[ Affaire Bensaïd ] Avec l'argent des autres
La gestion du "groupe" Avec s'annonce comme un scandale dont les conséquences ne doivent pas être sous-estimées, surtout pour les propriétaires des résidences et les établissements de santé exploités.
Cet article revêt un intérêt public, nous le laissons donc en accès libre.
Il est le résultat d’une enquête en plus de dix épisodes, qui a débuté il y a près d’un an et qui se poursuit encore. Afin de garantir sa totale liberté et indépendance, L’Eclaireur a fait le choix de ne pas faire appel à la publicité pas plus qu’au financement participatif, ni à aucune aide publique ou privée. Cette information et cette indépendance ont un coût : celui de vos abonnements.
Veuillez également noter que le “groupe” Avec nous a déjà signifié ne plus vouloir répondre à nos questions, que nous le lui posons donc pas.
On ne prête qu’aux riches, ainsi va l’adage. C’est encore plus vrai en matière d’entreprenariat. Disposer du capital initial pour constituer son affaire est la première barrière à la création d’entreprise. Soit vous avez ce capital initial parce que vous avez épargné ou possédez du bien, soit parce que des investisseurs ont suffisamment confiance en votre projet pour y abonder. Et alors les banques vous apporteront peut-être leur concours pour faire croître votre entreprise.
Ou bien vous pouvez prétendre avoir ce capital, et par une invraisemblable tringlerie d’entreprises, de mutuelles, d’associations dont les comptes sont validés par des commissaires aux comptes ne disposant pas de la vision d’ensemble puisque rien ou presque n’est consolidable, vous obtiendrez le concours des banques sur la base d’actifs et d’une trésorerie affichés dont la valeur semble être réelle sur le papier. En matière de solidité financière et de légalité, en revanche, très grosse prise de risque …
Transferts de titres sans les déprécier; prêts entre entités en dehors du cadre légal; facturation abusive ou sans motif; frais de sièges facturés par un siège qui n’en est pas un; transferts de baux commerciaux d’une société à une autre sans l’accord des bailleurs etc. Bref, autant de moyens de cravacher votre monture et de financer votre entreprise aux dépens des autres. A commencer par vos créanciers, que vous omettrez de payer, fort de la connaissance que la justice française est lente au point, si vous vous payez de bons avocats, de rendre l’affaire rentable à court terme. Car pour qu’on saisisse les actifs de votre entreprise par liquidation, il faut que toutes voies de recours soient épuisées, donc aller jusqu’en cassation. Comptez au minimum cinq ans.
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Prenons la résidence Le Hameau des aiguilles à Albiez-Montrond. Cent huit co-propriétaires dont les loyers n’ont pas été payés par l’exploitant, la société Les Chamois d’Albiez, dont le gérant est Bernard Bensaïd. Société condamnée, en première instance, outre à son expulsion, à verser 120 euros par mois par co-propriétaire. La société holding de Les chamois d’Albiez est DG Holidays, SARL gérée par Bernard Bensaïd.
“Après 12 ans d’exploitation de notre résidence et 1.050 € de loyers versés cumulés sur la période (!), nous avons obtenu un très beau jugement du tribunal judiciaire d’Albertville qui nous a permis d’une part d’expulser M. Bensaïd mi-2022 et d’autre part de ne lui verser aucune indemnité d’éviction”, nous relate un co-propriétaire de la résidence Le Hameau des aiguilles.
Le bail commercial était assorti d’une clause recette, par laquelle le montant du loyer était fixé en fonction du chiffre d’affaires du locataire, la SARL Les Chamois d’Albiez.
“Les mouvements de remontée de trésorerie de la filiale vers la société mère DG Holydays apparaissent clairement dans les comptes annuels et permettent d’afficher chaque année un résultat d’exploitation nul ou légèrement négatif”, poursuit ce propriétaire. “Le loyer comprenait une partie fixe qui constituait une base minimum avec effet cliquet (l’année n+1, la partie fixe était égale à 55% du loyer versé en année n) et une partie variable égale au chiffre d’affaires diminué des charges d’exploitation.
Cependant, M. Bensaïd s’est empressé de plomber les comptes par une multitudes de « charges d’exploitation » supplémentaires comme des “fees” (des honoraires, ndlr) de 20% vers DG Holidays (gestion centralisée comptable, de personnel et des réservations), des commissions de tour opérateur, des frais de justice et d’avocats consommés dans les procès contre nous (nous payions nos frais personnels, plus ses frais d’avocats qui étaient déduits de nos loyers !). Et lorsqu’il restait encore de l’argent, celui-ci était remonté vers DG Holidays comme tréso disponible, ce qui ne laissait au final plus rien à distribuer”, constate le co-propriétaire.
