Israël va-t-elle choisir l'option nucléaire contre l'Iran?
Les Etats-Unis vont-ils encore être entrainés dans un nouveau bourbier ?
Non content d’avoir fait d’Israël un Etat paria et criminel, le gouvernement de Benjamin Netanyahu est hors de contrôle. Joe Biden ayant dans un éclair de lucidité clairement exprimé que les Etats-Unis ne participeraient pas ni ne soutiendraient de représailles contre l’Iran, Tel Aviv lui a fait savoir qu’Israël de son côté ferait ce que bon lui semble. Le colonel Douglas Macgregor expose le choix cornélien auquel sont confrontés les Etats-Unis et met en garde contre la tentation israélienne d’utiliser l’arme nucléaire et de la possible intervention directe de la Russie si Israël arrivait à internationaliser le conflit.
Le colonel Douglas Macgregor est breveté de West Point et titulaire d’un doctorat en relations internationales de l’université de Virginie. Il a commandé et remporté en 1991 en Irak la dernière grande bataille de chars qu’a livré l’armée américaine, la bataille de 73 Easting.
Durant ses vingt-huit années de carrière militaire, le colonel Douglas Macgregor a notamment été chef de la planification stratégique et du centre d’opération interarmes du commandement suprême de l’Otan durant l’intervention de 1999 au Kosovo. Il fut également le conseiller du secrétaire à la Défense par intérim Chris Miller.
Son dernier ouvrage, Margin of Victory: Five Battles that Changed the Face of Modern War est disponible chez Naval Institute Press.
Il est aujourd’hui le président de Our Contry Our Choice.
Dans notre rubrique Réflexions libres, les propos des auteurs n’engagent qu’eux-mêmes et ne reflètent en aucun cas les opinions de L’Eclaireur, au-delà de notre choix, que nous jugeons nécessaire, de leur donner la parole dans un soucis de pluralisme et de meilleure compréhension du monde.
Cet article a été originellement publié le 15 avril 2024 dans The American Conservative. Le Col. Douglas Macgregor nous a aimablement donné l’autorisation de le traduire et de le publier dans nos colonnes.
En août 1961, alors que les tensions entre Washington et Moscou étaient à leur paroxysme, l'amiral Konstantin I. Derevyanko se fendit d’une lettre à Nikita Khrouchtchev. Il entendait alerter le premier secrétaire du Comité central du parti communiste sur ce qu’il appelait le” romantisme nucléaire” de l’état-major soviétique. Les mots de l’amiral Derevyanko ont toujours la force de la logique et du bon sens. Ils méritent encore notre attention :
Sur quelle planète ces gens [l'état-major soviétique] ont-ils l'intention de vivre, et sur quelle terre envisagent-ils d'envoyer leurs troupes conquérir des territoires ? Par l’utilisation à grande échelle de l’arme nucléaire en Europe occidentale, non seulement nous accepterions que des millions de civils soient contaminés par la radioactivité, mais, en raison des vents dominants d’ouest, nous contaminerions également pour des décennies des millions de nos propres citoyens - nos forces armées, les populations des pays socialistes, y compris notre propre pays jusqu'à l'Oural.
Selon un responsable américain anonyme, le président Joe Biden a déclaré au premier ministre israélien Benjamin Netanyahu que les États-Unis ne participeraient pas à une riposte contre l’Iran. C’est une bonne nouvelle.
Israël ne considère pas en termes exclusivement conventionnels les opérations contre l’Iran ou tout autre État qui contesterait sa domination stratégique. Pour les dirigeants israéliens, l’utilisation de l’arme nucléaire est toujours sur la table. La dissuasion israélienne repose sur sa capacité nucléaire asymétrique.
Jusqu’à présent, le soutien inconditionnel de Washington à tout ce que Netanyahu entreprend fait de nous des complices du massacre délibéré et de la famine organisée dont est victime la population de Gaza, tout comme de la frappe israélienne sur le consulat iranien en Syrie, une violation du droit international. Ce soutien inconditionnel érode le pouvoir et l’autorité du peuple américain.
