
Obérer la paix depuis 1949 : l'Otan, anatomie d'une mauvaise idée
L'Otan fabrique-t-elle des ennemis pour justifier de son existence ? Quelles voies de sortie du désastre ukrainien? Le point avec Jack Matlock, John Mearsheimer, Anatol Lieven et Pascal Lottaz.
Pas vraiment un débat de plateau télé avec des experts autoproclamés, cette conversation modérée par Pascal Lottaz de Neutrality Studies remet l’église au centre du village, les yeux en face des trous, le cerveau à l’endroit et la perspective dans la profondeur quant à ce qu’est l’Otan et ce que fait l’Otan. Où l’on se rend compte de la pauvreté du débat en France et de l’inaptitude de nos politiques et de nos intellectuels. Débat salutaire quand, pour certains, les maîtres mots de la campagne des Européennes tournent autour de Poutine qui exonèrerait de tout...
Soixante-quinze ans de politiques délirantes et mortifères menées dans le cadre de l’Otan, ou bien est-ce à partir de la chute du Mur que le dérapage a commencé ? Quant à la croyance que les USA viendront au secours des Européens, ce n’est que cela, une croyance.
Il ressort de ce débat que l’Otan n’aurait pas fait plus pour l’Ukraine si l’Ukraine en avait été membre, puisque depuis 2014 l’Ukraine est traité en premier chef par les Etats-Unis, le Royaume Uni et l’Allemagne et depuis février 2022 par les autres membres de l’alliance atlantique comme un membre de fait.
Il est temps de se pencher sérieusement sur des décennies de politique étrangère occidentale intoxiquée au goulot de l’hubris et du refus de la réalité de l’évolution du monde.
Par ordre de prise parole :
Katrina van den Heuvel, ancienne directrice de la publication et rédactrice en chef de The Nation, hebdomadaire américain.
Pascal Lottaz, professeur de relations internationales à l’université de Kyoto au Japon, que L’Eclaireur a déjà eu l’occasion d’interviewer.
Jack F. Matlock Jr., immense diplomate, linguiste, spécialiste de la Russie, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Union Soviétique de 1987 à 1991. Un grand témoin de la guerre froide, de l’effondrement de l’URSS et de ce qui à l’époque fut promis par l’Occident. Retiré de la carrière, il fut titulaire de la chaire de relations internationales à l’université de Columbia (New York).
John J. Mearsheimer, diplômé de West Point (l’équivalent de Saint Cyr) , ancien officier de l’armée de l’air américaine, titulaire d’un doctorat de l’université de Cornell, il occupe la chaire de relations internationales de l’Université de Chicago. Il est le premier à avoir dès 2014 pointé avec acuité la responsabilité de l’Occident dans la crise ukrainienne dans un article fondamental publié dans Foreign Affairs, le périodique du Council on Forgien Relations.
Anatol Lieven, docteur en science politique de l’université de Cambridge, directeur du programme Eurasie au Quincy Institute for Responsible Statecraft.
C’est avec l’aimable autorisation de Neutrality Studies que nous publions la traduction en français de la vidéo ci-dessus. Elle est d’intérêt public, nous la laissons donc en accès libre.
Après avoir visionné la vidéo et/ou lu sa retranscription, posez-vous la question de savoir si ceux qui nous gouvernent ne doivent être pas écartés de manière définitive de toute position de pouvoir et d’influence.
Katrina van den Heuvel - Notre discussion portera sur l'Otan et l’évaluation de son rôle dans la nouvelle guerre froide qui s’annonce après la guerre en Ukraine.
4 avril 2024, c’est le 75e anniversaire de la fondation de l’Otan… Si vous lisez le communiqué officiel, l’alliance atlantique insiste sur le fait que pendant plus de sept décennies, elle a préservé la paix et la stabilité en Europe.
Nous allons probablement nous écarter du “narratif” et des sentiers battus. En 1997, le magazine que je dirigeais, The Nation, a publié un numéro spécial dont le titre était “Pourquoi il ne faut pas élargir l’Otan”.
Nous avions alors donné la parole aux observateurs, universitaires et analystes qui à l’époque avaient compris le danger qu’il y avait de violer la promesse de l’Occident faite à la Russie de ne pas avancer d’un pouce vers l’Est. Une promesse et une violation dont l'ambassadeur Matlock a été témoin.
La perception de l’histoire et de la réalité s’est dégradée au point que, si vous évoquez le rôle de l’expansion de l’Otan dans le conflit présent, vous êtes traité de tous les noms. L’ensemble des participants à ce panel se sont vu jeter l’anathème.
En 1997, témoignant devant la commission sénatoriale des relations étrangères, l'ambassadeur Matlock avait averti que l'accueil de nouveaux membres dans l'Otan pourrait bien entrer dans l'histoire, je cite, comme une “erreur stratégique majeure car constituant une menace sérieuse pour la sécurité de la Russie”.
Il y a eu également l’entretien célèbre entre Thomas Goodman et George Kennan1. Ce dernier appelait à une alternative, à une structure non-militarisée face à la Russie.