Calcul de coin de table. Si nous posons que 120 euros est le loyer mensuel (basé sur l’indemnité qu’a accordé aux co-propriétaires en première instance le tribunal judiciaire d’Albertville) alors la société de M. Bensaïd a vu sa trésorerie s’accroître de 108 x 120 = 12 960 euros par mois. Soit 155 520 euros par an. Pendant douze ans. Auxquels il faut rajouter 200 000 euros d’impayés d’eau, des fournisseurs en souffrance de règlement etc. Comme nous vous le relations le 10 mars 2023. Alors que DG Holidays s’est endetté auprès des banques de plus de 3 millions d’euros, a investi plus de 2 millions d’euros dans la construction et dispose de plus d’un million de participations financières.
Les sociétés gérées par Bernard Bensaïd dans l’activité “tourisme” du groupe Avec ont été, à notre connaissance, condamnées en cassation trois fois en 2022 à payer une somme cumulée de 5,8 millions d’euros. Hasard ? C’est à ce moment qu’il a commencé à ponctionner la trésorerie du groupe hospitalier mutualiste de Grenoble, ce GHM au cœur d’une information judiciaire qui a commencé avec la mise en examen de Bernard Bensaïd pour “prise illégale d’intérêts” et “détournement de fonds publics par personne chargé d’une mission de service public”.
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Les plaignants, fondés sur le rejet des pourvois en cassation, ont saisi le tribunal de commerce de Paris afin d’exiger la reconstitution des fonds propres des sociétés Les chamois d’Albiez et DG Holidays. Cela nous a été confirmé par Me Damien Lordier, avocat au barreau de Nancy, qui défend certains propriétaires. En clair, outre 5,8 millions d’euros, Bernard Bensaïd devra vraisemblablement trouver près de 10 millions pour reconstituer les fonds propres.
Dans les faits, DG Holidays est en cessation de paiement depuis au moins 2020. Comme le montrent ses comptes sociaux, consultables en format Excel ici.
DG Holidays dispose d’un capital social de 10 000 euros. Elle a réalisé en 2020 un chiffre d’affaires de 9,79 millions pour une perte nette de 8,36 millions. Pire, elle a accumulé 24,7 millions de dettes, dont 10,3 millions vis à vis de ses fournisseurs, 1,9 million auprès des organismes sociaux et 5,17 millions auprès de ses “associés”. En face, seulement 5,4 millions d’euros de créances…
Il est obligatoire de déclarer une cessation de paiement dans les 45 jours. Cela n’a pas été fait comme le montre l’ordonnance de mise en état prononcée par la Cour d’appel de Chambéry du 23 février 2023. Maintenir en activité une entreprise déficitaire sans reconstituer ses fonds propres épuisés, est-ce bien légal ? N’importe quel chef d’entreprise aurait été lourdement sanctionné. Pas M. Bensaïd. Allez donc savoir pourquoi…
Autre cas édifiant quant aux méthodes de M. Bensaïd est celui de la résidence Le Mariale à Lourdes, commercialisée sous le nom de “Villa Mariale” sous la marque Poppins du “groupe” Avec. Là, c’est à la fois DG Holidays et une autre société gérée par Bernard Bensaïd, DG Urbans, qui sont en cause.
Nous nous sommes entretenus avec l’un des représentants des co-propriétaires de cette résidence, qui souhaite conserver l’anonymat. Voici ce qu’il nous a relaté. Et vous allez constater que c’est tout bonnement ahurissant. Comme quoi à Lourdes, on ne fait pas que des miracles.
DG Urbans a notifié par écrit les co-propriétaires de la résidence Le Mariale le 6 juillet 2015, que DG Holidays lui avait transféré, le 10 avril 2014, son bail commercial signé avec les propriétaires, sans aucune autre information préalable.
Depuis le 1er mars 2011, DG Holidays puis DG Urbans exploite illégalement les lots d'exploitation, accueil, salle de réunion, bureau, vestiaires, remises, salle de remise en forme etc., en infraction avec l'article 5-1 du bail qui prévoyait la signature d'une convention d'occupation avec remboursement à la copropriété des charges inhérentes à leur exploitation, y compris la taxe foncière.
Après plusieurs relances et une assignation, début 2019, sur proposition de Jacob Bensaïd (le fil de Bernard Bensaïd, ndlr), nous avons accepté un paiement partiel pour solde de notre créance, avec signature immédiate de la convention. Bien entendu, l'engagement de Jacob Bensaïd n'ira pas à son terme.
