[ Analyse ] Le "groupe Avec", une usine à dettes
Par des jeux de créances et d'écritures, Bernard Bensaïd fabrique, semble-t-il, son propre effet de levier financier en générant des dettes internes à son "groupe", structurellement déficitaire.
Cet article revêt un intérêt public, nous le laissons donc en accès libre.
Il est le résultat d’une enquête d’une quinzaine d’épisodes parus à ce jour, un travail débuté il y a près d’un an et qui se poursuit encore. Afin de garantir sa totale liberté et son indépendance, L’Eclaireur a fait le choix de ne pas faire appel à la publicité pas plus qu’au financement participatif, ni à aucune aide publique ou privée. Nos informations, notre liberté et notre indépendance ont un coût : celui de vos abonnements.
Parfois exercer le métier de journaliste donne l’impression d’être un Shadok pompant le Cosmogol 999 des Gibis. Plus on pompe, plus il en reste à pomper. C’est le cas avec notre enquête sur les affaires de Bernard Bensaïd, qui semblent être un gouffre sans fond – et sans fonds.
Depuis plus d’une dizaine d’années, les sociétés de l’activité tourisme-hôtellerie-hébergement de Bernard Bensaïd ont pour business model de ne pas faire face à leurs engagements, ou le plus tard possible. Y compris aux engagements que M. Bensaïd a conclu à la barre des tribunaux de commerce en reprenant des sociétés exploitant des résidences de tourisme, hôtelières, étudiantes etc. Les loyers aux co-propriétaires, les charges de copropriété, les fournisseurs etc. restent impayés, sauf contrainte judiciaire. Des lots sont exploités illégalement et ne donnent pas non plus lieu à paiement de loyers.
Condamné, Bernard Bensaïd n’exécute pas les jugements et attend généralement le dernier moment, c’est à dire quelques jours avant l’audience d’assignation en liquidation judiciaire que lui auront intentées ses créanciers, pour régler tout ou partie de ce qu’il leur doit.
Nous reviendrons dans un prochain article sur les cas individuels de trois résidences. Un véritable saut à pieds-joints dans la quatrième dimension financière et juridique. Nous verrons par exemple comment le non-paiement des loyers par la société d’exploitation DG Holidays a contribué à la saisie bancaire de co-propriétaires d’une résidence.
Quand les biens saisis ont été vendus par enchères judiciaires, c’est la société civile immobilière SCI JB, gérée par Jacob Bensaïd, le fils de Bernard Bensaïd qui y est également associé, qui s’est portée acquéreur. Jacob Bensaïd était le gérant de fait de la résidence en question. Et puisque les biens immobiliers étaient liés par bail commercial à la SARL DG Holidays dirigée par Bernard Bensaïd (oui, celle qui ne paie pas les loyers), difficile de trouver preneur. Cela a permis à la SCI JB d’acheter à l’encan en août 2017 un lot de cinq villas d’une valeur réelle de l’ordre de 290 000 euros chacune, pour la somme totale de … 336 000 euros.
Par de multiples conventions de trésorerie passées avec lui-même au sein de l’inextricable maquis des sociétés qu’il dirige, Bernard Bensaïd organise la sortie du produit d’exploitation des sociétés gérant les résidences en facturant des “frais de siège” et autres prestations, et en faisant remonter à une société-mère les excédents de trésorerie, forcément importants puisque personne ou presque n’est payé. Ce qui lui permet, outre d’être financé par ses créanciers banquiers malgré eux, de s’assurer que d’éventuelles saisies n’aboutissent pas, les comptes en banques des sociétés condamnées étant à découvert ou peu créditeurs.
Nous avons décrit le mécanisme des conventions de trésorerie entre DG Hotels et 13 de ses filiales dans l’article ci-dessous.
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“Le système Bensaïd” repose sur un principe simple : remplacer l’argent sonnant et trébuchant des filiales d’exploitation par des créances sur leurs sociétés-mères qu’il contrôle (donc créer des actifs). Afin de faire remonter les fonds jusqu’à sa holding personnelle, la société anonyme Avec, ou toute autre société de son “groupe” partie à une convention de trésorerie ou disposant d’un compte courant d’associé (donc créer de la dette).
