[ Edito ] Guerre économique : la fin de la domination occidentale
La mondialisation à l'américaine est finie. L'Occident ne détient plus le monopole de la puissance. Les USA n'acceptent pas cette réalité et constituent le plus grand danger pour la stabilité mondiale
Ceux, experts de plateaux de télé, qui expliquent de manière aussi docte que péremptoire ce que va faire Vladimir Poutine sont des escrocs et des menteurs. Personne ne le sait. Le Kremlin, la toute puissante administration présidentielle, est une impénétrable boîte noire. On ne connait pas plus les plans de l’armée russe. Nous sommes cantonnés à observer passivement ses opérations à partir de photos satellites et de rapports de terrain.
L’Occident a répondu à l’agression russe de l’Ukraine par des sanctions économiques qui n’ont aucun effet. L’économie russe est dédollarisée et près de 70% de son commerce extérieur ne se fait pas avec l’Occident.
Nous n’avons pas évalué les conséquences de l’exclusion de Swift des banques russes parce que nous sommes dans l’incapacité de connaître le montant et la nature des produits dérivés qu’elles détiennent. C’est pourquoi cette exclusion ne concerne que trois banques russes dont l’Etat est actionnaire, et ne s’applique pas aux transactions afférentes au pétrole, au gaz et au charbon.
Nous continuons à payer gaz et pétrole russe en euros. La Russie ne subit pas l’explosion des prix de l’énergie et des matières premières alors que le reste du monde la prend de plein fouet, en particulier celle des produits agricoles. Si cela se traduit en inflation donc en perte de pouvoir d’achat en Occident, des émeutes de la faim commencent à survenir dans des pays du Sud (Nigéria par exemple) et des situations de malnutrition préoccupantes, comme celle du Niger, s’aggravent lentement vers la catastrophe humanitaire.
Dans certains pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord où les populations sont particulièrement sensibles au prix du blé (Egypte, Soudan, Maghreb etc.) et ont été durement touchées par des mesures anti-covid inefficaces, l’ambiance est pré-insurrectionnelle.
Avoir étendu de manière indiscriminée le domaine de lutte à l’économie n’est pas une bonne idée. Avoir transformé une crise régionale en crise globale impactant l’ensemble de la planète et en premier chef les plus pauvres, est criminel. C’est ce qu’ont bien compris de nombreux pays émergents, Inde en tête, qui ont refusé de voter la résolution proposée par les USA à l’Assemblée générale des Nations unies.
Tout cela pour une guerre dont l’issue a déjà été décidée il y a huit ans, en 2014, après que le coup d’État fomenté par les Etats-Unis eût débouché sur une guerre civile qui permit à la Russie d’annexer la Crimée. Tout cela parce que les garants des accords de Minsk au nombre desquels se trouvent la France et l’Allemagne, n’ont pas veillé à leur application. Tout cela parce que les Etats-Unis, l’UE et l’Otan n’ont pas compris que laisser la porte ouverte créé des courants d’air susceptibles de faire claquer la fenêtre si fort que la vitre vole en éclat.
La vice-présidente Kamala Harris, calamité aboutie qui illustre à elle seule l’incompétence de l’administration Biden, a déclaré unilatéralement que “les Etats-Unis soutiennent fermement le peuple ukrainien dans la défense de l’alliance atlantique ”, alors que l’Ukraine n’est pas membre de l’Otan. Otan qui ne garantit donc rien et qui n’est pas en guerre contre la Russie. Pourrait-on la faire taire et la ranger dans sa boîte ?
Alors que l’administration américaine oscille entre supplications et menaces et que l’UE a dans les faits volé en éclats parce que les Allemands imposent une fois encore leur agenda (et achètent des avions de combat américains), l’attitude de la Chine est “intéressante”.
Arguant de la Covid (66 cas!), les autorités chinoises ont isolé la ville de Shenzhen, 17,5 millions d’habitants, et appelé toutes les entreprises non-essentielles à cesser leurs activités jusqu’au 20 mars. Cela affecte en premier chef les deux immenses usines de l’entreprise taïwanaise Foxconn, le plus gros sous-traitant d’Apple et de bien d’autres marques d’électronique grand public.
Cette décision, qui met Apple à genoux avec les conséquences que cela a à Wall Street, arrive juste après des menaces américaines quant à l’avenir des relations de la Chine avec l’Occident. Menaces proférées avant une réunion à Rome résultat de l’insistance américaine. La Covid a montré la fragilité des lignes d’approvisionnement de l’Oncle Sam. Les chinois sont en train de lui faire comprendre que l’interdépendance n’est pas à sens unique.
En relations internationales, une définition de la puissance est la capacité de se départir de la règle afin d’imposer la sienne ou de forcer la renégociation de l’existante sans subir de conséquences.
Les Etats-Unis, en envahissant l’Irak de manière illégale en 2003 sur la base de renseignements fabriqués de toutes pièces, ont usé de leur puissance. L’Otan et l’UE, en dépassant le cadre du mandat des Nations unies en 2011 qui ne prévoyait pas de changement de régime en Libye mais une protection des civils, ont usé de leur puissance.
Les Etats-Unis, en étendant l’extra-territorialité de ses lois à toute transaction effectuée en dollar alors que l’extra-territorialité est fondamentalement illégale en droit, usent de leur puissance pour organiser des opérations d’extorsion de masse dont sont victimes des entreprises étrangères, en premier chef européennes et françaises (Alstom, Tecnip, BNP, Crédit Agricole etc.) et exercer un contrôle sur l’économie mondiale.
Le couple russo-chinois est composé d’un géant des matières premières, deuxième puissance militaire au monde dont l’économie est dédollarisée, et d’un géant industriel, troisième puissance militaire mondiale et premier détenteur de dette américaine. Ce couple n’a pas attendu l’autorisation de l’Occident pour consommer son union. D’autant que c’est l’Occident qui a poussé la Russie et la Chine dans les bras l’une de l’autre.
Le couple russo-chinois fait aujourd’hui usage de sa puissance dans une opération militaire en Ukraine ayant pour objectif de contenir l’Occident au sein des limites d’une Otan en mort cérébrale. En s’appuyant sur les (imbéciles) sanctions économiques occidentales ayant déclenché une récession mondiale et venant obérer la souveraineté de la plupart des États, il mène une opération de guerre économique visant à faire émerger ce qui est une alternative au système de Bretton-Woods, sur lequel est basée l’infrastructure financière mondiale.
A ce petit jeu là, les Américains se feront botter le derrière pour une raison fort simple : ce n’est pas le Chinois ou le Russe qui fera une dépression nerveuse parce qu’il ne pourra pas acheter d’I-phone, et cela ne se traduira pas en suffrages.
L’Union européenne comprendra t-elle enfin que, devenue périphérique mais n’ayant pas vu son influence décroitre, il importe de rester le plus loin possible de la machine à claques ? Il importe de ne pas tomber dans le piège des blocs que les américains essaient d’imposer pour sauver les meubles et dont nous paierons le principal de la facture. Vu les comportement des dirigeants européens, rien n’est moins sûr.