En 2022, nous avons lancé une nouvelle assignation. Depuis, nous avons obtenu deux acomptes à valoir sur notre créance. L'affaire est pendante devant le tribunal de Tarbes.
A fin 2021, le solde de la dette de DG Urbans à l'égard de la copropriété était de 88 000 euros.
En juin 2020, nous avons donné congé à DG Urbans, sans indemnité d'éviction, avec prise d'effet le 31 décembre 2020, échéance du bail.
Depuis, DG Urbans exploite toujours la résidence sans avoir contesté le congé, ni revendiqué une indemnité d'éviction.
L'affaire est pendante devant le tribunal de Tarbes.
Aujourd'hui donc, DG Urbans exploite illégalement l'entièreté de la résidence.
Autre illustration du comportement de M. Bensaïd : en 2012 et 2013, la résidence a subi deux inondations importantes par le débordement du Gave, résultant en 454 jours de fermeture.
DG Holidays, à l'époque, a refusé de payer les loyers, prétextant qu'elle n'avait pas perçu d'indemnités au titre de la garantie perte d'exploitation, bien que les termes de l'article 4.8 du bail l'obligent à souscrire plusieurs polices d'assurances, dont la perte d’exploitation.
Nous avons poursuivi DG Holidays en justice, et nous disposons des preuves qu’elle a bien perçu les indemnités de pertes d’exploitation, payées par l’assureur
.
DG Holidays a perdu en 1ere instance, en appel et en cassation.
Le 21 août 2017, un incendie ravageait les deux étages supérieurs de la résidence (9 étages ), endommageant plusieurs appartements des étages inférieurs. Un résident est décédé dans l'incendie.
Les copropriétaires ont été dégagés de toute responsabilité puisque l'incendie a été causé par l'incendie d'un canapé lui-même incendié par la cigarette d'un résident. Coût du sinistre : 2 millions d’euros.
DG Urbans refuse de payer les loyers des appartements des étages 6 à 9, partiellement endommagés ou entièrement détruits.
Bien évidemment, au delà de sa responsabilité de l'incendie, là encore , DG Urbans a perçu les indemnités de pertes d’exploitation.
J'évalue la créance des propriétaires à environ 750 000 euros à fin décembre 2022.
Je pourrais évoquer des condamnations non exécutées (180 000 euros) qui nous ont contraint, en 2022, à assigner DG Urbans en liquidation judiciaire pour que nous puissions obtenir, avant l'audience, le paiement de nos créances.
Suite à une décision de la cour de cassation rendue en juin 2022, la condamnation à payer 3 000 euros au titre de l'article 700, n’est toujours pas exécutée.
Inutile de vous dire que les agissements de M. Bensaïd génèrent de graves difficultés financières chez beaucoup de copropriétaires qui doivent assumer le remboursement de leur emprunt immobilier, le paiement des charges de copropriété et des impôts locaux, sans parler de l'impact sur leur état de santé.
Nous vous laissons tirer seuls les conclusions de ce qui vient de vous être relaté, en attirant votre attention sur le fait que l’assemblée générale de la société DG Holidays a été prorogée jusqu’au 9 septembre 2022, et que nous ne disposons pas de PV montrant qu’elle a bien eu lieu à cette date. Ses comptes ne sont plus publiés depuis 2020 .
Outre l’année de la ponction de la trésorerie du GHM, 2022 est aussi celle où M. Bensaïd, président du conseil d’administration de la clinique de Chartreuse à Voiron, a fait acter la perte de la moitié du capital social de cette société par actions simplifiées (SAS). Le GHM a racheté cette clinique privée il y a quelques années. Elle est venue dans la corbeille de la mariée au moment de la substitution des mutuelles qui a propulsé Bernard Bensaïd à la présidence du GHM, et par voie de conséquence à celle de la clinique de Chartreuse.
La clinique de Chartreuse, SAS au capital de 1,62 million d’euros, à 10 euros l’action, donc constitué de 162 000 actions. L’Union de gestion du groupe hospitalier mutualiste de Grenoble (UGM-GHM) possède 162 000 actions de cette SAS, pour un montant de 1,62 million.
Par quelle opération du Saint-Esprit Bernard Bensaïd est-il devenu actionnaire à 50 % de cette clinique alors que la totalité des actions sont la propriété du GHM et que son capital a été réduit de moitié ? Contacté par nos soins, Thierry Caron, le secrétaire du Comité économique et social du GHM et délégué syndical FO n’était pas au fait de cette opération.
