Urgences : silence, on audite
A Grenoble, on ne soigne plus, on audite. Alors que les soignants désertent l'hôpital, le CHU devrait voir se renouveler son accréditation. Sans passer par la case urgences...
Les urgences sont saturées ? Les médecins urgentistes quittent l’hôpital par paquets, une quinzaine à Grenoble sur une cinquantaine de praticiens ? Trente pour cent du personnel fout le camp sur l’ensemble de l’établissement ? Pas grave, on audite.
Toute cette semaine, le CHU de Grenoble va être passé au filtre de la certification. Objectif ? Renouveler l’accréditation, sorte de visa certifiant la qualité des soins prodigués à l’hôpital.
« En théorie, cette procédure de “certification” vise à évaluer le niveau de qualité et de sécurité des soins dans les établissements de santé », soulignent les représentants du personnel du CHU qui, réunis en intersyndicale, appellent au boycott de la procédure d’accréditation. « Dans l’état actuel de l’hôpital , cette procédure ne veut rien dire ».
Le moins que l’on puisse dire est que la démarche tombe fort mal au vu de l’état général du CHU, et des urgences en particulier. A Voiron, les urgences de l’hôpital, qui dépend du CHU, sont fermées une nuit sur deux depuis des mois. A la clinique mutualiste à Grenoble, qui pourraient éponger le trop-plein, les urgences n’ouvrent plus que le jour. A la clinique des Cèdres, on fait comme on peut, avec les moyens du bord. A l’hôpital Sud à Echirolles, qui dépend lui aussi du CHU, les urgences n’ouvrent pas la nuit et le week-end seulement à partir de midi…
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Fort logiquement, et c’était prévisible, effet domino oblige, les urgences de l’établissement central, à Grenoble (l’hôpital Michallon), devraient sans trop tarder basculer en mode dégradé. Comme à Bordeaux. Comprendre qu’elles n’accueilleront plus de patients passé 20 heures et qu’il y a de fortes chances qu’aux côtés du filtrage téléphonique – via le centre 15 du Samu dont le standard devrait vite entrer en ébullition – un campement de fortune, au moyen de tentes de la sécurité civile, soit installé en avant-poste, devant l’entrée, pour filtrer lui aussi les patients 1.
« Un dispositif digne des grandes catastrophes », pointe l’intersyndicale.
Mais alors que l’hôpital public s’écroule par pans entiers, que l’été s’annonce chaud bouillant, rien ne semble arrêter la machine technocratique. On va donc continuer de passer à la moulinette les procédures puisque c’est de ça dont il s’agit. Et décerner mine de rien un satisfecit tant côté qualité que sécurité des soins ?
« On n’est pas contre la procédure, il y a du reste des critiques qui sont pertinentes mais en ce moment, vu le merdier… » souligne Raphaël Briot, anesthésiste -réanimateur au CHU de Grenoble qui dénonce une « pantalonnade ». « On n’est pas dans une démarche d’améliorer les pratiques quand on est dans cet état de décrépitude ».
Et puis, le processus prend manifestement bien soin d’éviter le sujet qui fâche le plus : les urgences. Lesquelles ne seront tout bonnement pas visitées par les experts-visiteurs, ces professionnels de santé mandatés par la Haute autorité de santé (HAS). Pourquoi cette impasse ?
Sur telle procédure, tous les services ne sont certes pas passés en revue. Mais au regard de la situation, quand bien même on arguerait de ne pas sur-charger un peu plus le personnel qui reste, court-circuiter le point névralgique de l’hôpital laisse pantois. « C’est juste mettre la poussière sous le tapis », résume Raphaël Briot.
« Les services visités par les experts-visiteurs lors de cette procédure sont déterminés par la HAS », répondent les services de la direction du CHU. « Les services concernés sont communiqués d’après un calendrier de visite précis, indiqué également par la HAS ».
En France, alors que 120 services d’urgence sont sur la corde raide, on compte une vingtaine d’agences nationales de santé, dont la HAS, mais aussi 18 agences régionales de santé sans parler des GHT, les groupes hospitaliers de territoire.
« On a un millefeuille très lourd où beaucoup d'argent s'en va », pointait Michaël Peyromaure, le chef du service d’urologie de l’hôpital Cochin de Paris, en mai dernier sur Europe 1. « Et finalement il n'y a plus d'argent là où on en a besoin, c'est à dire pour les lits des malades et dans les cabinets des médecins ».
A compter du 27 juin, les urgences de Grenoble tout comme à l’hôpital de Voiron n’accueilleront plus de patients la nuit (hors urgences vitales). La clinique mutualiste de Grenoble étant déjà fermée à partir de 20 heures, à charge pour la clinique des Cèdres, dernière en piste, à absorber le trop plein. Et au Samu 38 de réguler comme il peut avec les moyens (insuffisants) du bord. Hormis du palliatif, une mission flash et quelques certifications à droite à gauche, pas grand-chose ne bouge. Interpellé le 16 juin par un collectif de médecins qui lui soumettaient des solutions rapides à mettre en œuvre (levée des suspensions, titularisation des contractuels, doublement de l’indemnité de sujétion et augmentation du point d’indice) Emmanuel Macron n’a pas bougé. (article mis à jour le 23 juin avec l’annonce de la fermeture des urgences du CHU de Grenoble).