[ Analyse ] L'UE étrangère aux affaires
La Cour des comptes européenne vient de publier son rapport sur le Service européen d'action extérieure. A mots couverts, elle décrit une gigantesque usine à gaz.
Bruxelles n’informe pas ses “ambassades”, ne dispose pas de système de communication réellement sécurisé, ni même d’archives électroniques accessibles aux fonctionnaires dans de bonnes conditions. Service diplomatique européen ou Club Med faisant doublon avec les diplomaties des Etats membres ?
Le rapport de la Cour des comptes européenne (CCE) sur le fonctionnement du Service européen d’action extérieur (SEAE) met crûment en lumière l’inanité de la bureaucratie bruxelloise. Notons tout d’abord que la CCE met des guillemets à “ambassades”, à juste raison puisque l’UE n’est pas un Etat souverain reconnu par l’Onu et siégeant à son assemblée générale, mais une organisation intergouvernementale, qui ne peut donc disposer d’ambassades ou de légation. D’où le terme de “délégation”.
Issu du traité de Lisbonne et de la réforme de 2010, le SEAE est un service du Conseil européen, seul organe décisionnaire de l’UE composé des chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres. La Commission européenne ne dispose d’aucune prérogative en matière de politique étrangère et de sécurité commune, qui relève des 27 Etats souverains – tenez donc ! – membres de l’UE. La souveraineté européenne n’existe même pas encore dans les traités.
La CCE nous apprend que le SEAE, s’il se coordonne bien avec le Conseil (manquerait plus qu’il ne le fasse pas puisqu’il en fait partie) et la Commission (qui y détache des fonctionnaires), dysfonctionne dans ses relations avec ses propres démembrements que sont les délégations de l’UE à l’étranger. Nous avons donc un service diplomatique qui est incapable de faire de la diplomatie.
“Les délégations de l’UE contribuent à l’élaboration de la politique étrangère de l’UE par les rapports politiques qu’elles soumettent régulièrement au siège du SEAE. Cependant, ces communications sont souvent à sens unique et les délégations ne bénéficient pas d’un retour d’information suffisant et en temps utile. Les retours du siège sur la planification annuelle laissent également à désirer et certains ambassadeurs attendent toujours une lettre de mission pour leur mandat. Les délégations reçoivent toutefois des instructions claires du siège sur les efforts diplomatiques (ou “démarches”) à déployer, par exemple en amont d’un vote à l’Onu”, écrivent les auditeurs européens.
Près d’un quart des “ambassadeurs” de l’UE n’ont pas reçu de lettre de mission, document qui explicite les objectifs précis de la politique extérieure de l’UE dans leur pays de résidence. Ces chefs de délégation naviguent donc à vue. Les auditeurs de la CCE décrivent en toutes lettres une déconnexion du siège du SEAE et des délégations en matière de planification.
Tout est décidé au sommet, à Bruxelles, par des gens qui ne voient pas, ne savent pas et ne cherchent pas à savoir puisque les retours des délégations ne sont pas pris en compte, alors que ceux qui voient et savent sont condamnés à rester muets. Il n’y a donc aucune politique étrangère de l’UE puisqu’elle ne se matérialise pas pays par pays. La diplomatie déclaratoire non suivie d’actes n’est pas de la diplomatie mais du bavardage.
Pire, on apprend à la lecture de ce rapport que le SEAE ne dispose pas de système de communication sécurisé (l’envoi de télégrammes diplomatiques nécessite des chiffreurs, agents spécialisés opérant des chiffrement très durs), qui est pourtant l’épine dorsale de tout service diplomatique. Si l’on ne peut communiquer secrètement, si nos interlocuteurs étrangers peuvent voir les cartes que nous avons en main et connaître la manière dont nous comptons les utiliser, est-il encore possible de défendre nos intérêts ? Est-il encore utile de négocier ?
Rajoutons pour prendre la mesure de l’escroquerie le fait que le gros des troupes du SEAE est constitué de fonctionnaires nationaux qui y sont détachés. A part placer des agents des services de renseignement sous couverture diplomatique européenne et offrir de meilleures carrières aux mauvais diplomates nationaux à moindre coût (c’est le budget de l’UE qui paie leurs indemnités de résidence), l’existence du SEAE justifie-t-elle son budget de fonctionnement annuel de plus d’un milliard d’euros ?
Pour ce prix là, le Service européen d’action extérieur ne dispose même pas d’un système d’archives efficace. Faire de la diplomatie sans mémoire, c’est du jamais vu.
Le SEAE est un avatar supplémentaire de la névrose bureaucratique et nombriliste bruxelloise. Tout n’y est que haut niveau et ne dépasse pas le ring (le périph’) de la région – capitale belge. Nous avons réussi l’exploit de reproduire le système de profonde corruption politique de Washington sans les réels et puissants contrepouvoirs qui existent encore aux Etats-Unis. Nous avons laissé croître une inutile et inefficace technocratie. Ça doit être cela la fameuse “souveraineté européenne”.
N’en déplaise à Gabriel Attal qui vient de réciter son discours de politique générale, resucée de la catastrophique conférence de presse “gaullienne” d’Emmanuel Macron. Il n’y a aucun lien mécanique entre la puissance de la France et de l’Union européenne.
“C’est grâce à l’Europe que nous parviendrons à consolider notre souveraineté. Moins d’Europe, c’est moins de puissance pour la France. Ceux qui prônent la fin de l’application des traités sont les partisans d’un Frexit déguisé”, pérore le nouveau locataire de Matignon. Preuve s’il en est qu’il ne fera rien pour l’agriculture française, qu’il n’ira pas taper du poing sur la table à Bruxelles.
Tout cela est très confus dans la tête du (trop) jeune premier ministre, qui semble ne pas maîtriser les concepts qu’il entend manier. Gabriel Attal mélange tout et ne fait qu’aligner des poncifs sans liens logiques entre eux. Démonstration.
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