[ Analyse ] Game over Zelensky
La tentative d'affaiblir la Russie ayant échoué, ce sont les élections américaines de mi-mandat qui vont décider de la guerre en Ukraine. D'où l'importance de comprendre le point de vue républicain.
La contre-offensive ukrainienne dans la région de Kharkov s’avère être un coup dans le vide. L’armée russe l’a vu venir et s’est retirée en bon ordre, non sans infliger de lourdes pertes aux Ukrainiens. Dans le Sud, à Kherson, les troupes de Kiev, pourtant en supériorité numérique, ont été stoppées net. Là aussi les Ukrainiens ont subi des pertes très importantes.
A Zaporojié, non seulement les opérations ukrainiennes sont un échec total malgré la poursuite des bombardements de la centrale (il va falloir éclaircir cette affaire de chantage nucléaire et en présenter les responsables à la justice) mais les milices populaires des républiques autonomistes, les mercenaires de Wagner et les troupes tchétchènes ont repris l’initiative et l’offensive.
N’ayant pas réussi à fixer les Russes au Nord et au Sud, le plan de l’Otan est tombé à l’eau, qui prévoyait une troisième offensive au centre, la poussée principale, afin d’enfoncer un coin entre les deux républiques autonomistes de Donetsk et de Lougansk.
Tombé à l’eau n’est pas un vain mot. L’automne et ses pluies diluviennes sont bientôt là, rendant le terrain peu propice aux opérations militaires. Il ne fera pas bon être embourbé deux à trois mois durant dans la gadoue des steppes de la région de Kharkov, qui n’offrent aucune couverture et laisseront l’armée ukrainienne à la merci de l’artillerie et de l’aviation russe, qui la dégommeront comme à l’exercice - c’est d’ailleurs déjà le cas. Comme quoi certains n’ont pas tiré les leçons de l’histoire.
On peut comparer la contre-offensive ukrainienne à celle de la Wehrmacht dans les Ardennes l’hiver 1944-45. Les Alliés étaient persuadés que l’armée allemande était incapable de monter une opération offensive de grande envergure. Ils eurent tort et furent surpris. Comme les Russes à Kharkov. Mais la contre-offensive des Ardennes, une réussite tactique, ne changea en rien le cours du conflit, n’eut pour effet que retarder de moins d’un mois l’inéluctable. D’autant que le sort de l’Allemagne nazie ne se jouait pas sur le front Ouest mais à l’Est. Tout comme le sort de l’Ukraine se joue pas en Ukraine. Le “proxy” finit toujours en “patsy” (en anglais, pigeon, gogo, bouc émissaire).
Avec un corps expéditionnaire de 150 000 à 200 000 hommes - donc un grand maximum de 100 000 combattants - l’armée russe et ses alliés ont laminé six mois durant une armée ukrainienne quatre fois plus nombreuse (nous dit-on), formée et équipée aux standards de l’Otan et bénéficiant de la machine de renseignement occidentale. En se battant une main dans le dos, en épargnant les infrastructures civiles et les populations le plus possible.
La décision de Vladimir Poutine de rappeler 300 000 hommes n’est pas ce qu’on dit qu’elle est. Il s’agit de réservistes, sous contrat (comme en France), anciens militaires et spécialistes, non pas de conscrits, qui recevront la même solde que les militaires d’active. La petite minorité qui manifeste dans les rues de Moscou et de Saint Petersbourg et qu’on nous montre dans les médias n’est pas concernée par cette “mobilisation”.
Ces 300 000 hommes devront être remis à niveau - ce qui prendra au moins deux mois - et ne combattront pas en première ligne. Sur un front de 1000 km, l’effectif initial de “l’opération spéciale” russe ne pouvait apporter de profondeur opératique. C’est cette profondeur que les 300 000 réservistes vont apporter dans cette deuxième phase, avant le début de l’hiver. Fonctions de soutien, sécurité des arrières, logistique, médical, transmissions, artillerie, génie et reconstruction etc. Manière de solidifier le très probable rattachement à la fédération de Russie des territoires conquis après les référendums de ce week-end. Et de dégager l’armée d’active des tâches ancillaires pour qu’elle aille au choc une fois le sol gelé.
La situation politico-militaire n’est toujours pas en faveur de Kiev
Contrairement aux élucubrations de BHL et de l’écrasante majorité des journalistes qui ont oublié que leur métier consiste à décrire la réalité, l’armée russe n’est pas en déroute. Notez que ce sont ceux-là mêmes qui depuis le premier jour du conflit nous répètent à l’envi qu’elle est au bord de l’effondrement. On attend toujours. Avec plus de dix Ukrainiens tués pour un soldat russe mort au combat, il convient de modérer certains optimismes confinant au délire.
