Le groupe Avec, château de sable de Bernard Bensaïd
Retour sur notre enquête, toujours en cours, sur le "groupe" de Bernard Bensaïd, dont nous republions les épisodes un par un.
Voici le premier épisode, publié le 13 octobre 2022.
Mise à jour à 16h12 le 13/10/2022.
Ca n’a pas trainé. Nous avons fait parvenir comme convenu (par correction) cet article au groupe Avec et à sa directrice de la communication Sandrine Thomas (ancienne directrice des rédactions de La Montagne licenciée pour harcèlement moral en décembre 2021). Nous avons demandé une interview avec Bernard Bensaïd PDG d’Avec et M. Yves Jégo (l’ancien secrétaire d’Etat de Sarkozy), directeur général délégué d’Avec. Voici la réponse (non signée) que nous avons reçue.
Notre article ne contient aucun propos injurieux.
Le “groupe” Avec et ses représentants ont tout loisir de nous faire parvenir un droit de réponse, que nous publierons avec plaisir. Nous rappelons toutefois que nous les avons sollicités pour cet article. En vain puisque seule la directrice de la communication, en poste depuis quelques jours, nous a répondu de manière très générale.
Quant aux menaces de poursuites judiciaires, elles n’ont sur nous aucun effet. Si elles visent à empêcher la publication de la suite de notre enquête, c’est raté.
(Et nous avons hâte de lire le dossier du Dauphiné Libéré qui paraîtra demain)
Petite présentation liminaire pour bien comprendre ce qui va suivre. Le groupe Avec, fondé et dirigé par Bernard Bensaïd, n’est pas un groupe au sens du code des impôts. La maison-mère du “groupe”, Avec S.A, contrairement à ce que suggère son rapport d’activité 2020, ne contrôle pas directement ou indirectement au moins 50% (ou 95% pour consolider l’impôt sur les sociétés) du capital de l’ensemble des entités présentées comme le composant. Les entités du “groupe” Avec ne sont pas non plus liée contractuellement dans une organisation parapluie du type groupement d’intérêt économique.
Avec est une société anonyme qui ne peut pas avoir de liens capitalistiques avec des mutuelles (qui sont des sociétés de personnes, non pas de capitaux, et n’ont pas de capital social) et encore moins avec des associations (qui n’ont que des membres et pas non plus de capital social). Alors que le secteur à but non-lucratif, selon la directrice de la communication d’Avec interrogée par nos soins, représente 80% des activités du “groupe”.
Se dégage comme l’impression que la manière dont est présenté le “groupe” Avec est trompeuse, voire mensongère. Au-delà d’un maquis de sociétés, de mutuelles et d’associations (119 personnes morales pour 380 établissements) dont le seul lien semble être la personne de Bernard Bensaïd (il dirige 94 entreprises et détient 103 mandats), par-delà la présentation de données financières qui n’ont aucune réalité comptable car consolidant les comptes d’entités qui ne peuvent pas l’être, il plane un doute sur la solidité financière de ce baroque édifice.
Les secrétaires généraux des unions départementales de l’Isère de Force ouvrière et de la CGT ont déposé au nom de leur syndicat une plainte au Parquet national financier le 15 juillet dernier pour prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics suite à la modification d’une convention annulée en appel par la justice et à quatre prêts tirés de mars à juillet 2022 sur la trésorerie de l’Union mutualiste pour la gestion du Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble (UMG-GHM) d’un montant de 6 millions d’euros au bénéfice de la société mutualiste Doctocare dont Bernard Bensaïd est le dirigeant.
Motif de ces prêts invoqué devant les représentants des employés du GHM par la directrice des relations sociales d’Avec ? “Payer les salaires des structures médico-sociales du groupe qui avait un problème de trésorerie à ce moment-là”. Ces prêts ont-ils en réalité été consentis à Doctocare, une coquille vide qui n’a aucun employé, aucune activité et ne dispose que de 95 euros de fonds propres, au bénéfice de Avec, une société commerciale ?
Cette plainte va a t-elle lancer la lame de fond qui balayera le château de sable ?