Le bon sens s’immisce-t-il enfin dans la formulation et la conduite de la politique étrangère américaine ? Personne aux États-Unis, en Europe ou en Asie ne profitera économiquement, politiquement ou financièrement d’une guerre régionale au Moyen-Orient, qui mènera à la fermeture du détroit d’Ormuz et provoquera potentiellement une intervention militaire russe directe aux côtés de l’Iran. Est-il également possible que Biden s’oppose enfin aux massacres à Gaza ?
À cet égard, la révélation selon laquelle le secrétaire à la Défense Lloyd Austin aurait demandé au ministre Yoav Gallant, son homologue israélien, d’informer les États-Unis à l’avance de toute éventuelle contre-attaque d’Israël n’est qu’une maigre assurance. Les Américains ne doivent pas oublier que Netanyahu exerce une influence considérable au Congrès et dans les grands médias. Nos législateurs se mettent déjà en quatre pour envoyer des milliards supplémentaires à Israël alors que les frontières américaines restent ouvertes, que des dizaines de milliers d’Américains meurent empoisonnés au fentanyl, que la criminalité augmente et que le trafic d’êtres humains, enfants compris, va bon train.
Il est peut-être trop tôt pour savoir si la politique étrangère américaine est en train de s’infléchir. Pourquoi ? Parce que les médias israéliens rapportent qu'il y a eu des débats intenses lors des deux dernières réunions du cabinet de guerre sur l'opportunité de lancer une frappe à grande échelle contre l'Iran. Une telle attaque ciblerait probablement les centres de commandements iraniens, les sites de missiles à longue portée, les bases aériennes, les bases navales et les infrastructures pétrolières. Il y aurait également eu des discussions sur une réponse israélienne qui pourrait être plus « mesurée » pour empêcher un conflit régional plus large.
Ce que nous Américains savons, c’est que l’Iran a ciblé les installations militaires israéliennes, pas la population israélienne. L’Iran n’a utilisé qu’une petite fraction de son arsenal et très peu de ses armes les plus récentes. Le Hezbollah n’a pas participé à l’opération. Bien que l’on suppose que deux aérodromes israéliens et peut-être une station de renseignement sur le plateau du Golan aient subi des dégâts, l’ensemble de l’opération iranienne était démonstrative.
Elle n’a surpris personne. Certainement pas les forces aériennes israéliennes ou leurs collègues des forces aériennes américaines et britanniques. Comme dit auparavant, à quelques exceptions près, la plupart des quelque 300 drones et missiles ont été interceptés.
Néanmoins, l’Iran a compris comment saturer les défenses aériennes israéliennes. On peut en déduire qu’il y avait également à Téhéran une volonté d’éviter une escalade du conflit. Imaginez ce qui se passerait si l’Iran lançait 1 500 drones et 800 missiles balistiques en plusieurs heures, voire plusieurs jours. L’Iran a fait la démonstration de ses capacités. C’est simple : l’Iran peut détruire Israël. Téhéran a créé de nouvelles conditions de dissuasion dans la région qui lui sont favorables.
Si l'Iran a annoncé par l'intermédiaire de sa mission à l'ONU qu'il considérait comme close la question des frappes israéliennes sur ses bureaux consulaires en Syrie, rien n'est résolu. Plus d’un million de personnes meurent de faim à Gaza, et nous devons nous attendre à ce que la campagne israélienne de massacres et de nettoyage ethnique à Gaza reprenne sous peu.
Netanyahu exigera l’assujettissement ou la destruction de l’Iran ou de toute entité qui défiera la domination stratégique israélienne. Pour Netanyahu, c’est une question existentielle. Les États-Unis ne se sont pas engagés à attaquer l’Iran. Netanyahu s’évertuera à faire changer la position de Washington.
Washington doit s’attendre à ce qu’Israël emploie toute la puissance militaire à sa disposition, y compris les armes nucléaires, pour réduire à néant les capacités stratégiques de l’Iran. La destruction de ses installations nucléaires souterraines est un objectif israélien depuis très longtemps.
Moscou ne tolérera cependant pas une attaque dévastatrice contre l’Iran. Biden l’acceptera-t-il et continuera t-il à soutenir les opérations israéliennes à Gaza ? Joe Biden devrait prendre un instant pour méditer les conseils de l’amiral Derevyanko à Khrouchtchev en 1961.