[ Edito ] La démocratie, quelle avanie !
L'élection de Javier Milei à la présidence de l'Argentine fait couiner le ban et l'arrière ban de la bien-pensance française. Même les souverainistes s'y mettent.
Imaginez-vous qu'un peuple a encore mal voté ! Les Argentins, ces saligauds de gauchos mal dégrossis (non, pas ceux-là, les vrais, ceux qui rassemblent le bétail à cheval dans la pampa) ont élu président de leur pays à 56% des suffrages Javier Milei, le "nouveau Trump" - ou le nouveau Bolsonaro, au choix.
Cet asticot à la coupe de cheveu façon Elvis à Las Vegas a commencé par arracher d'un tableau les noms de tous les ministères qu'il juge inutiles : sports et tourisme; culture; environnement; femmes et diversité; équipement et travaux publics; sciences, technologie et innovation etc. A la tronçonneuse il entend tailler dans les administrations qui, d’après lui, sont responsables de la déconfiture économique de l’Argentine qui dure depuis trente ans. Au fou, s'esclame-t-on sur tous les plateaux. Au fou d'extrême droite !
Il est distrayant de voir, par exemple, les chantres du souverainisme que sont George Kuzmanovic et Guillaume Bigot pester sur ce peuple argentin qui n’a pas fait le bon choix. La souveraineté ne commence-t-elle pas par celle des autres ? Un peuple a la liberté de se tromper souverainement, Messieurs ! Un peuple peut choisir souverainement de renoncer à sa souveraineté. Le problème de la France est que les Français n’ont pas renoncé souverainement à leur souveraineté, on le leur a imposé en infraction avec leur décision souveraine exprimée par voie référendaire en 2005. Ne pas projeter nos défaillances sur les autres nous évitera bien des déconvenues.
Est-il bien nécessaire de mentionner Sandrine Rousseau qui vient d’inventer le concept de “carbone-fascisme” ?
Javier Milei est certes un ultra-libéral – en fait un libertarien économique dur au point d’être caricatural – qui pense que moins il y a d’Etat, mieux c’est, tout en développant un discours sociétalement très conservateur. Ses prises de postions sont radicales. C'est un populiste de droite dans la plus pure tradition argentine mais, pour une fois, sans le militarisme. Cela veut-il pour autant dire que ce qu'il avance est sans intérêt ?
Les ministères qu'il compte supprimer sont soit ceux qui permettent à certains de se goinfrer alors qu'ils n'apportent pas grand-chose à la société, soit les ministères qui sont à l'origine du clientélisme politique, soit les ministères qui sont à l'origine de la corruption publique. Pas de minces affaires en Argentine et dans le reste de l’Amérique latine. Chez nous non plus.
Prenons notre ministère de la culture, qui subventionne grassement non pas la création artistique, non pas les artistes (seuls certains artistes officiels) mais dans les faits les producteurs de cinéma, de musique, de spectacles, les éditeurs etc. Ce sont des secteurs "industriels” où la concurrence pour les faveurs du public est une excellente chose car poussant à la qualité.
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, les bouquins de Marc Lévy sont bien ficelés, sinon personne ne les lirait. Il ne s’agit peut-être pas de grande littérature germanopratine intellectuelle et obscure (c’est la postérité qui décide la grandeur d’une œuvre, pas la presse parisienne), mais les gens les lisent. Et il vaut mieux qu’ils lisent Marc Lévy qu’ils ne lisent pas du tout. Quel mal y a-t-il à divertir puisque l’art est avant tout une diversion – de notre condition humaine, de la grisaille quotidienne, de notre humeur du moment etc. – visant à stimuler nos sens et notre imagination ? Au nom de quoi devrait-on imposer à quiconque quoi lire, écouter et regarder de manière insidieuse, à la source, en stipendiant certains plutôt que d’autres ? Pourquoi ne laisse t-on pas le public choisir? Comment? Ah, il choisit toujours “mal”…
La médiocrité aboutie du cinéma français, de la musique française, de tout ce qui relève de la culture dite populaire, donc industrielle ? Ne cherchez pas plus loin : les rentes distribuées n'appellent qu'à leur reconduction et donc à ne pas heurter ceux qui les accordent. Le ministère de la culture ne devrait-il pas d'abord se concentrer sur la préservation de notre patrimoine matériel et immatériel plutôt que de se mêler d'activités économiques à but lucratif relevant de la consommation de masse ?
Prenez la presse subventionnée, qui ne travaille pas pour le public, pas pour les lecteurs mais pour ceux qui lui accordent prébendes sur le dos du contribuable et pour les intérêts économiques qui la détiennent. Le montant des subventions, heureux hasard, est très proche de la masse salariale, quel que soit le titre considéré. Sans subvention, on est dans l'obligation de se poser la question de ce qui importe au lecteur plutôt que de chercher à complaire aux pouvoirs détenteurs du carnet de chèques.
Ce que de manière foutraque Javier Milei montre, c'est l'existence de systèmes de pouvoir qui ont une fâcheuse tendance à ne servir que ceux qui en font partie, non pas l'ensemble de la société. Et que ces systèmes aujourd’hui saignent à blanc les hôtes sur lesquels ils vivent. Il pointe du doigt l'absurdistan bureaucratique qui, contrairement aux idées reçues, n'est pas le fruit du hasard ou de l’incompétence mais de l'agrégation par voie de règlements d’une multitude intérêts aussi particuliers et qu’étroits. Javier Milei le fait à sa manière outrancière, qu'on peut goûter ou pas, selon l’idéologie qui est la sienne, à laquelle on peut adhérer ou pas. Cela reste l’affaire du seul peuple argentin, qui seul fera face aux conséquences de son choix.
Qu'on soit de droite ou de gauche, on conviendra que la démocratie n’est pas la dictature de la majorité et que l'Etat doit être fermement circonscrit au domaine qui est le sien et ne pas se mêler, par exemple, des libertés et de la vie privée des citoyens. L'Etat doit par nature avoir des limites et le contenir dans ces limites demande une vigilance de chaque instant qui n’est plus exercée par ceux que le peuple a élu pour le représenter ni par la presse dont c’est l’une des fonctions. L'Etat français et les institutions européennes aujourd'hui se mêlent de tout, signe de leur faillite à remplir convenablement les missions qui leur incombent. Missions qui ne consistent pas à s'assurer que les gens se comportent comme les pouvoirs l'ont décidé mais à proposer - et non pas à imposer - les conditions d'un développement social, économique et culturel harmonieux et juste. Vous savez, le contrat social…
Les Argentins ont élu Javier Milei. C'est leur choix souverain. Au lieu de les vouer aux gémonies, si on les écoutait et si on jugeait Javier Milei à l'usage ? Après tout, l'Argentine n'est pas la France. Mais notre classe politico-médiatique a en permanence besoin d'agiter des épouvantails pour exister. La presse aussi : forcément, ce ne sont pas ses lecteurs qui la financent et elle n'a pas pour raison d'être d'informer le public. Ceux qui la contrôlent lui ont assigné comme rôle de former l'opinion publique à leur profit.