“L’Otan n’est pas une réunion tupperware”, répétais-je à l’époque. Ai-je besoin aujourd’hui de récapituler les conséquences aussi graves que dangereuses de son expansion ? J'espère que l’on se penchera et remettra en question le consensus obtus qui prévaut et que l'on adoptera une attitude dépassionnée quant à ce qu’est devenue l’Otan depuis 75 ans.
Pascal Lottaz - Je ne suis pas fan des alliances. D’un côté, je conçois qu'elles puissent être importantes pour la sécurité internationale, mais de l’autre, les alliances comportent toujours le danger de créer des réactions en chaîne. Comme lors de la Première Guerre mondiale, lorsqu'une petite guerre dans les Balkans a dégénéré.
Les alliances peuvent être des pièges. Elles alimentent le dilemme sécuritaire: la fabrication décrétée insuffisante de bonnes vieilles bombes et munitions peut conduire à ce que des États se sentent soudainement menacés alors qu’ils ne le sont pas. Ce fut le cas avec le Pacte de Varsovie. C’est ce que nous constatons également aujourd’hui avec les pays de l’Otan. Cette alliance fête ses 75 ans et elle semble très éloignée de ce pour quoi elle a été créée.
Monsieur l'ambassadeur Matlock, vous aviez 19 ans lorsque l’Otan a été fondée. Vous l'avez vu devenir ce qu’elle est. Quel est le rôle de l'Otan aujourd'hui dans le système international ? Pensez-vous qu'il soit bénéfique ?
Jack Matlock - Le rôle de l'Otan a effectivement beaucoup changé. Une bonne partie de ce qu’on nous avance aujourd’hui est erroné. On nous affirme que l’ajout de nouveaux membres, plus récemment la Finlande et la Suède, renforce les Etats-Unis. C’est faux. C’est un contresens. L’élargissement dessert aujourd’hui les intérêts de tous les Etats membres de cette alliance.
Plus avant, trop sont persuadés que le traité de l’Otan oblige les États-Unis à entrer en guerre. C’est également faux. Le traité de l’Otan2 stipule que s'il y a une agression militaire contre un membre, il s’agit alors d’une attaque contre tous et qu'il y aura - j'ai oublié la formulation exacte - une réflexion sur la façon de réagir. En aucun cas automatiquement la guerre.
L'Ukraine n'est pas membre de l’Otan, même si en 2008 il fut proclamé qu’elle le deviendrait. Les États-Unis se sont comportés depuis comme si elle l’était. Il est par conséquent peu probable que nous aurions fait plus pour l’Ukraine si elle était membre de plein droit de l’Otan puisque nous traitons l’Ukraine comme un membre de facto. Ce qui inquiète la Russie et ses dirigeants n’est pas tant la garantie de l’article 5 du traité de de l’Otan que l’implantation de bases américaines sur le sol ukrainien.
Lorsque nous en discutions dans les années 1990, l'ambassadeur de Russie à Washington, un bon ami avec qui j’ai négocié beaucoup de choses durant la guerre froide, m’a dit : “l’article 5 n’a aucune espèce d’importance, ce dont nous ne voulons pas, ce sont les bases”.
Et qu’avons nous fait ? Nous avons fourni des armes, des conseillers, du renseignement. C’est extrêmement dangereux. Nous ne devons pas non plus considérer notre posture simplement au jour de l’affaire Otan-Russie. Nous faisons la même chose en soutenant une guerre génocidaire à Gaza.
La marine américaine est obsédée par une guerre imminente avec la Chine. La Russie et la Chine sont des puissances comparables à la nôtre tant en matière nucléaire que cyber. Il est extrêmement dangereux pour la sécurité des Etats-Unis et du monde dans son ensemble de persister dans les politiques actuelles.

Pascal Lottaz - Difficile de ne pas être d’accord avec vous. Mais la question demeure : pourquoi faisons-nous cela ? Permettez-moi d’interroger John Mearsheimer, qui a souligné que Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’Otan, a admis non seulement une mais deux fois que la Russie a attaqué l'Ukraine à cause de l'élargissement de l'Otan.
Lorsque quelqu’un rappelle ce simple fait, il est immédiatement taxé d‘être la marionnette de Poutine. Alors qu’apparemment, même au quartier général de l’Otan, tout le monde s’accorde à dire que les Russes considèrent cet l’élargissement comme une menace existentielle.
Professeur Mearsheimer, sommes-nous témoins d’une escalade irréfléchie de la part de l’Otan, qui agresse la Russie par proxy, plutôt que de considérer ses appels à un règlement négocié en Europe ?
John Mearsheimer - L'extension de l'Otan, comme vient de clairement l’exprimer Jack Matlock, a commencé dans les années 1990. La Russie était alors extrêmement faible. L’expansion de l’Otan n’avait donc pas pour objectif de contenir la Russie puisqu’il n’y avait aucune menace russe.
L’expansion de l’Otan visait principalement à étendre vers l’Est cette “zone de paix” qui existait en Europe occidentale et que nous avons créée pendant la guerre froide.
Bien entendu, les Russes ont protesté vigoureusement, mais ils étaient trop faibles pour arrêter cet élargissement, dont la première phase a eu lieu en 1999. Nous leur avons fait avaler la deuxième phase, en 2004.
