, Roche, Bristol Myers Squibb ou AstraZeneca. Et qui sera de plus en plus disputé. D’après l'institut de recherche Iqvia, ce marché devrait atteindre 307 milliards de dollars en 2026. En hausse de près de 70 %.
Résultat, en 2021, l'oncologie a battu son record du nombre d'essais cliniques et de nouvelles substances actives anticancéreuses autorisées à la vente. Des nouveaux traitements aux marges bénéficiaires énormes. Mais aussi chers, très chers. Le Keytruda, remboursé en France depuis 2017, coûte ainsi plus de 100 000 euros par an et par patient. Sans que les résultats soient à la hauteur. En Belgique, la moitié des patients sont décédés dans l'année suivant le début de ce traitement.
En 2020, le professeur David Khayat, l’inventeur du plan cancer en 2003, alertait sur l’explosion des coûts. “Aucune évaluation sérieuse n'a été faite depuis celle que j'avais sollicitée en 2007 lorsque je présidais l'Institut national du cancer et qui portait sur des données de 2004, regrettait-t-il dans Le Journal du Dimanche. Or le prix des médicaments s'envole. Le risque d'une médecine à deux vitesses est réel.”
En 2016, la Ligue contre le cancer avait demandé dans une pétition la baisse des prix des nouveaux médicaments lors de la prochaine réunion du… G7 au Japon. Elle n’était pas la seule à s’alarmer de cette flambée.
“Le régime de santé solidaire dont nous bénéficions en France met pour l'instant les patients à l'abri. Mais pour combien de temps? Et jusqu'à quel niveau d'inflation des prix?” soulignaient dans une tribune signée par 110 médecins les cancérologues Dominique Maraninchi et Jean-Paul Vernant.
“ Longtemps, l'industrie pharmaceutique a calculé le prix d'un médicament en fonction de l'investissement qu'elle avait consacré à la recherche et au développement (R&D) de celui-ci. Or, aujourd'hui, de façon paradoxale, les prix des nouveaux produits explosent alors que le coût de leur R&D a diminué. En effet, alors que les anciens traitements du cancer étaient souvent issus de longs et difficiles screenings plus ou moins systématiques, les nouvelles molécules commercialisées par les industriels visent des cibles définies a priori, et le plus souvent fournies par la recherche publique.”
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En attendant, la course au médicament innovant souvent pas plus efficace, à des prix toujours plus élevés, est bel et bien lancée. Et elle est encouragée. Quitte à brandir un peu vite le traitement miraculeux ? Après avoir aidé Pfizer à développer son vaccin anti-Covid, dont on a mesuré toute l’efficacité, Bio-NTech s’est attelé à un autre candidat vaccin grâce à la technologie de l’ARN messager. En tandem avec l’américain Sloan-Kettering, le laboratoire allemand a mis au point un vaccin contre le cancer du pancréas, l’un des cancers les plus meurtriers au monde et le plus difficile à traiter.
Depuis, les médias s’emballent sur la foi de premiers résultats sans beaucoup s’attarder sur la taille de l’échantillon : 16 patients (la moitié a développé des cellules capables de détruire le cancer). Sans beaucoup s’attarder non plus sur le coût du traitement : 100 000 dollars la dose sachant qu’il faut compter 9 doses. Un prix en baisse. Initialement, il fallait compter 350 000 dollars la dose…
Sans pour l’heure beaucoup de garantie. La technologie ARN messager est-elle vraiment consolidée ? De nombreux médecins en doutent. Qui plus est, le vaccin de Bio-NTech n’en est qu’à la phase 1 de ses essais. “Et souvent, les essais ne passent pas la phase 3”, nous font remarquer des épidémiologistes.
Manifestement, il est urgent d’accélérer. Aux Etats-Unis et en Europe, le cancer du pancréas explose et devrait devenir la deuxième cause de mortalité par cancer en 2030. Et tant pis si on sait depuis des années que son incidence accrue est directement liée à la malbouffe et la sédentarité. Foi de ministre de la santé. “La priorité absolue contre le cancer reste la prévention, soulignait François Braun en novembre dernier. Cependant, elle reste insuffisante puisque 40% des nouveaux cas de cancers détectés chaque année sont attribuables à nos modes de vie”.
Contacté, l’Institut national du cancer n’avait à la publication de l’article pas répondu à nos questions.
Cancer du pancréas ? C’est pas celui des addicts à l’ héro ?