En revanche, l’accumulation des impayés combinée aux ponctions de trésorerie dans les filiales d’exploitation dont les activités sont structurellement déficitaires, conduisent rapidement ces dernières à afficher des fonds propres négatifs, même si leurs actifs sont gonflés par les créances qu’elles détiennent sur leur société-mère. Ces fonds propres négatifs des filiales viennent à leur tour plomber les comptes de la société-mère, elle-même structurellement déficitaire, qui doit supporter de surcroît les pertes occasionnées par l’obligatoire reconstitution dans les deux ans des capitaux propres de ses filiales, alors qu’elle est également débitrice de ses filiales. A moins qu’on se passe de reconstituer ce que la loi oblige à reconstituer, bien sûr.
La société-mère ayant elle-même cédé ses excédents de trésorerie contre des créances émises par d’autres sociétés du groupe, les créances détenues par ses filiales ne sont pas honorées. Puisqu’il s’agit de transactions entre sociétés toutes dirigées par Bernard Bensaïd, aucune chance que cela finisse devant les tribunaux. En clair, le “groupe” de Bernard Bensaïd fabrique son propre effet de levier financier par des jeux d’écritures, qu’aucun actif “réalisable” ne vient garantir.
Si une société-mère a besoin d’embellir ses comptes parce que des procédures judicaires diligentées par des créanciers pourraient l’amener à reconstituer ses fonds propres à peine de liquidation judiciaire, pas de panique ! Avec SA, ou une autre entité du “groupe” rachètera les actions/parts d’une ou plusieurs de ses filiales à une valorisation irréaliste. Cet achat ne donnera pas lieu à un paiement, mais à l’émission d’une créance détenue sur Avec SA, qui se sera donc endettée mais disposera bien des titres à son actif.
Triple effet kisscool: (1) la créance étant un actif, les capitaux propres de la société-mère auront été reconstitués sur le papier, (2) sans aucun paiement effectué par Avec SA, sans dépenser un centime, sans essuyer aucune perte et (3) les actifs de Avec SA seront accrus des titres achetés. Effet qui se poursuit tant qu’appel des créances n’est pas fait.
Une autre possibilité est d’effectuer un apport de titres ou de créances, mais cela a l’inconvénient de nécessiter l’intervention d’un Commissaire aux comptes qui va s’assurer de et certifier la sincérité de la valeur des actifs apportés, et donc procéder aux dépréciations qui s’imposent. Les titres et les créances peuvent donc être valorisés en dessous de leur valeur nominale. C’est la solution qu’a choisit Bernard Bensaïd pour faire passer les activités d’immobilier locatif d’Avec à une filiale, la société par actions simplifiée unipersonnelle Directgestion, ce qui a résulté le 29/12/2021 par l’augmentation de son capital.
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C’est à une opération de ce genre à laquelle s’est visiblement livré Bernard Bensaïd en août 2022 en faisant racheter par Avec SA les actions détenues par DG Hotels dans DG Santé pour un montant de 18,2 millions d’euros. Valorisation fantaisiste puisque représentant vingt fois les fonds propres de DG Santé (845 000 euros en 2020).
Notez que les ponctions de la trésorerie du groupe hospitalier mutualiste (GHM) grenoblois sous forme de prêts dont le bénéficiaire réel est Avec SA et qui ont conduit à la mise en examen de Bernard Bensaïd pour détournement de fonds publics, sont survenues de manière concomitante.
Les bénéficiaires de DG Santé sont M. Bensaïd et son épouse.
Les derniers comptes publiés par DG Hotels datent de 2020. Ils affichent des fonds propres de 5 millions d’euros.
Suite au rachat des actions de DG Santé par Avec SA, les fonds propres de cette première vont passer sur le papier, si on se base sur les comptes de 2020, à 5 + 18 = 23 millions d’euros.