En avril 2008, lorsque nous avons déclaré que la Géorgie et l'Ukraine feraient partie de l'Otan, c’était la troisième phase. La Russie a clairement fait savoir qu’il s’agissait d’une menace existentielle et qu’elle ne permettrait pas que cela se produise.
Notre attitude ? Forcer une fois encore la Russie à boire cette amère potion. On aurait pu penser que, étant donné qu'une guerre a éclaté en août 2008 en Géorgie (perdue en moins d’un mois par l’armée géorgienne après un débarquement russe en Mer Noire, ndlr), nous eussions compris que ce fût la conséquence directe de la déclaration de Bucarest. On aurait pu penser que l’administration Bush, puis l’administration Obama, puis celle de Trump et enfin celle de Biden auraient intégré que continuer à pousser l’Otan vers l’Est allait déclencher une guerre en Ukraine, sur le même modèle qu’en Géorgie.
Mais non, nous avons simplement continué à pousser, et à pousser. Nous avons doublé la dose.
En décembre 2021, deux mois avant le début de leur opération spéciale, les Russes ont clairement indiqué qu’ils souhaitaient parvenir à un accord. Ils voulaient éviter le conflit. Qu’ avons-nous fait ?
Nous leur avons fait un bras d’honneur et leur avons dit que nous allions continuer à travailler à l’entrée de l'Ukraine dans l'Otan. A ce moment-là, nous avons fait de l’Ukraine un membre de facto de l’alliance atlantique.
Les Russes ont continué à protester. Nous les avons ignorés parce que nous pensions pouvoir leur imposer notre volonté. Et que si une guerre éclatait, nous serions en mesure de mettre la Russie à genoux principalement par des sanctions, mais aussi en utilisant l’armée ukrainienne pour affaiblir considérablement, voire vaincre, l’armée russe sur le champ de bataille.
Nous étions convaincus que nous allions avoir le dessus quoiqu’il arrive. Le vent a fini par tourner et nous nous trouvons maintenant dans une situation où l'Otan et les États-Unis vont perdre et les Russes gagner.
Pascal Lottaz - C’est un scénario très pessimiste selon lequel l’Otan et la Russie sont entrées dans une escalade délibérément choisie par l’Otan. Anatol Lieven, pourquoi, à votre avis, l’Occident a-t-il pris la décision d'intensifier son action au lieu de faire baisser la pression ?
Anatol Lieven - Tout ceci trouve son origine dans l’hubris occidental, justifié dans une certaine mesure dans les années 1990. Cela a produit d’étranges amnésies dans les esprits occidentaux. Jack Matlock a évoqué la crainte russe de bases américaines en Ukraine en raison de l’expansion de l’Otan.
Durant la guerre froide, l’idée selon laquelle l'Otan et les États-Unis devaient s'engager sur l'expulsion de la marine russe de Sébastopol et son remplacement par la marine américaine n’aurait été envisagée par aucun analyste – à part les plus enragés qui n’ont pas été pris au sérieux – parce que cela aurait été le chemin le plus sûr vers la guerre nucléaire, et devait donc être évité à tout prix.
C’est la fenêtre d'Overton, des idées et des choses auparavant considérées comme impensables et illégitimes le deviennent. C'est aussi le produit du déclin des études historiques, de la lâcheté et du conformisme des experts de la Russie qui ne voient pas plus loin que le consensus sur l'élargissement de l'Otan. Trop de gens qui étaient parfaitement au fait de ses conséquences désastreuses ont préféré ne pas dire publiquement la vérité.
Au sein de l'Otan, c'est la loi d'airain de la bureaucratie qui règne, selon laquelle les institutions créées dans un but spécifique ont pour objectif fondamental de croître et de survivre. L’Otan créera donc au besoin les raisons qui justifieront le maintien d’une alliance défensive, les raisons qui justifient son existence, comme l’avait d’ailleurs prévu un haut dirigeant russe dans les années 1990. C’est également valable pour les services de sécurité intérieure. S’il n’y a pas de menace, ils essaieront d’en inventer une pour justifier de leur existence.
Il y a également eu, et cela s'est encore une fois manifesté de façon évidente dans les années 1990, un énorme effort de propagande de l’Otan et de certains pays membres. Propagande abondamment financée afin de mettre un terme définitif au débat sur la question de l’existence de l’Otan et promouvoir sa ligne politique dans l’opinion publique.
Un autre aspect que John Matlock a soulevé est que les élites de l’Otan se sont auto-intoxiquées. Elles ont cru que l’élargissement n’allait pas porter à conséquence. Après la guerre russo-géorgienne de 2008, j'ai demandé à un haut gradé qui avait servi au quartier général de l'Otan à Bruxelles si l’alliance atlantique avait dressé un plan de contingence en cas de guerre entre la Russie et la Géorgie en cas d'adhésion de cette dernière à l'Otan. Je lui ai rappelé qu’il y avait des conflits territoriaux gelés et que Sakachvili (le président géorgien de l’époque, ndlr) avait clairement indiqué qu’il était déterminé à récupérer ces territoires d’une manière ou d’une autre. Il m’a répondu qu’il n’existait aucun plan pour cette éventualité qui n’avait jamais été évoquée au siège de l’Otan.
