Essais nucléaires : le parlement russe révoque sa ratification de l'accord international
TRIBUNE - La Russie s'est retirée d'un traité que plusieurs Etats, dont les Etats-Unis, n'ont jamais ratifié. Par Oleg Nesterenko.
En Occident, nous sommes très enclins à annuler tout ce qui ne va pas dans notre sens. Ce qui ne va pas dans notre sens n’existe pas. Or, un événement d’une portée stratégique considérable est survenu il y a peu, passé sous silence par la grande presse. Le Parement russe vient de retirer sa ratification du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires qui est, avec le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, l'un des trois traités de portée universelle.
Une broutille. Qui n’existe pas. Puisque les USA n’ont jamais ratifié ce traité.
Les armes nucléaires, elles, existent bien. On ne peut pas les “cancel”. D’où l’impératif de bien comprendre le point de vue russe, afin d’éviter les erreurs de calculs pouvant mener à l’apocalypse.
Nous reproduisons avec son autorisation un article d’Oleg Nesterenko – qui avait déjà contribué à éclairer le dossier ukrainien dans nos colonnes, série de trois articles à lire ici – paru dans le quotidien algérien El Wattan.
Oleg Nesterenko connait bien son sujet, lui qui après avoir enseigné plus de dix ans en école de commerce en France, préside à Paris le Centre de commerce et d'industrie européen. Un centre de soutien et d’accompagnement africano-franco-russe, un peu à la manière des chambres de commerce et d’industrie, dont le cœur de métier est le conseil économique mais aussi sécuritaire auprès des acteurs politiques et économiques. Ce n’est donc pas le Russe de la rue qui parle, mais un homme rompu aux affaires et à la politique internationale, et jusqu’en Afrique où il endosse parfois le costume de conseiller politique.
Traité d’interdiction complète des essais nucléaires : le Parlement russe révoque sa ratification
Par Oleg Nesterenko
Après la suspension le 23 février 2023 par la Fédération de Russie de sa participation au traité sur la réduction des armements stratégiques offensifs Start-II/SNV-III – qui n’est que la suite logique et prévisible découlant du nouveau caractère des relations russo-occidentales instaurées depuis le début de l’année 2022 face à la menace déclarée et partiellement mise en œuvre par l’Occident collectif américano-centrique – la Russie a légalement décidé de la suppression des restrictions au développement de son armement stratégique. C’est un nouveau pas significatif qui a été entrepris par Moscou dans le renforcement de sa sécurité nationale.
Suite au vote à la majorité absolue de la Douma d'État (chambre basse de l’assemblée fédérale/parlement de la Fédération de Russie) le 18 octobre dernier en faveur de la révocation de la ratification russe du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE), et suite au vote à l’unanimité le 25 octobre, par le Conseil de la Fédération (chambre haute) dans le même sens, il ne manque que la signature du président Vladimir Poutine pour promulguer cette dénonciation.
Le président de la Douma Viatcheslav Volodine a déclaré que le projet de loi avait été signé par 438 des 450 députés, soulignant qu’un consensus d’une telle ampleur est assez rare et n’est qu’une réponse à l’attitude grossière des États-Unis quant à leurs responsabilités dans le maintien de la sécurité mutuelle mondiale.
De son côté, le premier vice-président de la Commission des affaires internationales du Conseil de la Fédération, Sergey Kislyak, a déclaré : “l’article sur la ratification du traité d’interdiction complète des essais nucléaires de la loi fédérale de l’an 2000 a été abrogé. Les autres dispositions de la loi qui concernent la mise en œuvre du traité d’interdiction complète des essais nucléaires et la participation de la Fédération de Russie à celui-ci, restent inchangées”.
Pour le sénateur, le TICE est un instrument important dans le domaine du contrôle des armements et de la non-prolifération des armes nucléaires. “C’est ainsi que notre pays a considéré ce traité pendant toutes ces années, en demandant l’adhésion de tous les États à ce dernier. La révocation de la ratification n’empêche pas la poursuite d’une approche constructive. La Russie reste un État signataire avec tous les droits et responsabilités que cela implique”.
La Fédération de Russie, comme les Etats-Unis d’Amérique, a signé le TICE le 24 septembre 1996 en comptant, comme le reste de l’humanité, qu’il deviendrait un instrument juridique international majeur interdisant tout type d’essais nucléaires et mettrait fin, à tout jamais, au danger de l’apocalypse nucléaire qui a plané sur le monde durant la guerre froide.