Un hôpital qui se fiche de la charité, c’est une clinique privée
Située dans le village éponyme près de Provins, en Seine-et-Marne, la clinique Saint-Brice, comptant une cinquantaine de lits, jouissait d’une excellente réputation. Un de ces discrets et confortables établissements de santé comme on en trouve beaucoup - pour combien de temps encore ? - en province. Si vous avez une bonne mutuelle, acceptez les dépassements d’honoraires et êtes disposé à payer un forfait journalier équivalent aux tarifs hôteliers, on vous y soignera d’affections courantes dans le calme et la volupté. Un vrai décor de film de Chabrol. On se croirait dans un Inspecteur Lavardin.
Pourtant, l’Agence régionale de santé Ile-de-France a ordonné le 11 juillet dernier la fermeture du bloc opératoire de la clinique pour cause de manque d’anesthésistes, dont les effectifs auraient sciemment été gonflés par la direction afin de continuer à opérer. Mettant ainsi la vie des patients en danger selon les déclarations d’un médecin de la clinique.
Le président du conseil administration de la clinique Saint-Brice, une société anonyme, est Bernard Bensaïd. Le directeur général de la clinique Saint-Brice est Bernard Bensaïd.
Les deux autres administrateurs de la clinique Saint-Brice sont d’une part la société par action simplifiée (SAS) DG Santé, dont le président est la société DG Hotels, société à responsabilité limité (SARL) dont les activités sont celles “d’agences immobilières” et dont le gérant est Bernard Bensaïd. Et, d’autre part, la société anonyme Doctegestio, aujourd’hui rebaptisée “Avec”, dont le PDG est… Bernard Bensaïd.
En clair, le conseil d’administration ne se compose que de Bernard Bensaïd, signant lui-même les procès-verbaux sous trois qualités différentes, à moins que les deux sociétés DG Santé et Avec aient désigné des mandataires le représentant lors des conseils d’administration.
Si une société anonyme doit être dotée d’un conseil d’administration comptant au moins trois administrateurs, en revanche ces trois administrateurs ne peuvent pas être la même personne physique.
Association à but lucratif reconnue d’intérêt privé
Plus près de chez nous, à Saint-Gervais en Haute-Savoie, le dossier de l’Ehpad Le Val Montjoie, propriété de l’association Monestier, a défrayé la chronique il y a deux ans.
M. Bensaïd a attaqué en justice le maire de Saint-Gervais, Jean-Marc Peillex, en exigeant de lui la coquette somme de 114 938 000 d’euros (vous avez bien lu, près de 115 millions d’euros ! ) de dommages et intérêts, au motif de “comportements dénigrants et attitude qui nuisent à l’ensemble du Groupe et entraînent des préjudices importants (…)”. Plainte qui n’a pas prospéré puisque, d’après le maire de Saint-Gervais contacté par nos soins, la consignation fixée par la justice n’a pas été réglée, entraînant son classement.
En juillet 2018, l’Agence régionale de santé et le Conseil départemental ont pris la décision de mettre Le Val Montjoie en administration provisoire pour une durée de 6 mois suite à une inspection qui avait mis en lumière 18 faits de méconnaissance des dispositifs législatifs et réglementaires et 89 observations de dysfonctionnements sources de risques. Cette administration provisoire a été renouvelée pour 6 mois supplémentaires avant que Bernard Bensaïd puisse de nouveau pleinement exercer son mandat de président de l’association Monestier gérant cet Ehpad ainsi qu’une résidence pour personnes âgées autonomes, Les Myriams, située à la même adresse.
L’association Monestier et l’Ehpad Le Val Montjoie sont un cas particulièrement instructif. Il permet de mieux comprendre comment des entités à but non lucratif, une association en l’espèce, viennent “tomber dans l’escarcelle” de sociétés commerciales.