“Comment est-ce possible ?” l’ai-je interrogé. Il m’ a rétorqué : “l’expansion de l’Otan a été vendue à l’opinion publique comme ne présentant aucun risque. Par conséquent, si quelqu’un au quartier général de l’Otan avait évoqué la possibilité d’une guerre en Géorgie, cela aurait été considéré comme une opposition à l’expansion de l’Otan. Et comme cela avait été convenu par le secrétariat général et imposé par les USA et la Grande-Bretagne, celui qui aurait osé soulever cette éventualité aurait été renvoyé chez lui et immédiatement blacklisté.”
Cela en dit long sur le dysfonctionnement de la pensée stratégique à l’Otan.
L’Otan a réussi par la suite, dans une certaine mesure, à persuader l’opinion publique occidentale que son élargissement n’était finalement pas sans risque ni coût, mais que ces risques et ces coûts n’étaient pas de son fait, qu’elle n’avait pas failli.
C’est cet énorme mensonge que nous avons entendu répété à l’envi, que Stoltenberg lui-même contredit en public, selon lequel la guerre en Ukraine n'a rien à voir avec l'Otan…
Il n’en reste pas moins qu’on nous a mis dans une situation où il n’y a que deux solutions. La première est de convaincre l’opinion publique occidentale de courir des risques et la deuxième est de dépenser de l’argent public. Nos gouvernements ont été contraints, ou se sont laissés contraindre, à adopter le célèbre conseil du sénateur Vandenberg à Dean Acheson : foutez-leur la trouille.
Il s’agit d’une exagération colossale de la menace russe, non seulement contre l’Ukraine, mais contre nous, contre l’Occident, qui en réalité existe à peine. Mais si vous étudiez l'opinion publique occidentale, tout cela sonne faux, parce que personne n’a le sentiment d’être en guerre contre la Russie, ni d’être susceptible de l’être dans un futur proche.
Dans des circonstances où les finances publiques sont réellement sous pression et où l'on connaît une stagnation économique générale en Europe, il est très peu probable que les citoyens européens acceptent le niveau de dépenses publiques que leurs gouvernants cherchent à leur imposer.
Par l'infantilisation de l'Europe qui provient de la guerre froide et à cause du manque absolu de confiance de l'Europe dans sa propre capacité à se défendre, nous avons vu émerger une situation dans laquelle l'Otan a généré la menace dont elle prétend nous prémunir, ce qu’elle est bien incapable de faire.
Pascal Lottaz - Ambassadeur Matlock, êtes-vous d’accord pour dire que l’Otan a fabriqué son propre ennemi - ennemi avec lequel vous avez travaillé pour en faire en fait un ami ?
Si vous avez contribué à mettre fin à la guerre froide, comme vous continuez à le souligner, c’est parce que les deux parties ont compris l’utilité d’y mettre en terme et de coopérer. Pourquoi l’Otan crée-t-elle ce nouvel ennemi ?
Jack Matlock - Tout d’abord, je pense que la guerre froide a mis fin à un réel problème. L'Union soviétique était motivée par une idéologie marxiste-léniniste selon laquelle elle menait une révolution mondiale contre la soi-disant bourgeoisie, c'est-à-dire contre les pays occidentaux développés de l'époque. Cela constituait une véritable menace pour nous et notre mode de vie, en particulier via une expansion soviétique en Europe occidentale. Et c’est la raison pour laquelle l’Otan a été créée.
Maintenant, on nous dit : “si la Russie - en fait ils disent Poutine - gagne en Ukraine - et on ne définit pas ce que gagner signifie - alors elle attaquera l'Europe de l'Est. Il n’existe aucune preuve de cela. On nous dit aussi que la Russie est une autocratie qui veut imposer partout un système autocratique. C’est totalement absurde.
Les Russes se fichent de notre forme de gouvernement tant que nous ne les menaçons pas. En d’autres termes, ils n’ont pas aujourd’hui la stratégie agressive qui découlait de l’idéologie communiste.
La guerre froide a pris fin lorsque Gorbatchev a officiellement abandonné cette idéologie et a commencé à parler des intérêts communs de l'humanité au lieu de la dictature du prolétariat.
Un autre aspect fondamental de la fin de la guerre froide auquel on ne prête pas suffisamment attention fut la course aux armements, particulièrement dangereuse à cause de la prolifération des armes nucléaires. À un moment donné, nous en avons eu assez. Nous avions de quoi détruire de trois à sept fois la planète. Je n’ai jamais compris l’intérêt de disposer de quoi la détruire plus d'une fois. Cette course aux armements nucléaires était absolument insensée.
Or ce que nous nous avons fait concomitamment à l’élargissement l’Otan a été de nous retirer unilatéralement de toutes les traités de sécurité mutuelle et de contrôle des armements nucléaires, accords que nous avions conclus pour mettre fin à la guerre froide.
