[Handicap et dépendance ] La boîte de Pandore suédoise - 2e partie
L'individualisation, la privatisation de fait et la décentralisation de la prise en charge du handicap ont généré d'importantes ruptures d'égalités.
Le principe est simple. On vous colle une étiquette de coût sur le front pour les prestations sociales et éducatives auxquelles vous avez le droit. Sur le papier, cela permet de préserver le niveau et la qualité des prestations individualisées en offrant le choix du prestataire au bénéficiaire, tout en réduisant le nombre d’agents des services publics. Ce qui à son tour autorise la réalisation d’économies substantielles. Sur le papier.
A lire également [Handicap et dépendance] La boîte de Pandore suédoise - 1ere partie Le modèle suédois de prise en charge du handicap vanté par les "progressistes" a du plomb dans l'aile : désocialisation, isolement, financiarisation, etc. - et il n'est pas si étranger à la France.
Pour les crèches et les écoles, un enfant suédois vaut une certaine somme d’argent public, évaluation du coût de sa scolarité, qui sera versée par l’Etat à l’organisme qui délivre le service public, que ce soit une commune, une association ou une entreprise à but lucratif. Cela a fait émerger une réalité dans laquelle les collectivités locales et des écoles associatives sont en concurrence avec des entreprises cotées en bourse pour s’attirer le choix des parents quant à l’inscription de leur enfant.
Les dérives sont nombreuses. Du financement du Jihad en Syrie avec l’argent public par des écoles confessionnelles jusqu’aux lycées promettant aux parents que leur progéniture aura le bac - contrôle continu et non pas examen en Suède (ça ne vous rappelle pas quelque chose?) - et ajustent les notes pour ce faire.
Les Suédois se sont rendus compte que gérer et contrôler un système de délégation de service public dans lequel interviennent d’innombrables acteurs coûte plus cher aux contribuables que si l’Etat “produisait’” lui-même le service. Comprendre que l’éducation coûtait moins cher avant la “libéralisation”… La dépense publique n’a cessé de s’accroitre depuis 25 ans, beaucoup plus rapidement que la population. Tout retour en arrière sera difficile, coûteux et long.
Vous nous direz : mais quel rapport avec le handicap ? Vous aurez raison de poser cette question mais tort d’être impatients, puisque nous y venons.
La demande “d’inclusivité” en Suède date des années 1970, ce pays ayant historiquement institutionnalisé à tour de bras ou traité par l’universalité des prestations sociales, par la pension.
Si le travail reste avec l’école l’un des leviers d’insertion les plus puissants, l’affaire est bien plus compliquée que cela.
Ayant mis vingt ans pour accéder à cette légitime revendication, les autorités suédoises en ont profité pour poser une définition utilitariste du handicap : le niveau de handicap se définit selon le niveau d’employabilité du handicapé. Le handicap est donc assimilé à l’invalidité alors que dans le même temps ce pays a adopté un système de prestations sociales découplé de l’invalidité en renonçant à l’universalité.
L’entreprise d’insertion 100% publique Samhall “fait ainsi passer” 1 500 handicapés par an en emploi “normal” dans des entreprises “normales” dans les secteurs du nettoyage, de la blanchisserie, de la restauration collective, de la logistique etc. Essentiellement dans des emplois de service peu qualifiés.
Créée en 1980 pour fédérer une myriade d’organismes qui proposaient des emplois protégés souvent à l’initiative des communes, la fondation pour l’insertion “Stiftelsen Samhällsföretagen” fut transformée en société anonyme en 1992 et pris le nom de Samhall AB. Pour la petite histoire, sachez que les entreprises d’insertion ont été inventées en France dans les années 1960 et ont bénéficié d’un statut spécifique dès 1970. Soit vingt ans avant la Suède.
Samhall opère dans le secteur concurrentiel sans protection particulière. Il est veillé à ce qu’elle ne génère pas de distorsions de concurrence, et ses tarifs sont fixés accordement. Samhall est par le nombre d’employés - 20 000 répartis sur 370 sites - l’un des plus gros employeurs de Suède. L’Etat concourt à près de la moitié de son budget.
