JO d'hiver 2030 : jeux de dupes
La France apporte sa garantie financière aux JO d'hiver dans les Alpes , y compris la garantie du déficit à venir. Comme si l'état de ses finances publiques le permettait.
Un déficit hors de contrôle – 6 % du PIB – et une dette jamais atteinte – plus de 3200 milliards d’euros – n’empêcheront pas la France d’organiser les Jeux Olympiques d’hiver dans les Alpes en 2030 : l’Etat vient de confirmer qu’il versera une première garantie d’un montant de 520 millions d’euros selon un document consulté par Le Monde.
Condition sine qua non pour que le Comité international olympique (CIO) valide définitivement la candidature, l’Etat français va donc se porter garant d’un fort probable déficit alors qu’il doit encore éponger celui des JO de Paris dont les pertes approchent dangereusement les 10 milliards d’euros.
Au final, c’est toujours le contribuable qui paie, la hausse des impôts qui se profile étant le dernier épisode de cette farce.
Pourquoi parle-t-on de farce ? Parce que l’on voit bien que l’attribution des JO d’hiver 2030 à la France était décidée bien avant l’heure. Pas de risque de référendum et donc de fort probable sanction populaire, la France s’étant abstenue, contrairement aux deux autres candidates, Suisse et Suède, de s’en remettre au peuple. Pas de véritable sondage un tant soit peu officiel (on évitera le qualificatif “d’indépendant”), celui de la région PACA relevant de la plus pure plaisanterie.
Provence Alpes Côte d’Azur avait tout bonnement conclu que 73 % de la population concernée y était favorable sur la base d’un très orienté “Seriez-vous favorable ou pas favorable à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030 respectueux de l’environnement de nos Alpes françaises, et compatibles avec les impératifs climatiques ?”.
Un sondage en ligne publié le 30 novembre par Le Figaro estimait que 61% des 93 764 votants “ne souhaitent pas que les Alpes françaises accueillent les JO 2030”.
Mais surtout, on voit comment la garantie financière de l’Etat auquel la candidature de la France était suspendue est le noeud de l'‘affaire. Parce que si la Suède a été sèchement éliminée du processus de sélection par le CIO, c’est parce que le royaume non content de s’en remettre à un référendum n’avait pas été capable d’apporter ces mêmes garanties financières. Ce n’est qu’une histoire de gros sous et le CIO ressemble de plus en plus à une organisation mafieuse.
Voir la réaction de Hans von Uthmann, le président du comité olympique national de Suède à l’époque, qui a parfaitement résumé la situation : “Nous avions la vision de pouvoir organiser les Jeux olympiques et paralympiques d’une manière complètement nouvelle”. Mais le CIO n’est “pas prêt pour une candidature qui se voulait durable, rentable et démocratique”, avait-il déclaré en novembre dernier.
C’est peu dire que les instances olympiques restent d’une inébranlable constance. Parmi les candidats à la présidence du CIO en 2025 – candidats qui seront entendus à huis-clos - on trouve le président du comité olympique français David Lappartient ou Juan Antonio Samaranch junior, le fils de l’ex-président qui a opportunément échappé au scandale de corruption des JO de Salt Lake City.
En attendant, c’est ainsi que la France a tranquillement cheminé jusque vers l’attribution des JO 2030. Comme elle va tranquillement s’acheminer vers un déficit qu’il va bien falloir combler. Et ce d’autant plus que le privé, qui avait permis que les JO de Los Angeles soient rentables – ils ont été les seuls – est en train de retirer ses billes. Après Panasonic, Toyota, principal sponsor des Jeux ces dix dernières années, a annoncé mettre un terme à son partenariat avec le CIO, jugeant les Jeux, dont le dernier épisode parisien a tourné à la parade idéologique, “trop politiques”.
C’est donc dans ce contexte hautement riant pour les finances publiques que la France a annoncé une première garantie financière à hauteur de 520 millions d’euros. Cet engagement doit figurer dans le projet de budget 2025 et devra être ratifié par le Parlement le 1ᵉʳ mars prochain. Un premier volet, car une autre garantie, vraisemblablement plus haute, “portant sur la couverture par la France d’un éventuel déficit du Cojop à l’issue des Jeux” – et non seulement sur le risque d’annulation partiel ou total des JO – doit être apportée.
Ce qui va relever de la plus haute acrobatie. Comment estimer un déficit ex ante sur la base d’un budget calculé, au mieux, au doigt mouillé, largement sous-estimé ? A six ans des jeux, les chiffres font déjà le grand écart. Certains diront la culbute. Le comité d'organisation avait chiffré le budget à 1,9 milliard d'euros. Dans le rapport de la Commission futur hôte pour les JO, qui avait permis à la France de convaincre s’il le fallait encore le CIO, une étude de l’agence Utopies avait estimé le montant à 2 milliards.
Nous avons demandé au CIO l’étude en question, histoire de voir si elle fait plus que les cinq pages couverture comprise de l’étude du cabinet Asterès à la suite de laquelle les présidents de Région respectifs, Laurent Wauquier et Renaud Muselier, avaient crié victoire. Nous vous en parlions là :
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On ne le saura pas. Contacté, le CIO nous a renvoyé sur le comité national olympique français dans une classique partie de ping-pong – et un non moins traditionnel exercice d’opacité 1.
En juillet, un rapport commandé par Matignon à l’Inspection générale des finances, et dévoilé par La Lettre, estimait que les JO 2030 coûteront près de 2,4 milliards d’euros. Aujourd’hui, les chiffres officiels qui tablent sur 3 milliards d’euros sont encore sûrement sous-estimés.
Vraisemblablement qu’on arrivera à 6 voire 8 milliards d’euros, tout le monde s’accordant désormais pour dire que les JO coûtent a minima le double de ce qui est prévu. En fait, entre deux fois et deux fois et demi. Les JO de Paris ont pris + 115 % par exemple.
En l’état, difficile de parier, comme le font ses promoteurs, sur des JO d’hiver 2030 “les moins chers depuis Calgary” en 1988. En 1992, Albertville pointait à 2,1 milliards d’euros comme le souligne une étude très instructive de l’université d’Oxford publiée en juillet dernier, avec le succès que l’on a vu entre des équipements non utilisés et un déficit de plus de 42 millions d’euros…
Ça tombe bien, les JO 2030 tablent sur la réutilisation d’équipements sportifs – équipements qu’il faudra néanmoins remettre aux normes ou moderniser ou rénover. C’est la durabilité vantée, et qui a fait mouche dirait-on, auprès du CIO. Vanté mais pas avérée.
“La réutilisation n’a pas eu l’effet escompté pour Tokyo 2020 et semble également inefficace pour Paris 2024”, soulignent les auteurs du rapport qui mettent en garde contre la hausse inextinguible des coûts et, derrière, la viabilité de Jeux que plus personne ne voudra accueillir.
En 2023, les Jeux du Commonwealth avaient été annulés en Australie par l’Etat de Victoria en raison des dépassements des coûts.
Nous avons sollicité le comité national olympique français pour nous faire communiquer cette étude, sans retour à ce jour.