La situation géopolitique est totalement différente aujourd'hui, mis à part le fait qu'à partir du moment où nous avons commencé à mettre fin à la guerre froide et où nous avons négocié sur la réunification de l'Allemagne, nous avons indiqué au président Gorbatchev qu’il n’y aurait pas d’élargissement de l’Otan.
Aujourd’hui, ceci est systématiquement nié. Cette promesse n'était effectivement pas consignée dans un traité, mais ce fut un argument utilisé avec beaucoup d'insistance au cours des les négociations sur la réunification de l’Allemagne, non seulement par les États-Unis, mais aussi par le ministre allemand des Affaires étrangères de l’époque et le Premier ministre britannique.
Et je me souviens que durant ces négociations Gorbatchev nous répondait : “si vous élargissez l'Otan, alors nous devons en devenir membre”. En d’autres termes, nous avons besoin d’une organisation de sécurité qui protège tout le monde au lieu d’une alliance qui, pour justifier de son existence, utilise les intérêts spécifiquement russes comme casus belli.
Bien entendu, après l’éclatement de l’Union soviétique, la Russie ne comptait plus que la moitié de la population de l’Union soviétique et son armée était dans une déliquescence complète. Ce qui nous inquiétait le plus à l’époque était le transfert d’armes nucléaires ou de leur technologie vers d’autres pays ou vers des groupes terroristes. C'est un danger qui persiste et dont on n'entend jamais parler.
Si la pression sur la Russie devait provoquer un effondrement de son gouvernement, cela pourrait devenir un danger existentiel pour nous tous si ces armes nucléaires ne sont pas maintenues sous contrôle, ce que le gouvernement russe a jusqu'à présent toujours été capable d’accomplir.
Il y a de nombreux aspects que nous choisissons d’ignorer.
Pascal Lottaz - Professeur Mearsheimer, il semble que les Européens et les Américains pensent toujours que nous pouvons faire avaler l’élargissement de l’Otan aux Russes, sans toutefois avoir les mêmes craintes que durant la guerre froide, celle d'une véritable escalade et d'une guerre nucléaire.
Voyez-vous également ce problème, à savoir que les gens n’ont pas peur que, d’une manière ou d’une autre, une guerre nucléaire ou une guerre conventionnelle avec la Russie soit envisageable pour beaucoup de monde, ou vais-je trop loin ?
John Mearsheimer - L'administration Biden a compris dès le départ qu'il existait un sérieux risque de conflit nucléaire si les Russes perdaient de manière décisive en Ukraine ou si nous, c'est-à-dire l'Otan, étions entraînés dans cette guerre.
Je pense que l’administration Biden, avec laquelle je suis d’habitude en désaccord sur tout, s’est comportée assez intelligemment sur la question de l’escalade nucléaire.
La situation s'est aujourd’hui retournée dans le sens où les Occidentaux savent que les Russes ont de fortes chances de gagner cette guerre. Nous pouvons parler de victoire et disserter sur ce que cela signifie : les Ukrainiens ne la gagneront pas. Ils ne récupéreront pas les territoires qu’ils ont déjà perdus. Je pense même qu’ils vont en perdre encore plus. Et cela va porter un coup dévastateur à l’Otan.
La question qu’il faut se poser à ce stade est la suivante : vu ce retournement de situation et que l’Otan et les États-Unis en particulier sont en grande difficulté, qu’allons-nous faire ? Jusqu'à ce que la guerre éclate et même après son déclenchement, nous parlions de jouer à la dure avec les Russes et de les mettre à genoux. C’est terminé, nous allons perdre même s’il va y avoir un gel du conflit. Qu’allons-nous donc faire ?
Je suis curieux d'entendre ce qu'Anatol Lieven et Jack Matlock ont à dire, mais mon point de vue est que les États-Unis et l'Otan ne vont pas se coucher et jouer les morts mais continueront, dans un avenir proche, à essayer de causer des problèmes aux Russes, à tenter de saper leur position en Ukraine.
En retour, les Russes feront de grands efforts pour semer la zizanie à l’intérieur de l’Ukraine, pour la maintenir comme un État croupion dysfonctionnel. Ils feront également tout ce qu’ils peuvent pour jeter le trouble en Europe et dans les relations transatlantiques.
Nous sommes condamnés à une âpre compétition en matière de sécurité entre les Russes d’un côté et les Ukrainiens de l’autre côté.
Tout cela nous ramène au point initial de Jack Matlock selon lequel cette décision d’élargir l’Otan puis d’y intégrer l’Ukraine fut une décision désastreuse. Il est tout simplement impossible d’apprécier pleinement l’ampleur des dégâts déjà causés et ceux qui le seront à l’avenir par cette décision remarquablement stupide.
Pascal Lottaz - En 2014, professeur Mearsheimer, vous avez écrit un essai selon lequel l’Ukraine est le candidat type pour la neutralité. D’autres ont déclaré que l’Ukraine devrait rester neutre afin de parvenir à une désescalade et de maintenir une forme de sécurité mutuelle. Mais permettez-moi de me tourner d'abord vers Anatol Lieven…
Anatol Lieven - J'ai bien peur que John Mearsheimer ait raison ! On peut considérer les institutions de sécurité occidentales presque avec une joie malsaine, car elles ont été créées et configurées pendant la guerre froide, donc obsolètes. Elles s’enferment dans une rivalité universelle avec la Russie. Partout où se trouve l’influence de la Russie, elle doit être combattue. Même en Syrie et en Afrique de l’Ouest où nos ennemis islamistes, qui sont aussi les ennemis de la Russie, jubilent.
