[ Edito ] Le harcèlement, c'est maintenant !
Va t-on laisser les élèves remplir une auto-évaluation de harcèlement ? Conditionnement qui rappelle les auto-attestations de sortie durant la Covid et sacre l'auto-déresponsabilisation de l'Etat.
L'idéal ne serait-il pas de pucer tous les élèves, de leur greffer un micro dans le cuir chevelu et une caméra dans le sinus dès l'entrée en CE2 ? Allez, caméra-piéton pour tout le monde durant la récré, comme les flics !
Les souffre-douleurs, les têtes de turcs ont toujours existé, et existeront toujours. Les enfants sont cruels parce que l'empathie comme moyen de réguler son comportement prend des années à maîtriser. Certains, sociopathes, n’y parviennent d’ailleurs jamais.
Jadis, quand les adultes ne bougeaient pas, un souffre-douleur subissait en silence jusqu’à ce qu’il décoche un beau jour à son corps défendant une mandale à l'un de ses harceleurs. Même s'il se faisait rosser par la suite, par le seul fait de s'être levé, le souffre-douleur avait cessé de l’être. Qu’existe t-il de plus puissant qu’un être humain qui se lève, que ce soit pour lui-même, pour d’autres ou pour Danette ? Cela nous a donné un des monuments de la littérature française, prémonitoire des champs d’horreurs de 1914-1918, et plus tard, en 1962, du cinéma populaire : La guerre des boutons. Louis Pergaud et Yves Robert doivent l’avoir amère dans leur tombe, eux qui ont si bien sérié ce qu’un jour nous avons tous été et qu’on tente aujourd’hui d’empêcher d’autres d’être. La nature humaine ne varie pas ? L’être humain, lui, change.
Ainsi, quand faillissent de hauts fonctionnaires et ceux qui les servent, dont le rôle est aussi d’encadrer les rapports entre élèves et de s’assurer que l’école soit un sanctuaire où les vicissitudes du monde extérieur ne viennent pas troubler l’apprentissage, on fait porter le chapeau aux marmots. A eux de s’auto-évaluer, apex de l’utilitarisme. Et qui donc dépouillera, exploitera ces “auto-évaluations” ? McKinsey ? Une intelligence artificielle ?
Quand un Etat inapte mais intervenant dans tout est incapable de présider à la résolution de bagarres de cour d'école, comment pourrait-il endiguer la montée continue de la violence dans la société, s’attaquer à la pauvreté qui touche aujourd’hui plus de 20% des Français qui ne font pas trois repas par jour ou éviter qu’un conflit meurtrier comme celui en Ukraine, aisé à prévenir, ne survienne ? Cet Etat est-il encore un Etat ?
Mais crénom d’un petit bonhomme ! Les professeurs des écoles passent en moyenne 7 heures par jour devant les élèves, ceux des collèges et lycées plusieurs heures par semaine, et nul ne serait capable de déceler qu’un gosse ne va pas bien, soit malade, affamé, harcelé ou maltraité ? Tout se voit chez le minot, encore plus chez l’ado. Ils n’ont pas de filtre. Les enseignants seraient indifférents, ce qui ferait d’eux des schizoïdes ayant choisi leur métier pour les quatre mois de vacances qu’il procure ? Qui ose le croire un seul instant ?
L’administration de l’éducation nationale est la première responsable du découragement et de la lassitude des enseignants, de la vermoulure de cette institution. L’institution n’est pas le ministère, c’est le corps enseignant. Cette administration est la mère de tous les maux de l’école, donc d’une grande partie des maux futurs de notre société.
Organisation jésuitique (sois un cadavre entre les mains de tes supérieurs) et profondément dysfonctionnelle, elle a accompli la gageure de déshumaniser l’acte pourtant profondément humain d’enseigner, qui ne se limite pas à la transmission de savoirs mais parfois à remédier un peu aux plaies de l’âme des gosses à défaut de pouvoir améliorer la condition de leurs parents. A leur faire entrevoir qu’un jour ils deviendront un être complet capable de libre arbitre, apte à choisir en toute responsabilité de faire ce que la société considère comme le bien ou le mal, à décider de ne pas faire subir aux autres ce qu’ils ont subi – bref, un citoyen.
Cette administration, ce mammouth bien trop gras, ne protège que lui-même, pas les élèves, ni les enseignants. Et encore moins l’école, qu’elle n’est pas. Plutôt que de regarder en face ses turpitudes, ses faillites, ses errements, elle va faire porter à des enfants un chapeau que les oreilles les plus décollées ne retiendront pas. Elle va faire ployer leurs cous sous le fardeau d’une introspection dont peu d’adultes sont capables. Pour que puisse continuer à bruisser les manches de lustrine sur les buvards immaculés des bureaux sombres et poussiéreux, en attendant la pantoufle ou la retraite.
Une “auto-évaluation” de harcèlement, alors que des enfants de ces âges ont bien du mal à distinguer la honte de la colère, le ressentiment de la souffrance. Ressort implacable de conditionnement, en tout point analogue à l’auto-attestation de sortie durant les confinements. Après presque deux ans masqués toute la journée alors qu’on savait que cela n’avait strictement aucune utilité, vient l’injonction d’avoir pleine conscience de soi, des autres et du monde à partir de 8 ans ! Ce n’est pas l’école de la République que l’on nous prépare, mais le Lebensborn.
Ce n'est pas le Lebsensborn, car il ne s'agit pas d'élever une élite. À l'inverse, l'école actuelle en France a pour mission de fabriquer de la MHI, de la Matière Humaine Indifférenciée, des quasi-esclaves.