
Les glaciers des Alpes fondent, et après ?
C'est l'éternelle rengaine quasi hystérique de chaque été. Mais c'est surtout oublier que la fonte des glaciers a des conséquences autrement plus alarmantes ailleurs que dans les Alpes.

Dans les Alpes, les glaciers fondent. Et ? C’est certes très dommageable en termes d’image, de retombées touristiques, voire en termes d’apport en énergie (hydroélectrique)... Ce peut être dommageable en termes de risques : éboulement, avalanches. Mais, en France et en Europe, reconnaissons que la fonte des glaciers – qu’elle relève des fluctuations naturelles du climat ou de la hausse des émissions de gaz à effet de serre, et sûrement un peu des deux – relève davantage du symbole. Quitte à en faire des tonnes comme sacrer en cette rentrée l’enterrement de l’un d’entre eux : le glacier de Sarennes (“une première en France”, s’esbaudit Le Parisien). Tout un symbole aussi parce que les “funérailles” n’ont pas eu lieu au pied du glacier mais quelques centaines de mètres en contrebas, la commune de L’Alpe d’Huez et son délégataire ski, Sata Group, ayant peu goûté l’opération de com’ et refusé l’accès au téléphérique.
La fonte des glaciers des Alpes, catastrophe ou non-sujet ? On vous propose de relativiser ces deux bords et d’écouter la glaciologue Delphine Six, interviewée en 2015 (il n’y a pas si longtemps à l’échelle climatique). “Les glaciers des alpes sont très impactés par le changement climatique mais ce ne sont pas les seuls. Dans les Andes par exemple, les glaciers le sont bien plus ”, observait la directrice adjointe de l'Institut des Géosciences de l'Environnement.
Le constat ?
Delphine Six - Dans les Alpes, les glaciers subissent un net recul depuis une trentaine d’années. C’est vrai pour la plupart des glaciers alpins depuis l’Autriche jusqu’à la France.
Par exemple, la mer de glace côté Montenvers, là où on arrive par le petit train, perd environ 4 mètres d’épaisseur de glace par an, d’où le fait de devoir rajouter des échelles d’année en année pour descendre sur le glacier. C’est une moyenne qui a tendance à légèrement augmenter ces dernières années. On était de l’ordre de 3 mètres par an au milieu des années 90 et cette tendance est amenée à se poursuivre, au moins pour les 20, 30, 40 prochaines années.
Au-delà ? 2100 ?
Delphine Six - D’ici à 2100, on a des modélisations qui permettent de voir l’évolution des glaciers. Ce n’est pas facile de modéliser l’évolution d’un glacier et c’est d’autant moins facile qu’on a aussi des incertitudes sur les scénarios climatiques à venir : quelle va être l’évolution des températures et quelle va être l’évolution des précipitations, deux facteurs qui influencent l’évolution des glaciers.
Probablement que la plupart des glaciers de nos montagnes vont disparaitre d’ici 2100. C’est le cas pour le glacier de Saint-Sorlin dans le massif des Grandes Rousses. Par contre, pour des grands appareils glaciaires, la mer de glace ou le glacier d’Argentière qui eux ont un gros stock de neige et de glace, cela prendra plus de temps, d’autant plus qu’ils sont encore à très haute altitude. Pendant l’hiver, il continuera à neiger sur ces glaciers donc ils continueront à former un stock de glace. Mais ces glaciers, qui ont une zone d’alimentation au-dessus de 3 500 mètres, ne sont pas très nombreux dans les Alpes françaises.
La fonte des glaciers, et après ?
Delphine Six - Si l’ensemble des glaciers des Alpes disparaissait, en termes d’élévation du niveau des mers, c’est rien du tout. C’est largement moins d’un centimètre. A l’échelle des Alpes françaises, on est de l’ordre du millimètre.
En termes de ressources en eau dans les Alpes, en tout cas dans les Alpes françaises, on utilise assez peu les glaciers que ce soit pour l’irrigation ou la consommation. On l’utilise un peu pour l’hydroélectricité. Après, on a évidemment des intérêts touristiques. Que des glaciers soient amenés à disparaitre modifiera certainement certaines pratiques.
L’intérêt de pouvoir suivre et documenter ces glaciers des Alpes, c’est de pouvoir développer des méthodes et des simulations pour d’autres massifs du monde où là il y a des réels enjeux, par exemple les Andes ou l’Himalaya où des populations vivent de ces glaciers. Ces glaciers sont très importants en saison sèche. Leur fonte permet d’apporter de l’eau aux populations. Là il y a des réels enjeux. Dans les Alpes, les enjeux sont moindres, même s’il y a un enjeu économique.
Les précipitations bouée de sauvetage ?
Delphine Six - Il y a énormément d’incertitudes quant à l’évolution des précipitations, notamment parce que ce sont des phénomènes très locaux, très dépendants de la topographie, de l’orographie, très complexe dans ces zones de montagne. Donc on a peu de certitudes sur l’évolution des précipitations. Il est probable que, dans un premier temps, s’il fait plus chaud en hiver, il risque de faire un peu plus humide. Mais la limite pluie-neige va également être modifiée.
Jusque-là, nos simulations sur les glaciers font seulement évoluer la température estivale. On prend la moyenne des vingt dernières années et on applique cette moyenne pour les années à venir. Mais il est fort à parier que d’ici 2100, ce sont les températures estivales qui l’emporteront (sur les précipitations, ndlr) et la fonte sera prioritaire avec peu de compensation des précipitations hivernales. Mais ce sont des choses qui varient d’année en année. Il faut bien faire la différence entre ce qui est de l’ordre du climat, c’est à dire au moins une trentaine d’années et ce qui est de la météorologie.
L’Himalaya, domaine des neiges éternelles ?
Delphine Six - Sur ces régions relativement proches de l’Equateur, on annonce des disparitions très importantes parce que les limites pluie-neige vont énormément augmenter, jusqu’à 7 000 mètres. Là, ce sont des grands glaciers avec une forte dynamique. Plus on va diminuer le stock en altitude, plus le phénomène va s’emballer avec le risque d’avoir une fonte de plus en plus forte.
L’intérêt de nos suivis dans les Alpes est vraiment là : adapter à la fois une méthodologie en termes d’observation de terrain et ensuite en termes de simulations sur d’autres régions qui sont bien moins documentées.
En Himalaya, très peu de glaciers sont instrumentés. Il y a très peu de longues séries. C’est donc difficile d’avoir du recul. Donc on fait beaucoup appel aux observations par satellite mais les observations sur le terrain sont fondamentales. Cela parait tout bête mais mesurer la précipitions à Chamonix ne permet pas de dire s’il pleut ou neige au même moment à 3 000 mètres, ou 4 000 mètres. Il y a un vrai besoin de documenter ces zones orographies très complexes et un seul point de mesure dans la vallée ne reproduit pas ce qui se passe en termes de précipitations, et donc de précipitations neigeuses, partout sur un grand bassin versant.
On essaie donc de transposer nos observations dans les Alpes depuis une cinquantaine d’années à d’autres pays du monde, en les adaptant toutefois. Parce que ce sont des régions particulières qui sont soumises non pas à un enchainement hiver-été mais à une alternance saison sèche-saison froide. Et c’est assez différent en termes de processus d’évolution des glaciers.