Toutefois, un accord international n’est valide et n’entre en vigueur qu’à sa ratification par tous les pays signataires, sans quoi il n’a pas plus de valeur juridique qu’une simple déclaration d’intention. Moscou a ratifié son engagement le 30 juin 2000. Washington ne l’a jamais fait. La politique du deux poids-deux mesures des États-Unis et leur irresponsabilité chronique face aux questions de la sécurité internationale ont détruit l’esprit même du TICE. Vingt-sept années sont passées, il n’est toujours pas rentré en vigueur aux USA. Avec le retrait de la ratification de la Russie, première puissance nucléaire mondiale, ce traité peut être considéré comme caduc.
Une telle attitude arrogante de l’Etat américain est fondée avant tout sur la croyance d’être la nation indispensable, l’élue de Dieu pour gouverner le monde à tout jamais. Les traités internationaux ne sont valides que pour les nations inférieures. Croyance, qui est aussi profonde que l’ignorance non seulement du destin peu enviable qu’ont connu tous les empires du passé, mais également de sa propre histoire. L’ignorance qui lui fait oublier l’humilité pouvant rappeler la réalité historique : les seules capacités et aptitudes possédées par les Etats-Unis d’Amérique ont été jusqu’à il y a deux cent ans de faire cultiver le coton par des esclaves et de perpétrer des massacres à grande échelle des populations indigènes de leur continent, afin de voler leurs terres et leurs ressources.
Malgré la propagande menée par le pouvoir “atlantiste” via les médias mainstream occidentaux accusant la Russie de casser l’architecture de sécurité nucléaire mondiale, la réalité est bien différente : l’initiative russe n’est qu’une réponse mesurée et logique à la stratégie belliqueuse américaine concernant les armements nucléaires.
La non-ratification du TICE par les Etats-Unis n’est nullement la seule initiative américaine afin de maintenir le monde dans la tension du danger permanent d’une guerre nucléaire. Washington est déjà l’auteur du retrait, en juin 2002, du traité ABM sur la limitation des systèmes de défense contre les missiles balistiques ; du retrait en mai 2018 de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien ; du retrait en août 2019 du traité INF sur les missiles nucléaires à portée intermédiaire, ainsi que du retrait en mai 2020 du traité “Ciel ouvert” sur la vérification des mouvements militaires et de la limitation des armements.
Ce n’est pas depuis le début de la guerre en Ukraine, mais depuis plus de vingt ans que les Etats-Unis d’Amérique mènent une politique de désengagement vis-à-vis d’obligations internationales prises auparavant : le retrait unilatéral de l’intégralité des accords internationaux portant sur le contrôle des armements nucléaires, hormis celui sur la non-prolifération signé en 1968, et celui de Start-II.
En constatant cela, la Fédération de Russie est en train de renforcer sa force de dissuasion nucléaire qui est considérée, à juste titre, comme un élément suffisant pour assurer la mission qui est la sienne : dissuader des adversaires d’engager leurs forces armées dans une confrontation directe avec la Russie, ce qui, selon la doctrine russe en vigueur, mènerait à des frappes nucléaires de représailles sur des cibles stratégiques ennemies.
Plusieurs autres pays disposant de l’arme nucléaire n’ont pas ratifié le Traité, voire ne l’ont jamais signé : Israël, la Corée du Nord, la Chine, le Pakistan et l’Inde. Mais c’est bien aux Etats-Unis que s’adresse le message de la nouvelle position russe vis-à-vis des essais nucléaires. Les Etats-Unis, de plus en plus agressifs sur la scène internationale, voient l’effondrement imminent de leur domination politico-militaire mondiale qui résulte de la fin inéluctable de la domination monétaire américaine et du système des pétrodollars instauré en 1979.
Dans le cadre de la lutte des Etats-Unis pour leur survie en tant que puissance dominatrice, l’intensification de leur agressivité vis-à-vis du reste du monde et la création de nouveaux conflits armés seront proportionnels à la diminution de leur suprématie.
Les déclarations de Moscou stipulant que de nouveaux essais d’armes nucléaires n’auront lieu du côté russe qu’en réponse à l’accroissement de l’hostilité occidentale envers la Russie, dont d’éventuels essais nucléaires par les Américains, ne peuvent être considérées autrement que comme une mise en demeure avant le début des essais des nouvelles armes nucléaires révolutionnaires en possession des forces armées de la Fédération de Russie.
Un nouvel équilibre géostratégique, dorénavant inévitable, est en train d’être instauré. L’équilibre ne sera plus basé sur des accords, des traités et des partenariats entre la Russie et l’Occident, mais sur l’exacte parité militaire entre les parties.
Et pendant ce temps là…
Une arme nucléaire 30 fois plus puissante que celle d’Hiroshima n’est pas une arme “tactique”. En matière d’arme nucléaire, le niveau tactique n’existe pas.
la création de nouveaux conflits armés seront inversement proportionnels à la diminution de leur suprématie