[ Fête des tuiles ] La probité selon Eric Piolle
Question et jugement à suivre : Eric Piolle pouvait-il faire valoir la protection fonctionnelle au titre de maire ? Et faire payer au contribuable le coût de ses procès, au bas mot 15 000 euros ?

Condamné pour favoritisme 1, Eric Piolle, maire de Grenoble, a fait comprendre qu’il ne démissionnerait pas. “Il n’y a pas d’atteinte à ma probité même si évidemment pour un honnête homme, c’est désagréable, il y a un préjudice moral, d’avoir une peine même légère même avec sursis”, a-t-il déclaré à la presse après la décision de la cour d’appel de Grenoble le condamnant à une amende de 8 000 euros avec sursis.
De fait, rien n’oblige Eric Piolle à rendre son écharpe de maire. Si ce n’est tenir ses engagements. On se rappelle qu’en campagne en 2013 pour son premier mandat, le candidat avait signé la charte Anticor, laquelle réservait un de ses articles au traitement des atteintes à la probité. A son article 7, l’association anti-corruption, qui a perdu son agrément mais c’est un autre sujet – quoique, peut-être pas complètement mais on ne va pas digresser ici – préconisait le “retrait temporaire des délégations d’un élu mis en examen, et (le) retrait définitif en cas de condamnation”.
Faut-il attendre d’Anticor qu’elle remette le maire de Grenoble dans le droit chemin ? Plus de 24 heures après la décision de la cour d’appel, l’association s’était contentée de relayer l’article du Dauphiné Libéré sur les réseaux sociaux, sans aucun commentaire. Mais cette charte n’ayant aucune valeur juridique, la signer n’engageait à pas grand-chose. Quant au service après-vente, il a fait le minimum.
Six ans après, en 2019, l’association était nettement moins emballée en dressant le bilan de ces engagements. En cause, l’absence de commission éthique (question réglée depuis, la loi imposant aux communes de plus de 10 000 habitants de disposer d’un déontologue mais aussi d’un référent éthique) comme le fait de ne pas confier la présidence de la commission des finances à un élu de l’opposition. Un bilan mi-figue-mi-raisin, avec quelques bons points, mais sans un mot, voire plus, quant au respect de la probité… Rappelons qu’en 2019, il y avait déjà eu des articles dans la presse sur les errements de la Fête des tuiles mais surtout le rapport de la chambre régionale des comptes dont le signalement a conduit à l’ouverture de l’enquête préliminaire…
Interrogé à ce sujet pour Place Gre’net en 2019, le coordinateur des groupes locaux d’Anticor reconnaissait que l’association n’avait pas déposé de plainte et s’était encore moins constituée partie civile. Rappelons là aussi (le contexte est important) que sur le dossier de la Fête des tuiles, toutes les parties civiles ont été refusées, exception faite de la Ville de Grenoble… représentée par un élu de la majorité et proche du maire de Grenoble.
En fait, seule l’antenne lyonnaise d’Anticor avait à l’époque fait un signalement (groupé, de plusieurs dossiers grenoblois) au préfet de région. “Notre intervention dépend de l’avancée du dossier. Si aucun signalement n’est fait, Anticor en fait un. Si on nous demande en soutien à une procédure judiciaire, non, on ne se greffe pas dessus, justifiait alors Didier Malmoux. Par contre, si un dossier vient à s’enterrer, on peut faire un courrier au procureur ou se constituer partie civile. C’est aussi une question de moyens, humains et financiers.”
Quatre ans plus tard, à Grenoble, on continue les contorsions. Eric Piolle ne voit semble-t-il dans sa condamnation aucune atteinte à sa probité. Et tant pis si le code pénal (article 432-10 et à suivre) ne laisse aucune place au doute : le délit de favoritisme relève bien des atteintes à la probité. Pas pour Grenoble en commun, le groupe municipal (dont le chef de file est Eric Piolle) qui a une définition plutôt réductrice du champ des délits.
