Vers la société féodale 2.0
Terrorisme, Covid, Ukraine: surveillance de masse accrue. Ceux qui agitent le crédit social à la chinoise se trompent: il s'agit d'un totalitarisme occidental tout ce qu'il y a de plus classique.
Alors que des rumeurs courent quant à la convocation par la police de soignants non vaccinés à fins de collecte de renseignement et de fichage (de nouveau autorisés depuis 2021 alors que le renseignement politique tous azimuts avait été strictement interdit depuis 1999), alors que tous les ordres médicaux ont signé une déclaration commune avec le ministère de la santé muselant tout avis contraire ou critique quant à l’obligation vaccinale, alors qu’une ministre fille de scientologues veut organiser des assises du complotisme et des dérives sectaires, nous sombrons, il semble, dans une société de plus en plus totalitaire.
Il est vrai que les technologies dont nous disposons aujourd’hui permettent une surveillance de masse des individus, corollaire de la suppression des frontières et d’une prétendue “société fluide”. Les points de passage obligés où les individus pénétrant sur le territoire permettaient de contrôler et autoriser ou non n’existant plus, ne reste qu’à surveiller tout le monde.
Car les frontières, qu’on le veuille ou non, sont le moyen de garantir l’état de droit pour toutes les personnes se trouvant sur le territoire national ainsi que les libertés individuelles avec un minimum de surveillance. Les frontières délimitent l’espace dans lequel les mêmes loi s’appliquent à tous les individus s’y trouvant et l’espace dans lequel les mêmes droits leurs sont garantis.
Les institutions dont le rôle est de faire appliquer la loi à tous de la même manière en tout point du territoire nation (justice), d’assurer la sécurité des personnes et des biens (police), la défense du territoire national (armées) et des intérêts de la nation (diplomatie) ne fonctionnent plus. Les causes? Manque de moyens, subordination au pouvoir politique, protection des intérêts étroits d’infimes minorités contraires à l’intérêt général, corruption morale. Dévoiement généralisé de nos institutions.
On nous agite souvent le contrôle social à la chinoise. Qu’en est-il vraiment ? La Chine, pays au régime autoritaire voire totalitaire, serait-elle plus raisonnable et raisonnée que nous ?
Au demeurant, le crédit social existe en France depuis trente ans. Qu’est-ce donc que le permis à points ?
“Commençons par définir ce qu’est un système de crédit social. Un système de crédit social est un système qui prétend garantir les libertés individuelles. Il ne vous envoie pas au goulag pour avoir exprimé une opinion dissidente. Il conditionne la vie en société et l’accès aux activités s’y rattachant – activités économiques, capacité à dépenser votre argent - au fait d’afficher les opinions correctes. Si vous ne le faîtes pas, alors vous êtes partiellement ou totalement exclu de l’utilisation de plateformes en ligne. C’est la situation vers laquelle nous nous acheminons graduellement.”
David Sacks, entrepreneur et investisseur dans “Honnestly”, le podcast de Bari Weis.
David Sacks en connait un rayon. Il fut un membre de la “Paypal mafia” au côté de gens comme Peter Thiel et Elon Musk. Il a investi très tôt dans des entreprises comme Facebook, Twitter, AirBnB, Reddit etc.
Il est l’un des “venture capitalists” les plus célèbres de la Silicon Valley. Et pourtant il s’acharne aujourd’hui à dénoncer le pouvoir bien trop important des Gafam, de la “Big Tech”, qu’il a grandement contribués à construire. Syndrome du Dr. Frankenstein? Vous pouvez lire David Sacks sur le Substack de notre consœur Bari Weis et l’écouter sur le podcast “All in” dont il est l’un des animateurs.
Il y a définitivement quelque chose qui ne tourne pas rond dans la start-up nation. S’y est-il produit une sorte de transmutation des valeurs par laquelle le principe de liberté individuelle exacerbée qui l’a fondé s’est mué en délire paranoïaque panoptique? Ces technologies qu’on disait libératrices – et elles le furent pendant un quinzaine d’années, de 1995 à 2010 – sont-elles intrinsèquement et inexorablement des vecteurs d’asservissement ? Ont-elles été conçues à cet effet ?
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Seuls des hommes asservissent d’autres hommes. La technologie ne vaut que par l’usage que l’on en fait. Si l’on se coupe des ongles des doigts de pied à la hache, l’on risque d’y laisser un orteil. Il est intéressant de constater que notre usage du mot technologie est abusif, puisqu’il désigne le langage afférent aux arts et métiers – le jargon – et non pas l’outil et son usage. Quand nous disons technologie, nous signifions la plupart du temps technique.