A l’origine, Le Val Montjoie était une maison de repos pour jeunes filles créée à l’époque du climatisme et gérée via l’association loi 1901 Monestier émanant d’une congrégation religieuse catholique. L’association a reçu en don le bâtiment et son terrain. Cet établissement fut reconverti dans un premier temps en maison de soins de suite et de rééducation (SSR), puis en Ehpad dans les années 2000 avec l’agrément à l’époque de l’Agence régionale d’hospitalisation. L’association Monestier a notamment réalisé le lourd investissement de construire une unité de vie protégée s’adressant à des résidents totalement dépendants, souffrant d’Alzheimer, de démence etc.
Investissement qui s’est avéré si lourd que l’association Monestier a du déposer le bilan et s’engager dans une procédure de redressement judiciaire ordonnée par le tribunal d’instance de Versailles le 11 décembre 2013.
Il en va d’une association comme d’une entreprise ou toute autre personne morale. Soit l’association est liquidée et ses actifs vendus afin d’éponger les dettes, payer les salaires, régler les fournisseurs etc. Soit l’association poursuit son activité, ce qui suppose que de nouveaux membres s’engagent à reprendre l’ensemble de son passif (dettes bancaires, fiscales, sociales, fournisseurs etc) et à lui fournir les moyens de continuer à fonctionner.
C’est un plan de continuation des activités proposé par Bernard Bensaïd et la société Doctegestio (devenue Avec, dirigée par Bernard Bensaïd), la société DG Help (dirigée par Bernard Bensaïd) et l’association de droit local AMAPA (présidée par Bernard Bensaïd) qui a été retenu par le tribunal de Versailles.
Bernard Bensaïd, en tant que président et dirigeant des personnes morales membres, contrôle l’association Monestier. Mais ce contrôle n’est pas capitalistique puisqu’une association n’a pas de capital social.
Une association ne pouvant distribuer de dividendes, quel est l’intérêt pour un “groupe” privé dont le but est le profit, de reprendre une association ?
Cela permet de contrôler un Ehpad clé en mains dont les recettes sont certaines, ce pour une fraction de l’investissement nécessaire à sa création. Un Ehpad est soumis à agrément de l’Etat et du Conseil départemental, ainsi qu’au respect d’une réglementation très stricte. Le pendant de cela sont des subventions publiques au titre de la dépendance et une prise en charge des soins par l’assurance maladie, seul l’hébergement restant à la charge du pensionnaire.
Le moyen utilisé pour faire “sortir de l’argent” d’une association ou d’une entité à but non lucratif gérant un Ehpad ou un établissement privé de santé consiste à lui facturer des frais de siège représentant une part, un pourcentage de ses recettes et/ou de lui vendre des services (services généraux, informatique, comptabilité/paie, méthodes et procédures, mise à disposition de personnel etc.) dans la durée, vente généralement conclue par convention. Comme c’est le cas du Groupe hospitalier mutualiste de Grenoble. Est-ce le cas au Val Montjoie ? Nous n’avons pas pu le vérifier.
Mais c’est en tout cas la méthode de fonctionnement de Bernard Bensaïd, comme il s’en expliquait en 2021 au moment de sa reprise du GHM.
« Quand on reprend ces établissements, nous nous engageons à maintenir la rémunération globale, les conventions collectives, les activités. On couvre les pertes des uns avec les excédents des autres. L'argent ne tombe pas du ciel, les frais supports, dont les frais de siège, participent à cette solidarité ».
La mission d’information du Sénat sur les Ephad, lancée après le scandale Orpea, a proposé de renforcer les contrôles et l’encadrement des flux financiers entre les sièges des groupes et les établissements qu’ils gèrent.
“Depuis dix ans, le groupe a connu une forte croissance en sauvant, en moyenne, une activité par mois. Avec 12.000 collaborateurs, répartis dans toute la France, et 400 établissements, le groupe Avec se classe dans le top 10 des groupes français acteurs du soin aussi bien en ville qu’à l’hôpital ou encore à domicile et en maisons de retraite. Fort de ses 800 médecins, le groupe Avec déploie 80% de son activité dans les domaines associatifs et mutualistes, inscrivant pleinement l’entreprise dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Les chiffres publiés sont bien la consolidation de l'ensemble des structures fédérées par le groupe secteur lucratif et secteur non-lucratif ” , nous a répondu Sandrine Thomas, la directrice de la communication du “groupe” Avec 1.