Après avoir nommé un nouveau directeur au GHM, M. Pascal Bonafini, et s’être fait remplacer à sa présidence par un consultant, M. Paul de Rosen car son contrôle judiciaire découlant de sa double mise en examen interdit à Bernard Bensaïd de gérer un établissement de santé privé d’intérêt collectif (Espic), la société anonyme Avec dont il est le P-DG, va augmenter de 50% le montant de la convention portant sur les services Google, pompeusement baptisés “plateforme Avec”.
Le “groupe” Avec re-facture au GHM à hauteur de 1 euro par jour par utilisateur (soit 30,5 euros par mois) l’accès aux services Google Workspace, sinon coûtant entre 4 et 15 euros par utilisateur par mois selon les fonctionnalités choisies. C’est ce qu’affirme le cabinet ISAST mandaté par le Conseil économique et social du GHM pour étudier l’introduction de “nouvelles” technologies de l’information.
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Ce sont donc 300 000 euros d’augmentation, la convention annuelle se montant à 600 000 euros. Ce qui porte la facturation “conventionnelle” par le “groupe” Avec au GHM à près de 3 millions d’euros.
La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Grenoble a le 16 mars 2023 allégé les modalités du contrôle judiciaire de Bernard Bensaïd, qui n’a plus pour interdiction que de gérer le groupe hospitalier mutualiste. Le parquet de Grenoble, par la voix de François Touret-de Coucy, procureur adjoint, se déclare “satisfait par le maintien du montant du cautionnement à un million d’euros, et de l’interdiction pour Bernard BENSAID d'exercer toute fonction de gérance et de direction de l’union mutualiste pour la gestion du groupe hospitalier mutualiste de Grenoble (UMG-GHM).”
Nous l’avons déjà souligné: cette interdiction de gestion n’est que formelle, puisque le conseil d’administration du GHM est composé d’administrateurs employés par les sociétés de M. Bensaïd et acquis à sa cause, en sus de son épouse, de son fils et de sa fille, également employés par le “groupe” Avec. Tous sont sociétaires des deux mutuelles présidées par Bernard Bensaïd, Doctocare, une coquille vide, et les Mutuelles de France du Var, en redressement judiciaire. Remplacé à la présidence par un consultant qui n’a pas la première idée de la gestion mutualiste et encore moins de celle d’un établissement de santé tel que le GHM, M. Bensaïd reste le dirigeant de fait de l’établissement mutualiste grenoblois.
Nous ne reviendrons pas sur le maquis inextricable que constitue le “groupe” Avec, qui n’est pas un groupe mais une vue de l’esprit de M. Bensaïd. Nous vous laissons le soin de (re)lire notre longue enquête depuis le début. Le premier épisode est ici.
La question lancinante reste de savoir pourquoi l’Etat, et en premier chef Olivier Véran ministre de la Santé, n’est pas intervenu plus tôt alors qu’il était au fait des pratiques de M. Bensaïd, jugées comme potentiellement frauduleuses au point de lui valoir une double mise en examen pour prise illégale d’intérêt et détournement de fonds public.
Pourquoi la société Avec, mise en examen pour le recel des infractions graves (le détournement de fonds publics par personne chargée d’une mission de service public est passible de dix ans de prison) reprochées à M. Bensaïd, continue-t-elle à gérer de fait le GHM, qui n’a pas été placé sous administration provisoire afin de protéger les finances de l’établissement et les patients ?
Il convient également de s’interroger sur l’actuelle circonscription de l’information judiciaire au GHM, alors qu’il s’avère que d’autres sociétés, mutuelles et associations du “groupe” sont peut-être gérées de manière irrégulière. L’édifice baroque que forment les 103 personnes morales dirigées par M. Bensaïd ne mériterait-il pas qu’on enquête sur l’ensemble du système, qui procède de la cavalerie puisque les fonds circulent dans tous les sens entre des entités n’ayant pas forcément de lien capitalistique ou contractuel permettant de les qualifier de groupe ?
D’autant que quand on se penche sur patrimoine immobilier professionnel et personnel de M. et Mme Bensaïd …
Nous analyserons dans un prochain article la manière dont les fonds circulent au sein du “groupe” Avec par le truchement de conventions de compte courant d’associé et de trésorerie, instrument à haut risque. Et nous nous pencherons sur le cas ahurissant d’un hôtel Mercure transformé en résidence hôtelière en région parisienne gérée par DG Urbans, condamnée à de multiples reprises avec jugement exécutoire, sans ne s’être jamais exécuté de sommes supérieures au million d’euro. Alors que cette résidence est sous-louée par DG Urbans à l’association Alteralia qui y loge des mineurs non-accompagnés, constituant un changement de destination fâcheux du bâtiment. Le tout financé par les deniers publics…