Mais une fois que cela devient le cadre directeur, la procédure opérationnelle standard des institutions de sécurité, tout le monde a tendance à s'aligner.
En tant qu'historien, ce que j'ai essayé de rappeler encore et encore, y compris aux Ukrainiens, c'est que si la guerre était gelée avec la neutralité le long du front qui existe actuellement, cela ne constituerait pas une défaite d’un point de vue historique, mais une grande victoire pour l’Ukraine. Car 80 % de l’Ukraine serait indépendante. Elle ne ferait pas partie de l'Otan, mais elle aurait la capacité, si elle le peut, de se rapprocher de l'Union européenne.
L’Ukraine resterait, bien sûr, farouchement anti-russe. Cela constituerait une grave défaite pour la Russie.
Josep Borrell, le soi-disant chef de la politique étrangère de l'UE, a réitéré le plein soutien de l'Union européenne pour le plan de paix en dix points de l'Ukraine, qui n'est pas un plan de paix. Il implique un retrait complet de la Russie, des réparations, des procès pour crimes de guerre, etc., des choses que l’on ne peut obtenir qu’avec une victoire militaire complète de l’Ukraine, ce qui n’arrivera jamais.
Nous nous sommes enfoncés comme d'habitude par rhétorique, à force de trop parler, dans une situation où nous sommes cloués à une victoire complète que nous ne pouvons pas obtenir. Ce faisant, nous avons rendu infiniment plus difficile la réalisation d’une paix à conditions raisonnables.
Cela sera généralement perçu tant en Occident et que dans le reste du monde comme une énorme défaite de l’Otan et un succès russe bien plus important que ce qui a été enregistré jusqu’à présent.
Une autre chose que j’avance à propos de la politique américaine au Moyen-Orient et mais aussi à propos de l’expansion de l’Otan : si j'étais complotiste – ce qui n'est évidemment pas le cas – je dirais que la politique américaine dans le monde ces trente dernières années a été conçue par un conseil secret de méchants vieillards super intelligents qui se réunissent dans une grotte en Chine, tant il est clair que tout cela n’a profité qu’aux Chinois.
Pascal Lottaz - Je sais que le professeur Mearsheimer sera d’accord puisqu’il insiste continuellement là-dessus… A l'ambassadeur Matlock de répondre au professeur Mearsheimer…
Jack Matlock - Même si nous nous concentrons sur l'Otan et son 75e anniversaire, il est extrêmement important de replacer cela dans le contexte mondial. Quand on regarde ce qui se passe actuellement avec la guerre à Gaza, nous assistons à un nouvel effort de génocide alimenté sous couverture diplomatique par ces armes américaines. Cela met en colère la terre entière, à l’exception de quelques-uns de nos alliés de l’Otan en Europe.
Pendant ce temps, certains de nos amiraux parlent de la possibilité d’une guerre avec la Chine, également une puissance nucléaire, et certainement une puissance qui peut exercer une supériorité navale dans sa zone économique au moment où nous continuons à faire la police dans ses eaux et à affirmer le droit de garder sous contrôle de notre marine la mer de Chine méridionale… Il me semble que les États-Unis sont désormais largement sur-engagés.
Si l’on regarde notre situation financière, notre dette publique ne cesse d’augmenter de plusieurs milliers de milliards chaque année. Nous n'avons pas atteint l'équilibre budgétaire depuis 1991.
Toutes les guerres auxquelles nous avons participé depuis que nous avons envahi l’Irak ont été financées par la dette. Comme Powell l’avait dit, ce n’est pas viable parce que nous avons un déficit budgétaire alors que nous devons relancer notre économie nationale.
Et même si l’on dit que l’économie va bien, nous sommes toujours en déficit. A chaque fois que nous envoyons quelques milliards supplémentaires en Ukraine ou en Israël, nous contractons des dettes que la prochaine génération devra payer, à moins de voir le dollar s’effondrer.
Dans ce contexte, nous devons reconnaître que nous nous engageons bien trop par les politiques que nous menons. Je me demande combien de temps cela va durer et surtout combien de temps cela va prendre pour que nos principaux alliés européens - hormis les Britanniques, qui semblent déterminés à utiliser la puissance américaine pour recréer l’Empire britannique - s’en rendent compte.
Le jour où les Allemands et les Français comprendront que cette attitude à l'égard de la Russie n'est pas dans leur intérêt et qu'elle leur coûte vraiment top cher, que feront-ils ?
Pascal Lottaz - Personnellement, je ne m'inquiète pas beaucoup de la dette, car tout pays qui s'endette dans sa propre monnaie a toujours une issue grâce à la planche à billets.
John Mearscheimer - Si vous regardez les États-Unis, il y a trois régions du monde qui leur tiennent vraiment à cœur aujourd’hui : l’Asie de l’Est, où se trouve la Chine; l’Europe où l’accent est évidemment mis sur l’Ukraine; le Moyen-Orient, où nous avons la guerre à Gaza, mais où règne la menace d’une escalade dans toute la région.
