La presse découvre la loi
En Suisse pas plus qu'en France la liberté d'informer ne s'exerce n'importe comment. Les personnes mises en cause par la presse bénéficient de protection et de voies de recours. Fort heureusement.
La Suisse est en train de devenir une dictature, s’exclame Denis Robert ! Blast a été censuré ! La Confédération helvétique et l’Allemagne nazie, même combat !
Notons le caractère erroné, malhonnête voire diffamatoire du titre de la vidéo. La justice suisse n’attaque pas Blast pour protéger un patron. C’est un justiciable, un cadre employé par une société suisse mise en cause dans une enquête de Blast, qui a attaqué Blast devant la justice civile suisse afin de faire valoir ses droits. Les autorités suisses ne sont pas à l’origine de ces poursuites.
L’action du film La Mélodie du bonheur (The Sound of Music) avec Julie Andrews que Denis Robert utilise en début de vidéo pour illustrer son propos sur la Suisse “petit pays neutre adepte du chocolat, de la lenteur, des lacs perdus, des monts enneigés et de la démocratie participative” se déroule en Autriche, pas dans les verts alpages helvétiques. Quand l’ironie tombe à plat comme une bouse de Simmental sur l’herbe fraîche…
Blast écrit “Blast a subi cet été un procès-bâillon en Suisse bloquant la publication d’une de nos enquêtes”. On se situe dans le mensonge le plus complet puisque l’ordonnance du tribunal civil du canton de Genève n’interdit en rien la publication de l’enquête de Blast sur le secteur des newsletters santé.
Illustration parfaite de cette dérive journalistique bien trop commune, Blast poursuit en relevant “notre travail s’appuie sur une recherche minutieuse des faits et la confrontation de ses auteurs”. Un journaliste vérifie des faits et n’a pas vocation à confronter leurs auteurs, ce qui est la prérogative de la justice. Le contradictoire vise à juste à recueillir par soucis d’équité la version des faits des personnes mises en cause.
La justice suisse saisie par ce cadre a ordonné sans débat contradictoire l’interdiction provisoire de publier son nom, sa photo ou tout élément l’identifiant sur le sol suisse. Cela s’appelle chez nos voisins une mesure provisionnelle, c’est à dire conservatoire, protégeant les droits d’une des parties. C’est tout. Quant aux accusations de harcèlement sexuel, si elles n’ont pas fait l’objet au préalable d’une plainte nominative, impossible d’en parler sans diffamer. En France aussi. Nous ne savons pas s’il s’agit de bêtise ou d’hypocrisie de la part de Blast. Il suffit en lieu et place du nom du cadre ayant esté d’écrire “M. X”. Vieille technique journalistique qui permet d’éviter bien des déboires judiciaires.
Ce que Denis Robert ne dit pas est que la même procédure d’urgence existe en France. Il s’agit de l’ordonnance sur requête : “ l’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse”. Elle figure au code de procédure civile depuis au moins 1976, et elle vise à prévenir la commission de troubles manifestes et les préjudices pouvant en résulter.
Si un journaliste dispose par exemple d’un enregistrement effectué dans un cadre privé à l’insu des personnes enregistrées, donc d’un enregistrement illicite dont la réalisation constitue une infraction pénale, ces personnes peuvent demander en apportant la preuve que le journaliste détient cet enregistrement l’interdiction provisoire de sa publication en attendant le jugement au fond. Demandez donc à Mediapart, qui en sait quelque chose. Le média d’Edwy Plenel a été condamné par la CEDH pour des faits similaires à dépublier près de 70 articles dans l’affaire Bettencourt.