Malgré un succès tactique indéniable du à une planification et à un commandement dans les faits assurés par l’Otan (et des “combattants étrangers” qui auraient constitué un tiers des effectifs ukrainiens à Kharkov) , la situation militaire n’est toujours pas en faveur de Kiev.
La guerre étant la continuation de la politique par d’autres moyens, et la guerre en Ukraine étant un conflit par proxy entre l’Occident et la Russie, des considérations externes sourdent.
Outre l’effondrement des économies européennes qui trouve sa source dans les politiques absurdes mises en œuvre depuis une quinzaine d’années et que l’on doit essentiellement à l’Allemagne, outre la bien réelle crise énergétique consécutive aux imbéciles sanctions - crise qui ne sera pas acceptée par les populations de l’UE qui demanderont des comptes et peut-être même des têtes - c’est vers l’autre côté de l’Atlantique qu’il faut porter notre attention. Les dirigeants européens, aussi ineptes que moutonniers, ne sont même pas encore la portion congrue. Ils comptent tout simplement pour du beurre et seront passés par pertes et profits par les Américains dès que besoin sera.
Joe Biden et les démocrates vont vraisemblablement perdre les élections de mi-mandat de novembre. Donc le contrôle des deux chambres du Congrès. D’où l’escalade verbale et la contre-offensive ukrainienne. La destitution de Joe Biden alors se profilera, des commissions d’enquête parlementaire viseront à mettre de l’ordre au département de la justice, au Trésor, au FBI, et dans des agences de renseignement hors de contrôle, le tout sous fond d’une campagne présidentielle qui a déjà commencé et d’une guerre culturelle faisant rage dans le contexte d’une économie américaine qui n’est pas en meilleure santé que les européennes.
A quoi il faut rajouter une crise migratoire sans équivalent, une montée en flèche de la criminalité, de la violence et des morts par overdose d’opioïde… Quelle sera alors la position d’un Congrès majoritairement républicain quant à l’Ukraine ?
Les républicains considèreront que conserver une “relation de travail” avec la Russie sera plus important qu’accéder aux pulsions revanchardes de Zelensky
Pour avoir une idée du sens du vent (du boulet), il faut lire Doug Bandow, chercheur au Cato Institute (un think-tank conservateur, de ceux dont en France on ne se préoccupe pas alors qu’ils ont une influence équivalente à celle des think-thanks libéraux) et ancien chef de cabinet de Ronald Reagan. Difficile de le qualifier de pro-russe. Loin de l’écume du New York Times, du Washington Post et des chaînes d’info, il nous donne une idée de la lame de fond qui monte en puissance.
Doug Bandow propose dans The American Conservative une analyse certes partisane, conservatrice, républicaine, dont l’acuité rivalise avec la franchise. Henry Kissinger partage le même point de vue. La lame de fond, celle qui meut et façonne les considérations de ceux qui se préparent à gouverner...
Particulièrement intéressant est que Doug Bandow admet la responsabilité américaine dans la catastrophe ukrainienne et qualifie Maidan de “coup d’Etat”, allant jusqu’à pointer le rôle de Victoria Nuland, aujourd’hui n°3 de la diplomatie américaine, qui en 2014 composa le gouvernement ukrainien trois semaines avant le début des manifestations lors d’une désormais fameuse conversation téléphonique interceptée avec l’ambassadeur des USA ...
L’argument de Doug Bandow est aussi simple que brutal : Zelensky a la liberté de rêver reconquérir la Crimée. Il est dans l’intérêt des Etats-Unis et l’Occident de ne pas l’aider à le faire.
Si l’indépendance de l’Ukraine doit être un objectif américain de politique étrangère, cela ne préjuge en rien des frontières de l’Ukraine. En clair, une Ukraine amputée de la Crimée, du Donbass, de Marioupol, de Kherson, de Zaporojié et des plaines de Kharkov ne posera pas problème aux républicains, du moment que cela préserve les intérêts américains, négligeables en Ukraine constat fait de l’échec de la tentative d’affaiblissement de la Russie.
Par pur pragmatisme, les républicains considèreront que conserver une “relation de travail” avec la Russie sera plus important qu’accéder aux pulsions revanchardes d’un Zelensky vivant visiblement dans un monde parallèle, qui demande dans The Guardian que l’Occident promette ouvrir le feu nucléaire sur la Russie, et dont le régime ne tient que par les milices nazies/ultranationalistes qui font tache (brune) sur la scénographie du camp du bien. Ils laisseront sans aucun scrupule l’Union européenne le bec dans l’eau ainsi que la facture de la “reconstruction” de l’Ukraine à ses contribuables .
Les républicains ne permettront pas qu’un conflit régional et périphérique érigé en crise globale par l’administration Biden obère l’avenir - et en particulier la prochaine élection présidentielle.
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