[ Tribune] Non, ce n’est pas l’Etat qui pollue à Grenoble
Suite au recours déposé contre l'Etat par Eric Piolle, le collectif Grenoble à Cœur a envoyé une lettre ouverte au préfet de l'Isère. Nous la publions.
Voir un pylône coloré à la Bastille et avoir un maire qui s’en va en justice et se défausse sur l’État, est-il ce qui améliore l’air pour les Grenoblois ? N’y a-t-il pas maintenant beaucoup mieux et bien plus réel à faire au vu des résultats de ces dernières années ?
LES ÉCOLES SUR-POLLUÉES DU « CŒUR DE VILLE », CE N’EST PAS L’ÉTAT
Si l’association Respire a assisté à la présentation du recours en justice du maire de Grenoble contre l’État, elle a sagement évité de s’y associer ! Publiée début 2022, leur étude sur la pollution des écoles en Auvergne Rhône-Alpes montre que les plus polluées de Grenoble sont toutes1 situées au centre-ville, à cause du plan de circulation de 2017 qui a fortement concentré le trafic automobile à proximité d’elles mais que la mairie refuse d’ajuster.
Le niveau de NO2 dans l’air dépassait encore les 30 μg/m3 aux abords de ces écoles peu avant la Covid, et il y a nettement moins baissé (un tiers de moins) comparativement à la soixantaine d’écoles grenobloises qui étaient dans ce même cas en 2015. Cette injuste inégalité affecte la santé de 4 000 élèves !
À l’exception d’une seule, l’école primaire Diderot. En voici la liste : collèges de l’Aigle et Champollion, lycée Champollion, maternelles Marceau et Jean Jaurès, primaire Jean Jaurès, élémentaire Marianne Cohn.
LE PLAN DE CIRCULATION POLLUANT DE « CVCM », CE N’EST PAS L’ÉTAT
Le plan de circulation de 2017, qui a déplacé et concentré le trafic comme la pollution sur les axes voisins du boulevard Agutte-Sembat, ce n’est pas l’État. Sur le boulevard Gambetta, la circulation a augmenté de 14% entre 2016 et 2019. C’est 24% au cœur du quartier Championnet !
Les experts en données du trafic d’INRIX ont mesuré un accroissement de 13% de la congestion2 à Grenoble après la fermeture d’Agutte-Sembat, qui en une seule année a fait grimper Grenoble de quatre places au classement des villes les plus embouteillées de France ! Simultanément, l’unique station « urbaine trafic » de Grenoble4 (terminologie Atmo) a montré un accroissement de 15% de la pollution. Le maire de Grenoble avait alors parlé de « fake news », ce qui ne lui a pas réussi.
SIX ANS DE RETARD EN HUIT ANS À GRENOBLE, CE N’EST PAS L’ÉTAT
En 2014, année où M. Piolle est devenu maire de Grenoble, le Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA) listait les actions pour que le seuil de pollution au NO2 soit respecté en 2016.
Alors que l’une d’elles était la « fluidification du trafic », il a été fait très exactement le contraire : l’organisation de façon délibérée d’embouteillages polluants.
Sans surprise, le PPA s’est soldé par un échec, ce qui a valu à Grenoble de figurer parmi les huit zones responsables de la condamnation de l’État, au lieu d’être parmi les neuf qui avaient agi pour cesser d’y contribuer.
Il a fallu attendre l’après Covid et le télétravail pour que Grenoble respecte enfin ce seuil, selon l’appréciation faite fin 2022 par le Conseil d’État.
Résultat : en huit ans … six ans de retard !
LE RETARD PAR RAPPORT AUX AUTRES MÉTROPOLES, CE N’EST PAS L’ÉTAT
Regarder la moyenne, ville par ville, des données de l’ensemble des stations de mesures « urbaines fond » (terminologie Atmo) des quatre métropoles régionales, montre un déficit d’amélioration de l’air de 11% à Grenoble entre 2014 et 2019.
Amélioration de la qualité de l’air de 2014 à 2019 : Grenoble a pris 11% de retard pour le NO2
Qu’est-il arrivé ensuite, à part la Covid ? Non seulement la Ville a de nouveau qualifié les données de « fake news » (lors du Conseil Municipal du 28 mars 2022 sur le PPA), mais le thermomètre a été cassé avec le retrait d’une des trois stations d’Atmo. Laquelle ? Celle qui était située au centre-ville dans le secteur du … boulevard Gambetta ! Depuis, il paraît qu’on respire mieux à Grenoble.
LES MANQUES D’ATMO GRENOBLE, CE N’EST PAS L’ÉTAT
Dans le lourd contexte d’une ville qui a bouleversé son plan de circulation à l’aveugle, sans réaliser l’étude d’impact, Grenoble n’a qu’une seule station de mesure « urbaine trafic » alors que Clermont-Ferrand en a trois pour une population nettement inférieure. Que se passe-t-il depuis que Grenoble à Cœur a signalé ce manque, il y a déjà plusieurs années ? Rien! Ah, si, la station « urbaine fond » du Cœur de Ville Cœur de Métropole a disparu...
