Feux de forêts, écrans de fumée
Les feux de forêts et l'apparente sécheresse cachent mal une politique de l'eau en France peu volontariste, malmenée entre sous-financements chroniques et intérêts privés.
Le feu de forêt, c’est ce qu’on appelle un bon candidat. Qui tombe en général à point nommé en plein été quand le gros des troupes médiatiques est en vacances, laissant aux stagiaires le soin de dégoter le sujet censé divertir/effrayer/amuser (rayer la mention inutile) le lecteur.
Un sujet éminemment rentable, médiatiquement parlant. Facile à traiter – il suffit de s’en référer à la parole officielle, pompiers, gendarmes voire préfet en mode communiqué pré-mâché. Attractif – pas besoin de faire un dessin, les images de forêts en feu et, mieux, de Canadairs ou de Dash écopant ou relarguant leur cargaison d’eau sont diablement photogéniques. Emotionnellement chargé aussi – le spectacle d’une nature dévastée et impuissante laisse rarement insensible. Bonus : le sujet permet en général de feuilletonner.
Le parfait candidat donc. A moindre frais. Car entre information d’une rare superficialité et confusionnisme patent, on a droit ces derniers jours et semaines à un catalogue de poncifs aussi légers qu’une braise balancée par les vents.
Entendons-nous bien, les feux de forêts, qu’on voit cet été se multiplier en Ardèche, dans la Drôme, en Savoie, dans l’Ain et en Isère – bref un peu partout dans les Alpes et en France – n’ont pas grand-chose à voir avec le changement climatique. Même si c’est bien pratique de réduire le phénomène au réchauffement global – que l’on ne voit pas bien comment on pourra endiguer mais c’est un autre sujet – histoire de laisser la poussière sous le tapis. C’est à dire tout ce que l’on n’a pas fait, et tout ce que l’on a détruit, depuis au bas mot trente ans.
Pour ne prendre que cet indicateur, entre 1960 et 1990, la moitié des mares et zones humides ont été détruites en France. Or ces écosystèmes, non contents de réguler le trop-plein comme le manque d’eau, permettent de capter l’évaporation de l’eau de pluie. Ballot, non ?
Ce n’est pas que nous qui le disons. Mais il faut reconnaitre que de telles voix ne portent pas beaucoup. Ou tout du moins pas assez. Dans Médiapart, article dont on recommande la lecture, l’hydrologue Emma Haziza l’explique fort bien.
« Ce n’est pas le changement climatique qui créé la sécheresse, même s’il vient l’accentuer par les hausses de température. La vulnérabilité de nos sols et leur difficulté à retenir l’eau sont principalement liées à la manière dont on les a maltraités depuis des années. Avec le labour, avec les produits chimiques, nous avons détruit les micro-organismes dans les sols. Or, ceux-ci ont besoin de vie pour capter le carbone et pour retenir l’eau ».
« La pluie vient du sol, elle ne vient pas d’en haut. Quand il n’y a plus de végétation et de zones humides au sol, il n’y a plus de pluie ».
Or, que voit-on ? Que l’on plante mais que l’on continue d’abattre. A Grenoble, cas quasi-emblématique, la place Victor-Hugo se remet difficilement de ses 18 marronniers éradiqués sans autre forme de procès, au nom d’une prétendue maladie dont la réalité n’a jamais été avancée. Plus récemment à Paris, l’abattage d’arbres centenaires au pied de la Tour Eiffel pour y construire une bagagerie pour les visiteurs du monument, a fini de démontrer toute la palette de vert d’Anne Hidalgo.
Le tout sur des sols sur-exploités qui ne peuvent plus jouer leur rôle de filtre et, surtout, de régulateur, comme le déplore la Commission internationale pour la protection des Alpes (Cipra).
« Un sol imperméabilisé ou endommagé par l’érosion et la pollution ne peut plus assurer ses fonctions essentielles, ou seulement de manière limitée : l’eau ne s’infiltre plus, le sol n’absorbe plus le CO2 de l’atmosphère, la production alimentaire diminue. Les conséquences : un air plus chaud, des crues, des inondations et des difficultés croissantes pour trouver de l’eau potable. Bien souvent, les dommages sont irréversibles. Malgré cela, les pays alpins continuent à imperméabiliser chaque jour de nouveaux espaces, en particulier dans les zones périurbaines ».
Certains tentent de freiner le processus. A Puy-Saint-André dans les Hautes-Alpes, le maire a réquisitionné les terrains vacants sans propriétaires. Ainsi, la surface des zones constructibles est-elle ainsi passée de 14 à 4 hectares. A Grenoble, on désimperméabilise… quelques cours d’école. Une opération très médiatisée qui cache mal l’urbanisation grandissante de la ville.
Alors, au risque de choquer les âmes sensibles, les feux de forêts ne sont dans tout ça qu’un modeste épiphénomène. Dès lors qu’il ne met pas en danger la vie humaine (on voit à La Buisse/Voreppe en Isère que les renforts aériens sont arrivés dès lors que l’incendie s’approchait des habitations et de deux usines stockant du gaz), les dégâts sont, sauf exception des incendies dans le Var qui dans les années 80 ont éradiqué les populations de tortues des Maures, trop lentes pour se dégager du brasier, rarement irréversibles.
Désastre écologique ? Pas vraiment. Mais là aussi, les voix qui permettraient de remettre, par-delà l’émotion, un peu de bon sens dans ce flux d’informations qui fleure bon le catastrophisme, n’ont pas beaucoup d’écho.
« Le feu peut être bénéfique à certaines espèces », soulignait en 2017 dans Le Temps Eric Rigolot, ingénieur au Département écologie des forêts méditerranéennes de l’Institut français de recherches agronomiques d’Avignon.
« Certaines espèces ont même besoin du feu. Il sélectionne les espèces de végétation. Dans les forêts méditerranéennes, l’écosystème s’est adapté : certains arbres résineux ont développé des graines qui ont besoin du passage du feu pour se mettre à pousser. D’autres plantes vont procéder par rejet, c’est à dire qu’elles restent en vie sous terre après le passage du feu et se remettent à pousser ensuite. Dans une certaine mesure, le feu permet la régénération de la végétation ».
Changement et… adaptation ? Le manque d’eau n’est pas nouveau. Dans les Alpes, voilà des années que les pouvoirs publics alignent les arrêtés de restriction. A tel point qu’ils courent désormais sur la totalité de l’année, d’avril à novembre. L’exceptionnel est devenu l’ordinaire.
C’est dans les campagnes que les solutions les plus radicales sont mises en place. Dans l’Ain, le maire d’Arboys en Bugey a interdit la consommation d’eau potable 8 heures par jour. A Méribel-les-Echelles en Savoie, la commune a été alimentée par camion citerne en 2019. Rebelote cet été. En Corse, on parle de désaliniser l’eau de mer.
L’assèchement des sources est là aussi la partie émergée, visible et médiatisée, d’un plus vaste problème.
Continuez votre lecture avec un essai gratuit de 7 jours
Abonnez-vous à L'Eclaireur - La Lettre des Alpes pour continuer à lire ce post et obtenir 7 jours d'accès gratuit aux archives complètes des posts.