Les choses se corsent quand on constate que DG Hotels a une filiale, DG Holidays, qui elle-même a pour filiales des sociétés d’exploitation de résidences. DG Holidays opère également en propre 19 établissements secondaires.
La santé financière de DG Holidays est mauvaise puisqu’en 2020 elle présentait des fonds propres négatifs de plus de 10 millions d’euros.
Mise à jour le 21/04/2023. Les comptes de Dg Holidays pour 2021 ont enfin été publiés. Fonds propres négatifs de 16,2 millions d’euros.
Une société ne peut pas opérer avec des fonds propres négatifs, qui devront impérativement être reconstitués par ses associés, qui essuieront cette perte. L’associé principal de DG Holidays est DG Hotels qui en détient 71,81% des parts. DG Hotels doit en toute logique déprécier ses titres ou les créances qu’elle détient sur DG Holidays. La paume que doit prendre DG Hotels se monte en théorie à près 8 millions, risque qu’elle aurait dû provisionner.
Or DG Hotels opère avec des fonds propres inférieurs à la moitié de son capital social depuis octobre 2021. C’est à dire qu’elle n’a plus les moyens de financer son cycle d’exploitation et a jusqu’à octobre 2023 pour reconstituer ses fonds propres, ou bien rentrer en liquidation …
Dans le même temps, des co-propriétaires ont attaqué en justice les filiales de DG Holidays qui gèrent leurs résidences, et obtenu gain de cause. Ces filiales de DG Holidays ont été condamnées à s’acquitter des loyers impayés, à verser des astreintes et des dommages et intérêts, en sus des frais de justice et des dépens. On parle de plus 10 millions d’euros cumulés résultant de décisions de justice exécutoires. Une seule décision de la cour d’appel de Montpellier du 5 octobre 2022 condamne DG Holidays pour 3,5 millions d’euros.
Les sociétés d’exploitation ne disposent pas des fonds propres nécessaires à exécuter les jugements les visant. C’est donc contre la maison-mère DG Holidays que les co-propriétaires se sont retournés en exigeant la reconstitution de ses fonds propres afin que les créances détenues par les filiales d’exploitation puissent être recouvrées par voie des saisies déjà effectuées, qui autoriseront le paiement de la dette due aux copropriétaires.
“Il suffira à DG Hotels d'abandonner sa créance sur DG Holidays. Et pour le surplus d'apporter une créance ou un autre actif à la filiale sous capitalisée. A mon sens, c'est fictif car cela signifie que la seule garantie constitutive du capital de DG HOLIDAYS est la fameuse créance de 18, 2 millions d'euros sur Avec SA (détenue par DG Hotels, ndlr)” , souligne Maître Damien Lordier, avocat au barreau de Nancy, qui défend plusieurs centaines de co-propriétaires contre les agissements de Bernard Bensaïd depuis des années.
Des actifs insuffisants pour couvrir les dettes
La créance de 18,2 millions d’euros détenue par DG Hotels sur Avec SA ne vaut pas grand chose. En 2020, Avec SA a présenté un résultat d’exploitation de 69 euros pour un résultat net de 169 000 euros et une capacité d’autofinancement de 440 000 euros ne lui permettant pas de régler 18,2 millions d’euros à DG Hotels à brève échéance. En août puis en novembre 2022, Avec SA a obtenu du tribunal de commerce de Paris la prorogation de la tenue de son assemblée générale ordinaire, ce qui a eu pour effet que ses comptes pour 2021 ne sont pas déposés et ne le seront vraisemblablement pas durant le premier semestre 2023. Avec SA a été mise en examen pour complicité et recel des infractions de prise illégale d’intérêts et de détournement de fonds publics qui incriminent M. Bensaïd.
Bref, les actifs dont disposent les sociétés de Bernard Bensaïd sont insuffisants pour couvrir leurs dettes, à commencer par les dettes qu’elles ont contractées entre elles. L’ensemble de ces sociétés est dans les faits en cessation de paiement depuis plusieurs années.