RIEN DE CONCRET PENDANT « GRENOBLE CAPITALE VERTE », CE N’EST PAS L’ÉTAT
Lisbonne, « capitale verte » de 2020, a créé un réseau de 658 capteurs et 80 stations de mesures de la qualité de l’air, des nuisances sonores et des microclimats urbains.
Tandis que les 13,4 millions d’euros de « Grenoble capitale verte » n’ont donné aucune mesure concrète. Est-ce normal ? Oui a dit le maire car « un éléphant8, on le mange à la cuillère ». En d’autres termes, tout est parti en com’ et en réunions, y compris les 4 millions qu’avait donnés l’État.
Selon François Gemenne, membre du GIEC, "la priorité des priorités en matière d'action climatique en France c'est la rénovation thermique des logements". Quels progrès en la matière lors de « Grenoble capitale verte » ? Aucun. Même pas l’ébauche d’un plan d’isolation des bâtiments enfin à la hauteur du dérèglement climatique local. Même pas l’isolation de la passoire thermique qu’est l’Hôtel de ville. Dans ce contexte, il est heureux que l’État ait demandé d’abaisser le chauffage à 19°.
LA DÉCOUVERTE TARDIVE DU CHAUFFAGE AU BOIS, CE N’EST PAS L’ÉTAT
Après toutes ces années à n’accuser que les voitures lorsqu’il était question de pollution, le maire de Grenoble a découvert le chauffage au bois.
Il était temps car c’est la source de 61% des particules fines PM2,5 à Grenoble, contre 11% pour les voitures. De plus, ce polluant est de très loin celui qui est le plus nocif pour la santé.
Il y a seulement trois ans, la propagande de M. Mongaburu (adjoint au maire de Grenoble et alors président du syndicat des mobilités, ndlr) enfumait encore les Grenoblois en disant que « ces particules fines sont émises principalement par les diesels d’avant 2006 », et viennent seulement « à 30% du chauffage au bois » !
Saluons donc ce changement tardif de langage à la mairie de Grenoble.
Mais surtout, souhaitons que la prime air bois de Grenoble cesse d’être une subvention de ce mode de chauffage très polluant ; et que la ville aide les pizzeria à passer au four électrique 9 si elle veut, comme elle le demande aux autres, de l’action concrète et rapide.
En effet, réduire des deux tiers les émissions de particules fines du chauffage au bois ferait baisser d’autant le nombre de « décès prématurés », bénéfice identique à celui avancé par l’étude Mobil’Air. Pourtant, même avec une telle diminution, il continuerait d’émettre presque deux fois plus de particules fines PM2,5 que les voitures actuellement !
Souhaitons aussi que, dans sa lente prise en compte du réel, la mairie de Grenoble intègre enfin ce que dit le Laboratoire des processus atmosphériques et leurs impacts de l’EPFL, l’une des meilleures universités mondiales : « On sait que brûler du bois est beaucoup plus toxique que les autres types de particules, et les résultats pointent clairement le feu de bois comme la cause principale de risque cancérigène sur le long terme ».
Ce que confirme en ces termes L. Crilley, chercheur en chimie atmosphérique à l’Université de Birmingham : « la fumée de bois contient plus d’éléments cancérigènes que les échappements du diesel ou de l’essence ».
L’INEFFICACITÉ DE « PLACE AUX ENFANTS », CE N’EST PAS L’ETAT
Fermer de petites rues peu passantes pour « place aux enfants » n’a aucun effet sur la qualité de l’air. Bien que première à avoir, dès 2017, été « dévoiturée » par la fermeture du boulevard Agutte-Sembat, l’école Millet est plus polluée au NO2 que presque toutes les écoles de ce dispositif.
En effet, seulement deux des quinze écoles de « place aux enfants » le sont plus qu’elle. Lesquelles ? Elles figurent parmi les sept les plus polluées de Grenoble : l’école Marceau du Cœur de Ville à cause du plan de circulation de 2017, l’école Diderot de par la proximité de l’A480.
L’IMPOSSIBILITÉ D’ÊTRE EN VILLE COMME EN MONTAGNE, CE N’EST PAS L’ÉTAT
Le maire de Grenoble s’en va en justice contre l’État car l’air que nous respirons n’est pas conforme aux nouveaux seuils de l’OMS, qui ne sont pourtant que des recommandations, pas des obligations.
Le nouveau seuil de l’OMS pour les PM2,5 correspond à l’air sans « pollution d’origine anthropique », c’est-à-dire là où il n’y a pas d’activité humaine. Sans humains, pas de pollution humaine, pas d’impact sur la santé humaine puisqu’il n’y a personne …
Selon Santé Publique France, on ne respire cet air que dans les « 5% des communes rurales les moins polluées, qui sont principalement localisées dans les massifs montagneux ». En effet, il ne suffirait pas, pour respirer l’air de l’OMS, de vivre à Quaix en Chartreuse ou à Chamrousse. Il faudrait aller à Tignes (altitude 1810 mètres) !
Pour en savoir plus sur le recours de la Ville de Grenoble contre l’Etat : Pollution de l’air et santé : pourquoi la Ville de Grenoble engage-t-elle une action en justice contre l’État ?