Il est très clair qu'en termes de priorités, l'Europe arrive au troisième rang. Tout d’abord, les États-Unis considèrent la Chine comme un concurrent pair, ce qui n’est pas le cas de la Russie. D’où le pivot stratégique vers l’Asie.
Et en ce qui concerne le Moyen-Orient, étant donné que les États-Unis entretiennent avec Israël une relation sans précédent dans l’histoire, il est impossible que l’Ukraine soit privilégiée. Israël et la Chine sont donc les deux principales préoccupations américaines.
Ce que cela signifie pour l'Otan, l'Ukraine et l'Europe, c'est que les États-Unis ne pourront plus à l'avenir jouer le même rôle que celui qu'ils ont joué par le passé. Nous allons mettre beaucoup plus l’accent sur la nécessité d’amener nos alliés à assurer davantage leur propre sécurité. Vous pouvez déjà le voir et vous pouvez constater que nos alliés vont essayer de faire plus pour résoudre le problème russe qu’ils se sont eux-mêmes créés.
Je pense en revanche qu’on va se heurter à de sérieux achoppements en matière d’action collective à l’avenir. Il y avait un grand avantage à ce que les Européens ne dépensent pas beaucoup d’argent en défense et laissent les Américains diriger l’alliance atlantique. Cela résolvait toutes sortes de problèmes d’action collective inhérents aux alliances.
Que va-t-il se passer quand les États-Unis se concentreront davantage sur l’Asie de l’Est et sur le Moyen-Orient et moins sur l’Ukraine ? Vous verrez les désaccords entre nos alliés devenir plus manifestes.
Bien sûr, les Russes vont faire tout ce qu'ils peuvent pour profiter des éventuelles tensions entre les Etats membres de l'alliance, qui sont déjà en train de se crêper le chignon en coulisses. Si vous regardez les relations franco-allemandes aujourd'hui, elles sont tout simplement exécrables. L'avenir de l'Otan en tant qu'institution ne semble pas rose, même si elle ne va pas disparaître du jour au lendemain.
Les relations entre l’Otan et l’Ukraine d’un côté et les Russes de l’autre vont être terribles à court terme. L’Otan sera une alliance inefficace si on la compare à ce qu'elle a été dans le passé.
Pascal Lottaz - Les alliances ont toujours cette tendance consistant à faire accepter les choses à leurs membres individuels. Nous avons vu, par exemple, que le Pacte de Varsovie a été utilisé bien plus contre ses propres membres que contre l’extérieur.
Récemment, nous avons vu pour la première fois ce que je crois être l’utilisation de l’Otan contre un projet d’infrastructure d’un de ses membres. Qu’est-il arrivé au pipeline allemand ? Ce n’est toujours pas clair.
Anatol Lieven, pensez-vous qu’il y a des signes indiquant que l’Otan soit en état de mort cérébrale et ne remplit plus sa fonction ?
Anatol Lieven - C'est le cas. Ce qui m’inquiète en Amérique et en Europe, c’est ce qui a été très largement encouragé par cette hystérie largement fausse du soi-disant Russiagate (les allégations fausses de collusion de Donald Trump avec la Russie, ndlr). Je pense malheureusement qu’on impute certaines évolutions et tendances politiques strictement intérieures à l'ennemi russe. Il ne s’agit donc plus d’un débat sur les intérêts nationaux. Non, nous avons des traîtres. Nous avons une cinquième colonne parmi nous. Et parallèlement nous avons le discours tout aussi hystérique sur l’extrême droite.
Cela pourrait donner lieu à des dérives dangereuses en matière de politique intérieure. Elles seront justifiées comme la nécessaire défense de la démocratie libérale, mais cela pourrait aboutir à l’adoption de politiques très antilibérales, ce qui conduirait à son tour à un cercle vicieux de radicalisation et de conflits intérieurs. C'est une autre raison pour laquelle je souhaite voir la fin de la guerre en Ukraine et une diminution des tensions avec la Russie, induite par l'épuisement des budgets nationaux, surtout en Europe.
Le parti libéral dont le ministre allemand des Finances est issu est en train de passer sous la barre des 5% d’intentions de votes aux Européennes3. A l’instar du premier ministre danois, il a parlé de geler les prestations sociales et les subventions aux entreprises, afin de financer la guerre en Ukraine. Et cela au moment où l’on parle de plus en plus de la désindustrialisation de l’Allemagne, causée en partie par cette guerre.
En Grande-Bretagne, la somme de cinq milliards de livres sterling promise par le gouvernement britannique à l'Ukraine est celle nécessaire pour ramener le Service National de Santé à l’équilibre.
Ces questions vont produire d’énormes divisions en Europe et seront couplées aux accusations de trahison et de cinquième colonne, alors que la montée du populisme n’y est pas due à la Russie. Nous connaissons tous les facteurs internes qui en sont à l'origine. Avec les accusations de poutinophilie, cela peut contribuer à orienter la politique européenne et la politique américaine dans des directions très dangereuses.