Bernard Bensaïd joue la carte du too big to fail (trop gros pour faire faillite). Il a déclaré en 2021 à Patricia Cerinsek, la directrice du publication de L’Eclaireur qui à l’époque travaillait pour un autre média, Place Gre’net, “Tout le groupe Doctegestio (devenu Avec, ndlr), ou personne, fera faillite. Plus on sera nombreux, plus ce sera difficile de déstabiliser le groupe Doctegestio. C'est cette solidarité exceptionnelle qui n'existe même pas dans la mutualité de base".
Le jour où des créanciers obtiennent de manière définitive et simultanée le recouvrement de leurs créances par voie de justice, c’est effectivement l’ensemble du groupe “Avec” qui s’effondre.
Et c’est ce qui est en train de survenir avec l’action en justice menée par des centaines de co-propriétaires de plusieurs résidences, dont ceux défendus par Me Lordier, qui a assigné DG Holidays le 7 mars 2023 devant le tribunal de commerce de Paris afin de faire prononcer sa dissolution judiciaire, au motif qu’elle n’a pas reconstitué ses capitaux propres avant le 31 décembre 2021, comme la loi l’y obligeait.
L’audience aura lieu le 13 avril prochain. Si Me Lordier obtient la dissolution judiciaire de DG Holidays, lors du processus de liquidation le mandataire judiciaire se tournera alors rapidement vers sa maison-mère DG Hotels pour recouvrer les créances, que DG Hotels sera dans l’impossibilité de régler. Sa cessation de paiement sera constatée, elle sera placé sous administration judiciaire, et le mandataire de DG Hotels se tournera vers Avec SA pour recouvrir la créance de 18,2 millions découlant de l’achat des actions de DG santé, somme qu’Avec SA sera dans l’impossibilité de dégager. Effet domino dévastateur, par défauts successifs à chaque étage du “groupe” Avec, menant au dépôt de bilan général de l’ensemble du “groupe” Avec.
Depuis plus de dix ans, les méthodes de Bernard Bensaïd sont connues. Qu’a fait l’Etat, en particulier Bercy, d’autant que les entreprises de Bernard Bensaïd ont largement bénéficié de prêts garantis par l’Etat (PGE) ?
Qu’ont fait les commissaires aux comptes des entreprises de Bernard Bensaïd, qui ont obligation d’alerte ? Qu’a fait la justice, maintes fois saisie par les créanciers ?
Qu’ont fait les banques qui ont financé par dizaines de millions les entreprises de Bernard Bensaïd (hors PGE), peut-être au mépris de la conformité, du “Know Your Customer” et de l’analyse des risques la plus élémentaire ?
En cas de liquidation judiciaire de DG Holidays menant à celles de DG Hotels et de Avec SA,
Pourra-t-on parler de maintien illicite d’activités déficitaires ?
Pourra-t-on parler de présentation de faux bilans ?
Pourra-t-on parler de banqueroute ?
Pourra-t-on parler de faux, d’usage de faux et d’escroquerie si des comptes volontairement insincères ont servi à obtenir des fonds, par concours bancaire ou d’autres moyens ?
Imaginons enfin ce qu’il adviendrait si un système comparable a été mis en place avec les associations du secteur médico-social du “groupe” Avec, en utilisant comme entité pivot une association de droit local d’Alsace-Moselle (droit germanique datant d’avant 1918) qui, contrairement aux associations loi 1901, peut distribuer fonds, prêts et dividendes à ses membres, parmi lesquels on compterait des sociétés dirigées par Bernard Bensaïd…
Félicitations pour cette présentation claire, documentée et compréhensive pour des non spécialistes.
La planche à billets du "groupe" Avec peut continuer de tourner encore des années tant que les actions de ses créanciers resteront sporadiques.
"Too big to fail" ou trop cher pour Pôle emploi si le château de cartes s'écroule.
L'assurance chômage aurait-elle été privatisée sans que l'on s'en aperçoive ?