Ce sont les progrès exponentiels en matière de microélectronique et de semi-conducteurs – capacité de calcul des microprocesseurs et capacité de stockage de données – et en matière de bande passante des câbles (fibre optique, encore un fleuron français vendu par Macron) et par ondes radio (4G, 5G), qui permettent le développement de logiciels et d’algorithmes de plus en plus complexes et puissants, la création d’intelligences artificielles.
A la fois paranoïaque et puérile, la volonté affichée par certains de modéliser la totalité d’un être humain par l’ensemble des données le concernant à fins de contrôle est vouée à l’échec. Il faudrait littéralement résider dans la matrice de “The Matrix” pour que cela soit possible, c’est à dire être en état voisin du coma artificiel.
Par renoncements successifs, un passe vaccinal a été instauré à grande échelle, comme le souligne Loïc Hervé, sénateur de Haute-Savoie interviewé dans nos colonnes. Son efficacité est nulle et son contrôle plus qu’aléatoire.
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On a pu voir un fils à papa apprenti dictateur incompétent casser un mouvement social au Canada par l’usage de la violence d’État au mépris des libertés fondamentales, notamment en supprimant l’accès des manifestants au fruit de leur travail, à leur compte en banque, leur niant la possibilité de vivre.
Nous disposons aujourd’hui de techniques qui permettent de contrôler peu ou prou l’ensemble de la vie sociale d’un individu. Sur le modèle du passe sanitaire, il suffira de supprimer un éventail de libertés individuelles pour ne les accorder qu’à ceux qui feront preuve du bon comportement.
Qu’en est-il du développement de l’intelligence artificielle en Chine, le pays le plus en avance en la matière et qu’on répute avoir mis en place un système de contrôle social de ses citoyens ?
Cette fascinante vidéo de Glenn Loury nous apporte tous les éléments nécessaires. Elle est en anglais. Utilisez les sous-titres ou bien lisez le court résumé ci-après.
La Chine a adopté une triple approche de régulation (gouvernance ne veut rien dire en français) de l’intelligence artificielle.
Un ensemble de 30 règles qui s’appliqueront à l’ensemble des algorithmes utilisés sur internet. Un exemple de règles est la capacité de l’algorithme à donner une explication à et corriger toute atteinte aux droits et intérêts des utilisateurs. Cette règle est particulièrement intéressante car si les plateformes - YouTube, Facebook, Twitter etc. - ne donnent aucune explication quant à, par exemple, une décision de suspension de compte, c’est souvent plus parce qu’elles ne savent pas ce qui a motivé l’action que parce qu’elles refusent de s’expliquer. En clair, personne ne possède une vision d’ensemble de ce que l’algorithme fait.
Des outils et des systèmes permettant de tester et de certifier les algorithmes de confiance sur des critères tels que la robustesse, les biais et leur capacité à expliciter.
Un ensemble de règles éthiques s’appliquant au développement d’intelligences artificielles assorti de l’existence obligatoire de comités d’éthique au sein de tout organisme y travaillant, chargés de mettre en œuvre ces règles et et de contrôler leur application.
Oui. Vous avez bien lu. La Chine, ce pays totalitaire, cette dictature communiste veut que toute décision prise par un algorithme ou une intelligence artificielle puisse s’expliquer et être corrigée à chaque fois qu’il est porté atteinte aux droits et intérêts d’un utilisateur.
En fait, le crédit social tel qu’on nous le présente dans les médias n’existe pas en Chine. Il s’agit pour le moment d’un système qui ne vise que les personnes morales ou des individus sous le coup de décisions de justice. L’objectif n’est pas de contrôler tous les individus mais de s’assurer que ceux qui doivent respecter un ensemble de réglementations ou bien une décision de justice le fassent.
Si une entreprise subit un contrôle de sécurité du travail et qu’elle s’avère défaillante, cela provoquera automatiquement d’autres contrôles d’autres administrations. Plus l’entreprise se conformera à la réglementation, moins elle subira de pression de contrôle. Ce type de fonctionnement existe en France depuis au bas mot quarante ans. Un gros problème avec l’inspection du travail est susceptible de déclencher un contrôle Urssaf et/ou un contrôle fiscal. Au motif de qui vole un œuf vole un bœuf. Et le fisc français est autorisé à utiliser le contenu des réseaux sociaux pour cibler les contribuables à contrôler.
Pour les individus, ce sont ceux condamnés en justice à des amendes ou dans des affaires civiles qui, par exemple, ne pourront pas acheter de billet de train à grande vitesse tant que l’amende ou les dommages et intérêts ne seront pas payés, ou la dette remboursée. Il s’agit en fait d’une sorte de peine complémentaire.