Dans sa charte éthique publiée en février 2020, Grenoble en commun dédie un chapitre à la probité. Qu’est-ce le groupe de la majorité municipale y range ? La signature et le respect de la charte de l’élu local (on vous fait grâce de l’écriture inclusive histoire de ne pas alourdir le propos) comme la sensibilisation des élus au respect de la neutralité des agents publics.
Sur les tablettes également, la mise en place d’un plan de prévention de la corruption avec cartographie des risques, formation, code de conduite et recueil des alertes. En théorie, car en pratique, les bonnes intentions pêchent là aussi sérieusement. Le 22 mars dernier, l’association Transparency international (qui a toujours son agrément, fin de l’aparté) réclamait que lui soit communiqués la cartographie des risques d’atteintes à la probité ainsi que le code de conduite. Réponse de la ville : “Mairie - Grenoble n'a pas les informations demandées”.
Dans le catalogue des bonnes intentions, on trouve aussi un registre public des déports pour chaque élu. Ou plutôt on ne le trouve pas, pas plus en ligne que sur le site web de la ville ou dans un Open data où on ne trouve… rien de ce que l’on cherche.
Mais revenons au fait. A la case défense de la probité de Grenoble en commun, on pense toucher au but en trouvant un paragraphe dédié aux délits et leurs conséquences. Le groupe municipal y édicte le “retrait définitif des fonctions exécutives à tout élu condamné pour atteinte à la probité”. Clair et net. Subtilité ? Dans la liste des délits, Grenoble en commun y range la corruption, la prise illégale d’intérêt, le harcèlement moral ou sexuel mais pas le favoritisme ni la concussion ou le détournement de fonds publics. Rappel contextuel : la charte éthique du groupe municipal a été publiée en février 2020, soit après l’ouverture de l’enquête préliminaire et les perquisitions chez Eric Piolle.
Le détournement de fonds publics justement, nous y voilà peut-être bien. Car une autre procédure suit son cours : celle intentée par une élue de l’opposition, Brigitte Boer, visant à annuler la délibération votée en 2021 et accordant la protection fonctionnelle à Eric Piolle. La protection fonctionnelle, c’est la prise en charge des frais d'avocats du maire par la ville, donc le contribuable, pour les deux procès de la fête des Tuiles 2. Compter au bas mot 15 000 euros 3.
Or ce que dit la Cour de cassation, dans une décision de 2012 qui fait jurisprudence, c’est que le favoritisme est une faute personnelle, donc détachable du mandat et de la fonction politique. Bref une faute excluant la protection fonctionnelle. Ainsi donc, octroyer la protection fonctionnelle pour un cas de favoritisme peut constituer, pour ceux qui l’accordent 4 et en bénéficient, un délit de détournement de fonds publics, et ce sur le fondement de l’article 432-15 du code pénal.
“Le jugement de la cour d'appel de Grenoble condamnant Eric Piolle pour favoritisme dans le cadre de cette affaire confirme qu'Eric Piolle n'a pas à bénéficier de la protection fonctionnelle”, souligne le conseil de Brigitte Boer, Me Thierry Aldeguer qui espère obtenir le remboursement des frais d'avocats d'Eric Piolle à la ville. “Le délit de favoritisme est en effet détachable de l'exercice de ses fonctions, et son auteur doit en supporter personnellement les conséquences.” A suivre, à la barre du tribunal administratif cette fois.
La décision d’un éventuel pourvoir en cassation n’a pas encore été prise.
Pour un autre procès en lien avec la Fête des tuiles, celui intenté pour diffamation envers l’un des auteurs de L’Eclaireur, procès perdu par Eric Piolle, le maire avait également bénéficié de la protection fonctionnelle. Article à lire ici : La protection dysfonctionnelle d'Eric Piolle
L’ex-directeur général des services, l’ex-directeur juridique comme l’ex-directeur de la communication, également condamnés comme le maire de Grenoble pour favoritisme, ne bénéficient pas de la protection fonctionnelle.
La notion de faute détachable des fonctions n’était selon Me Aldeguer pas explicitée dans le rapport joint à la délibération, ce qui aurait pu conduire les conseillers municipaux à voter la délibération octroyant la protection fonctionnelle sans avoir l’ensemble des éléments permettant de se prononcer en connaissance de cause.