Statutairement, Samhall ne choisit pas ses employés qui sont sélectionnés par Arbetsförmedlingen, l’équivalent suédois de Pôle emploi. Ses employés ne peuvent pas être licenciés mais Samhall conserve l’intégralité de ses profits qui sont réinvestis dans l’entreprise. Mission sociale sans pour autant déranger les sacro-saintes règles du marché ?
63% des Suédois souffrant d’un handicap et capables de travailler occupent un emploi. En France, ce sont 86% des handicapés qui travaillent, en milieu protégé ou pas. Il n’existe pas en Suède d’obligation d’employer des handicapés, alors qu’en France toutes les entreprises de plus de 20 salariés doivent compter au moins 6% d’employés handicapés au titre de l’obligation d'emploi des travailleurs handicapés, sous peine de devoir verser une contribution annuelle à l'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées).
Si l’on peut toujours faire mieux, force est de reconnaître que la France fait déjà plus que la plupart des pays européens et que les politiques sociales de l’UE n’ont eu que peu d’effet sur le handicap au delà de la seule obsession d’atteindre des objectifs statistiques.
A lire également: Quand la secrétaire d'État aux people handicapés et la classe politique se fendent d'une indigente polémique En pleine campagne présidentielle, l'instrumentalisation du handicap pour cliver d'un côté le camp du bien "inclusif" et de l'autre le camp du mal disqualifié moralement, est indécente.
Outre la nature des emplois occupés par les handicapés directement corrélée aux compétences donc au niveau d’éducation, nonobstant la tertiarisation des économies et les progrès technologiques qui ouvrent un nombre croissant d’emplois où les capacités physiques comptent peu, le handicap ne saurait se résumer à la seule question de l’emploi, qui n’encapsule pas l’intégralité de la vie sociale. Le handicap est un fait social trop complexe pour s’accommoder de tableaux de bord et être décrit par des graphiques sur des diapositives PowerPoint. Restent aussi ceux qui, affligés d’un handicap trop lourd, ne pourront jamais travailler.
Que se passe-t-il en dehors des heures de travail ? Quelles conditions de vie sociale offre “l’inclusion” au delà des grands idéaux et des discours grandiloquents ?
Mettre l’accent sur les services à la personne pour remplacer l’institutionnalisation a certes amélioré l’autonomie d’une grande partie des bénéficiaires, mais a également fait exploser les coûts et induit des effets pervers.
La désinstitutionnalisation a conduit à désocialiser et isoler
Depuis 1994, les handicapés ont le choix entre bénéficier de services directement fournis par leur commune ou bien d’une somme d’argent versée au prestataire de leur choix.
La majeure partie du financement de la prise en charge (les vingt premières heures d’assistance) incombe aujourd’hui aux communes alors qu’il était, avant la réforme de 1993, pris en charge par la sécurité sociale. Cette charge financière supplémentaire sans transfert financier de l’État est si lourde que certaines communes n’ont pas les moyens d’assurer les prestations aux personnes handicapées prescrite par la loi. Rupture d’égalité majeure. Situation catastrophique en milieu rural.
Le mouvement de l’institutionnalisation vers l’aide individualisée aux personnes a également généré des inégalités entre types de handicap. Les personnes les moins à même de s’organiser et de faire valoir leurs droits, en premier chef les handicapés mentaux, sont les premières touchées.
La désinstitutionnalisation des personnes auparavant hébergées en centres collectifs a conduit à les dé-socialiser, à isoler bon nombre d’entre elles, tout en rendant le recrutement de personnel qualifié très difficile. Dans les faits, on a remplacé pour des raisons budgétaires des professionnels médico-sociaux par des aides à domicile auxquels ne s’applique aucune forme d’exigence de formation et de qualification, et qui sont donc mal rémunérés.
Bientôt trente ans après son vote par le parlement, la loi sur les services et le soutien à certaines personnes atteintes d’incapacités fonctionnelles (Lagen om stöd och service till vissa funktionshindraden – LSS) ne pêche non par son contenu, conforme à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées, mais par sa mise en œuvre.
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