[ Edito ] Disclose au gnouf
Quand le journalisme effectué au sein d'une ONG financée par des fondations dérape, c'est la garde à vue. "Etonnant, non ?" aurait dit Pierre Desproges.
Arianne Lavrieux, journaliste spécialisée dans “les transformations sociétales et combats portées par les femmes, les jeunes et les minorités religieuses et culturelles”, a été perquisitionnée par la DGSI et mise en garde à vue à l’Evêché, l’hôtel de police marseillais, dans le cadre d’une enquête sur les fuites concernant l’opération Sirli menée par la Direction du renseignement militaire (DRM). Un ancien personnel de l’armée française a également été interpellé et placé en garde à vue dans la même affaire. Atteinte inadmissible à la liberté de la presse? Que nenni.
Nous avions à l’époque de la parution de l’enquête de Disclose fait part de notre perplexité relative à la manière dont est financée cette ONG (Disclose est une association). Perplexité que nous avions également exprimée quant aux voies par lesquelles lui seraient parvenus quelques documents classés confidentiel défense. Citer une source qui visiblement s’exprime en franglais en titrant “Le silence n’est plus une option” (silence is not an option), c’est ballot, c’est grossier.
La grande presse avance qu’Ariane Lavrieux aurait révélé le scandale du “détournement” de la coopération militaire antiterroriste entre la France et l’Egypte. Avez-vous vu un scandale ? Etiez-vous au courant ?
L’Egypte aurait utilisé les données issues de la surveillance effectuée à haute altitude par la DRM pour frapper des contrebandiers, des “civils”, non pas des djihadistes, nous dit-on.
En parlant de frapper des civils, rappelons que les assassinats ciblés ordonnés par Barack Obama dans la ceinture tribale pachtoune au Pakistan ont eut un “taux de rendement de 4%”, c’est à dire que 96% des victimes de ces frappes par drone étaient de parfaits civils innocents …
Dans la région en question, l’ensemble des djihadistes, des civils, sont des contrebandiers: il faut bien vivre. Ces djihadistes-contrebandiers ont tendance à traiter la concurrence à la Kalachnikov et au RPG7 le tout au nom de Dieu, d’où la multitude de groupes faisant allégeance, histoire de pouvoir continuer leur business contre une dîme et un accès à de l’armement, du carburant etc.
Avant de relever du terrorisme, il s’agit en l’espèce de crime organisé, constitué sur une base principalement tribale. Lundi trafic d’armes; mardi trafic de stupéfiants; mercredi trafic d’êtres humains; jeudi, trafic de cigarettes; vendredi c’est jihad; samedi repos, et dimanche on recommence. Une chamelle n’y retrouverait pas ses petits: cela n’est valide que si l’on considère les frontières comme valides…
Quand on traite ce type d’affaires, être spécialisé dans “les transformations sociétales et combats portées par les femmes, les jeunes et les minorités religieuses et culturelles”, disposer de points de chute en Egypte et parler un peu d’arabe ne suffit pas. Il faut une connaissance profonde du contexte, de l’environnement. Il faut connaître les rouages et les processus de prise de décision au sein des services, français comme égyptiens, l’histoire de leurs relations etc. Il faut être capable de vérifier l’information auprès de sources de haut niveau, sources avec lesquelles des liens de confiance auront été établis. Cela demande des années, du moins si l’on souhaite faire du bon travail, c’est à dire comprendre la nature et rapporter la réalité du matériau sensible qu’on a entre les mains. Concept de la grenade dégoupillée: si on lâche la cuillère, boum !
Ensuite, vient l’impérieuse nécessité de savoir quoi rapporter. Un journaliste ne peut ni légalement ni déontologiquement publier des informations qui permettrait d’identifier une personne comme membre d’un service de renseignement français. C’est un délit. Si le secret des sources est garanti par la loi, le journaliste a le devoir moral en retour de protéger ses sources.
Or Disclose a allègrement présenté les documents estampillés confidentiel défense comme émanant d’un “lanceur d’alerte” au sein du ministère de la défense, alors que cela n’apporte rien à son enquête si ce n’est la dose de moraline à l’origine des déboires judiciaires d’Ariane Avrilleux.
Soit la source choisit d’être un lanceur d’alerte, donc d’agir publiquement et de faire face aux conséquences de ses actes, comme Edward Snowden. Soit elle fait le choix de rester dans l’ombre et le journaliste œuvre à ce que l’origine des documents, dont il n’aura pas accepté la transmission, soit difficile à déterminer pour protéger sa source. Dans les deux cas, le journaliste est raccord avec la loi. La justice ne pourra que difficilement se pencher sur son cas et le secret des sources pourra être invoqué. Le pire qui puisse lui arriver, outre une surveillance électronique pas forcément légale et aisément contournable, est d’être approché par un agent de la DGSI pour une “discussion informelle”.
Quand on publie des documents classés confidentiel défense et une longue interview de la source anonyme qui se répand sur ses motivations (dont on se contrefiche car elles n’apportent rien aux faits), il est logique de finir en garde à vue, car alors pèse sur le journaliste un réel soupçon de complicité de violation du secret de la défense nationale. A moins que le lanceur d’alerte ne soit qu’une légende visant à dissimuler une autre origine des documents, bien entendu. Les journalistes ne bénéficient d’aucune immunité. On ne peut pas commettre d’infraction pénale au nom de la liberté d’informer.
La grande presse, unanime, hurle à l’atteinte au secret des sources. Elle n’a rien compris : la loi est constante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et a été récemment renforcée. En revanche, quand l’objectif n’est pas d’informer le public mais de satisfaire de grands donateurs (fondations dont l’Open Society de Soros ou Amnesty International) et de recueillir les dons du quidam, se situe t-on encore dans le journalisme ? Dénoncer pour mendier, est-ce informer ?