Pascal Lottraz - Que conseillerez-vous à l’Otan ?
Jack Matlock - A l'heure actuelle, en regardant la politique des différents pays de l'Otan et des États-Unis, il m'est difficile de faire une prédiction autre que celle de John Mearsheimer.
J’ai travaillé pour le président Ronald Reagan, qui a été élu sur un programme fortement anticommuniste et antisoviétique. Les gens pensaient qu’il allait nous rapprocher d’une guerre nucléaire. Il s’est avéré qu’il était déterminé à nous maintenir à l’écart de la guerre. C'était un président de la paix.
Et une fois que nous avons eu un secrétaire d'État qui était sur la même ligne aux côtés de quatre ou cinq personnes clés au sein de l’administration, en trois ans environ, nous avons pu mettre fin à la course aux armements nucléaires et à la guerre froide grâce aux changements que nous avions encouragés et acceptés en Union soviétique.
Je ne pense pas qu'un seul expert en 1980-1981 aurait le pu prévoir A l’heure actuelle, je ne vois personne dans l’un ou l’autre de nos partis politiques qui soit capable d’accomplir la même chose.
Pascal Lottaz - Anatol Lieven ?
Anatol Lieven - Ce que je conseille à l’Otan, c’est ce que je dis et j'écris depuis des mois maintenant : des négociations ouvertes avec la Russie, en proposant un traité de neutralité. C’est une question qui relève uniquement de nous et non des Ukrainiens. La question de l'admission des membres à l'Otan relève de l'Otan. Et d’ailleurs, n’importe quel pays de l’Otan peut y opposer son veto, comme nous l’avons vu pour la Suède avec la Hongrie et la Turquie.
Proposer un traité de neutralité, proposer bien sûr la levée des sanctions, s'engager à parler sérieusement d'une nouvelle architecture européenne de sécurité, Et sur la question territoriale en Ukraine, il faut simplement la reporter à des négociations futures, sans doute sans fin, comme à Chypre.
C’est en grande partie ce que le président Zelensky a proposé peu avant le début de la guerre, mais pour toute une série de raisons, cela a été abandonné. Mais c’est notre meilleure chance, notre seule chance, dirais-je, de sortir de ce désastre épouvantable et effroyablement dangereux.
Pascal Lottaz - John Mearsheimer ?
John Mearsheimer - Je suis entièrement d’accord avec Anatole Lieven, mais j’aborderais les choses sous un angle légèrement différent. Il ne suffira pas de dire que l’Ukraine ne fera pas partie de l’Otan. Nous devons rompre complètement nos relations de sécurité avec l'Ukraine pour que les Russes sentent que l’Occident n’essaiera plus subrepticement de faire de l’Ukraine un membre de facto de de l'alliance atlantique.
La deuxième chose est que nous devrions pousser immédiatement les Ukrainiens à entamer des négociations sérieuses avec les Russes afin qu’ils ne perdent que le territoire qu’ils ont déjà perdu.
Le grand danger est que si cette guerre continue et que nous persistons à menacer d'introduire l'Ukraine dans l’Otan, nous inciterons les Russes à s'emparer davantage de territoire. A faire de l'Ukraine un État croupion dysfonctionnel afin que si jamais elle devenait membre de l’Otan, elle ne constituerait pas une menace sérieuse.
Ce que l'Otan doit donc faire est expliquer clairement que l’Ukraine ne sera pas membre de l’Otan et qu’elle doit négocier seule ses garanties de sécurité avec la Russie.
En outre, nous devons cesser de favoriser les révolutions de couleur en Europe de l’Est parce que les Russes pensent qu’ils en sont la cible ultime.
Nous devrions, d'une manière très claire abandonner toute cette entreprise dont l'Otan est l'élément central visant à faire de l'Ukraine un rempart occidental à la frontière de la Russie.
Nous devrions cesser de confronter la Russie. Car le fait est que, malgré toute la rhétorique actuelle sur la menace russe en Occident, elle n’a pas l’intention de conquérir toute l'Ukraine. Et encore moins de conquérir des pays d’Europe de l’Est. Poutine n’a jamais manifesté le moindre intérêt à conquérir quoi que ce soit. Nous devons le reconnaître et nous devons changer radicalement de politique, pas seulement dans l'intérêt de l'Ukraine.
Perpétuer la situation actuelle s’avérerait désastreux à terme pour toute l’Europe qui a intérêt, à mon avis, à évoluer dans une direction complètement différente. Mais les chances que cela se produise sont probablement nulles. Nous pouvons donner ce conseil, il semble que personne ne nous écoutera.
George Kennan, le diplomate américain concepteur de la doctrine du “containment” (contention) de l’URSS durant la guerre froide.
Le fameux article 5 du traité de l’Otan va: “Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord.
Toute attaque armée de cette nature et toute mesure prise en conséquence seront immédiatement portées à la connaissance du Conseil de Sécurité. Ces mesures prendront fin quand le Conseil de Sécurité aura pris les mesures nécessaires pour rétablir et maintenir la paix et la sécurité internationale.”
Seules les listes ayant fait plus de 5% envoient des députés à Strasbourg.