Ce discours correspond-il à la réalité? C’est ce à quoi nous tenterons de répondre dans la seconde partie de cette enquête.
Vous aurez compris à la lecture de ces deux exemples que le cas du “groupe” Avec est particulièrement complexe. Avant de nous plonger plus avant dans l’analyse que constituera la deuxième partie de cette enquête, il convient de rappeler un certain nombre de concepts.
Une activité économique, c’est à dire une activité qui créé de la richesse, de la valeur ajoutée, peut s’effectuer de deux manières différentes. A but lucratif, c’est à dire visant au partage des bénéfices dégagés de l’activité économique. A but non lucratif, où le but de l’activité ne peut pas être le partage des bénéfices. Toutes les formes de sociétés commerciales opèrent dans un but lucratif. Les associations, les sociétés mutuelles, les fondations, elles, agissent dans un but non-lucratif.
Une société commerciale dispose d’un capital social fongible (qui peut être vendu à autrui par son détenteur). Outre être le patrimoine représentant une partie des fonds propres de l’entreprise apportés par les actionnaires au moment de sa constitution, le capital social a pour fonction de déterminer la répartition des bénéfices sur la base de une part/action - un dividende.
Les entités à but non-lucratif ne peuvent pas distribuer leurs bénéfices à leurs membres ou sociétaires. Elles ne disposent pas de capital social. Leurs actifs proviennent d’apports, des cotisations de leurs membres ou sociétaires et des bénéfices de leurs activités.
Une mutuelle ou une association peut être actionnaire d’une société commerciale, alors qu’il est impossible de détenir, pour une personne morale comme physique, une part du capital d’une association ou d’une mutuelle, puisqu’il n’existe pas.
Quand on parle de mutuelles, on pense tout de suite à la complémentaire santé pour laquelle on cotise et qui rembourse les frais de santé en complément de l’assurance maladie. C’est plus compliqué que cela.
La Maaf, la Maif, MMA, la Matmut etc. ne sont pas des mutuelles mais des sociétés d’assurances mutuelles, c’est à dire des compagnies d’assurances mutuelles à but non lucratif soumises au code des assurances.
Les mutuelles ou sociétés mutualistes sont des groupements à but non lucratif. Elles sont régies par le code de la mutualité, qui en donne dans son article L111-1 la définition suivante:
"Les mutuelles sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif. Elles acquièrent la qualité de mutuelle et sont soumises aux dispositions du présent code à dater de leur immatriculation au Registre national des mutuelles. Elles mènent notamment au moyen de cotisations versées par leurs membres, et dans l'intérêt de ces derniers et de leurs ayants-droit, une action de prévoyance, de solidarité et d'entraide, dans les conditions prévues par leurs statuts afin de contribuer au développement culturel, moral, intellectuel et physique de leurs membres et à l'amélioration de leurs conditions de vie."
L’économie sociale et solidaire (EES) est un secteur d’activité qui comprend un ensemble d'entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. L’ESS bénéficie d’une existence juridique depuis la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l'économie sociale et solidaire
Les sociétés commerciales peuvent également relever de l’ESS à partir du moment où elles se déclarent comme telles au greffe du tribunal de commerce et respectent les mêmes principes que les non-lucratifs, auxquels sont assortis des obligations de gestion telles que la constitution d’un fonds de réserve statutaire, le réinvestissement d’au moins 50% des bénéfices et l’impossibilité d’amortir leur capital.
Un groupe de sociétés est constitué par une maison mère qui contrôle directement ou indirectement au moins 50% du capital de toutes ses filiales. Seules les sociétés sont susceptibles de former des groupes qui supposent des liens capitalistiques et un contrôle effectif. Dans le secteur à but non-lucratif, on parle plutôt de groupement ou d’union.
1 Contacté, le groupe Avec nous a répondu par la voix, et la seule, de sa directrice de la communication Sandrine Thomas, qui centralise toutes les questions et les réponses
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