Nous sommes loin, très, très loin de l’enfer dystopique qu’on nous décrit. Si chaque citoyen chinois dispose d’une carte d’identité électronique dont la puce est capable de stocker de multiples données, ce n’est pas différent d’une carte vitale ou de la nouvelle carte d’identité nationale française.
Le fameux “portefeuille électronique” prôné par les technocrates européens va bien plus loin ce qui est fait en Chine, où l’Etat a refusé de lier la carte d’identité à des systèmes de notation de crédit développés par des entreprises, que ce soit des banques ou des plateformes comme Alibaba.
Il n’existe à ce jour aucun système de crédit social appliqué systématiquement aux individus en Chine.
Ce qu’on peine à saisir en Occident est que l’Etat chinois ne cherche pas à contrôler les individus puisque comme la plupart des sociétés en Asie, la société chinoise est basée sur le groupe. Le parti communiste chinois ne craint pas les individus, mais les groupes. Un exemple sont les Ouïghours, musulmans, dont une partie pose depuis le début des années 1990 des problèmes de radicalisation et de terrorisme jihadiste bien plus importants que ce que nous connaissons en Europe, alors que le plus important groupe de musulmans de l’Empire du milieu, les Huis, ne fait pas parler de lui, tout comme les autres musulmans mandchous ou mongols. La question ouïghour ne justifie certes pas les méthodes expéditives et les atteintes aux droits de l’Homme utilisées par la Chine pour la régler.
Les explications du crédit social à base de confucianisme et légalisme relèvent du fantasme le plus total. C’est bien plus prosaïque. La société chinoise est très loin d’être cette fourmilière bien policée que nous, Occidentaux, imaginons. Elle est complexe, passablement désordonnée, assujettie à une invraisemblable montagne de lois et règlements.
L’essor économique chinois, le plus rapide que le monde ait jamais connu, a provoqué des changements d’une magnitude telle, à commencer par d’énormes mouvements de population, un exode rural massif, qu’il est juste impossible d’organiser autrement dans les grandes villes dans un laps de temps aussi court.
On oublie que la Chine, à l’instar de la Russie, est un empire, c’est à dire un pays comprenant une multitude de peuples, qui aujourd’hui cohabitent dans les mégalopoles. Il ne s’agit pas d’exonérer le régime chinois, autoritaire sinon totalitaire. Il s’agit juste de ne pas lui prêter d’intentions qu’il n’a pas.
L’obsession du contrôle des individus est occidentale. C’est une obsession très anglo-saxonne, très calviniste. C’est à la première moitié du XXe siècle qu’il faut remonter, à la grande peur de la “dégénérescence” de l’époque et de la pseudoscience, qu’elle engendra en Angleterre et aux Etats-Unis, l’eugénisme. Aujourd’hui, les grandes peurs sont le réchauffement climatique et les pandémies, et on constate la réémergence d’un eugénisme 2.0, que l’œuvre de Arne Naess, père de l’écologie politique, empreinte de détestation de l’Homme, laissait présager dès les années 1960.
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Outre les “ expériences d’amélioration” de l’espèce humaine par stérilisation forcée et autres joyeusetés, cette période marqua le développement des sciences cognitives. C’est également à cette époque qu’on vit émerger la propagande et la publicité de masse, théorisées par le neveu de Sigmund Freud, Edward Bernays. Hasard du calendrier, c’est également à cette époque que fut fondé McKinsey.
Cet excellent documentaire de Scott Noble, “Human Ressources”, retrace l’histoire de l’art noir, non pas de fabriquer le consentement, mais de modifier les comportements. Nous sommes désolés, encore en anglais. Nous n’avons pas trouvé d’équivalent en français de cette qualité et de cette exhaustivité-là.
La sauce à laquelle on essaie de nous manger est une veille recette cuisinée dans un autocuiseur durable connecté à écran tactile dernier cri. Les démocraties ne sont pas plus pacifiques que les dictatures. Elle ne sont pas non plus moins violentes avec leurs citoyens dissidents, comme l’épisode des gilets jaunes l’a montré.
En vérité, en matière de surveillance numérique et de crédit social, la seule différence qu’il existe entre l’Occident et la Chine est la suivante :
En Chine, c’est un État totalitaire qui réglemente et régule les algorithmes
En Occident, ce sont des États démocratiques qui délèguent la régulation des algorithmes à des multinationales privées qui n’agissent pas dans l’intérêt général
Dans les deux cas, le résultat est le même : il est arbitraire.