[ Ukraine ] Du double effet kiss-cool des sanctions

Il y a un an, nous vous expliquions à quel point les sanctions contre la Russie seraient pire qu'inopérantes. Alors que l'UE persiste dans le déni, le réveil est douloureux pour Berlin.

Dans le livre de Stephan Lamby “Ernstfall. Regieren in Zeiten des Krieges” ¹, la cheffe de la diplomatie allemande Annalena Baerbock se dit “déçue” quant à l'impact des sanctions visant la Russie. Rappelons que Mme Baerbock avait déclaré dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe que nous menions une guerre contre la Russie, une déclaration de guerre en bonne et due forme. Faute d’une gravité sans nom qui pourtant n’a pas mené à son limogeage séance tenante, pas plus qu’aux vigoureuses protestations des autres pays, à commencer par celles de la France.

Si les sanctions économiques sont inefficaces, explique la ministre des affaires étrangères écologiste allemande, c’est parce que ces “décisions et mesures rationnelles” (sic) se heurtent au système autocratique russe. Mais non parce que ces mesures, somme toutes très imbéciles, sont faciles à contourner, quitte à ce qu’elles reviennent en pleine poire de l’Union européenne…

Notez que l’Union européenne a adopté la devise [Errare non europeum est ], perseverare diabolicum² .

Nous en sommes au onzième train de sanctions et pas plus tard qu’en mai dernier, le Conseil de l’UE s’enorgueillissait que “ les sanctions de l'UE contre la Russie ont eu une incidence considérable sur l'économie russe”. Du Bruno Le Maire dans l’esprit.

Détail, d’après le Financial Times, les entreprises de l'UE ont encaissé au moins 100 milliards d’euros de pertes directes de leurs opérations en Russie. Deux fois le PIB de l'Ukraine en 2021.

L’économie russe décline (dixit le Conseil européen) ? En 2022, le PIB russe a certes chuté de 2,1 % mais rappelons que le FMI tablait sur une baisse de 8,5 %. Au premier semestre 2023, l’économie russe a cru de 4,9%.

Les échanges (importations et exportations) entre l’UE et la Russie baissent ? Rapportée à l’augmentation des prix, la valeur du commerce avec la Russie a été plus élevée en 2022 qu’en 2021. Le manque à gagner avec l’Europe a été plus que compensé par les échanges avec la Chine, l’Inde, la Turquie et les Émirats arabes unis.

Exactement ce que nous disions il y a plus d’un an. “Plus des deux tiers du commerce international russe ne se fait pas avec l’Occident”, soulignait-on en mars 2022. Retour de manivelle assuré. “Nous, Occidentaux, finançons nos mesures de rétorsion contre la Russie avec de la dette financée par la BCE, c’est à dire par la création de monnaie, ce qui induit de l’inflation”.

Alors que l’UE persiste dans le déni, le réveil est particulièrement douloureux pour l’Allemagne qui, souffrant le plus économiquement des sanctions imposées à la Russie, s’enfonce dans la récession. En même temps que monte en puissance l’AFD, parti de droite radicale et anti-européen, en passe de dépasser dans les sondages l’historique parti de gouvernement des chrétiens-démocrates (CDU-CSU).

Nous re-publions notre podcast de mars 2022.

1. Situation d'urgence. Gouverner en temps de guerre, livre publié aux éditions C.H. Beck en Allemagne.

2.  L'erreur est humaine, mais persévérer [dans son erreur] est diabolique.