[ Analyse ] Le "game plan" de la pirouette de Nancy Pelosi à Taïwan
Les USA font à leurs alliés de la région Asie-Pacifique la même chose qu'ils ont fait à l'Europe avec les hydrocarbures et matières premières russes au prétexte de la guerre en Ukraine.
En Chine, l’invasion américano-franco-britannique de 1856 qui culmina par le sac du Palais d’été le 18 octobre 1860, reste dans toutes les mémoires et est commémoré chaque année, manifestation d’un nationalisme bien trop souvent sous-estimé. L’un des musées les plus visités à Paris par les touristes chinois est le Musée des armées aux Invalides. Parce qu’y est exposé l’habit de guerre de l’Empereur Qianlong (1736-1796), qu’il porte sur le célèbre portrait équestre (en illustration de l’article) peint par le père jésuite Giuseppe Castiglione à l’occasion d’une parade militaire en 1758. Ce portrait est aujourd’hui conservé à la Cité interdite.
Taïwan, cédée au Japon après la première guerre sino-japonaise de 1895, a été le point de départ de l’invasion de la Chine par le Japon impérial en 1931, accompagnée d’indicibles exactions, de massacres comme celui de Nankin (nous nous garderons de poster la photo célèbre de ce soldat nippon brandissant fièrement un bébé empalé sur la baïonnette de son fusil), de viols de masse, de concours de décapitation au katana (filmés) et de tortures en tous genres.
Environ 30 millions de Chinois périrent durant la Seconde Guerre mondiale. De nombreux furent réduits en esclavage ou utilisés comme cobayes par l’infâme unité de recherche japonaise 731, dont les Américains récupèrent les “chercheurs”, des criminels contre l’Humanité à comparer desquels Josef Mengele fait figure de sinistre petit laborantin amateur (si tant est qu’on puisse établir une graduation à ce niveau d’horreur). Aucun ne fut jugé.
Il faut être parfaitement fou pour croire que la Chine laissera Taïwan être transformée en île garnison. Tout comme il fallait être sérieusement siphonné pour croire que la Russie ne finirait pas par réagir à une Ukraine sous protectorat américain, sur-militarisée et agressive, dont l’Etat est dans les faits dirigé par des ultranationalistes/néonazis viscéralement anti-russes mis en place par l’Occident après le coup d’Etat de 2014.
La Russie comme la Chine ont clairement exprimé quelles sont leurs lignes rouges respectives et spécifié ce qu’elles considèrent comme des menaces existentielles, afin de prévenir toute erreur de calcul. Depuis des années.
La pirouette de Nancy Pelosi à Taïwan ne visait pas à protéger la “démocratie” taïwanaise. Démocratie toute relative puisque le système politique de l’île est grandement contrôlé par des mafias, les triades, du moins celles qui fuirent les communistes à Formose plutôt qu’à Hong kong, dans les bagages des nationalistes de Tchang Kai-chek après leur défaite de 1949.
Taïwan est officiellement une province autonome de la République populaire de Chine, non pas un État indépendant et souverain. La position officielle de l’Onu, des USA, de l’Union européenne et du reste du monde est de ne reconnaître qu’une seule Chine, celle de Pékin. Depuis 1971.
Les Etats-Unis se fichent de la démocratie taïwanaise comme ils se fichent de l’ukrainienne. Les motivations de ce qui a consisté à allumer un énorme incendie dans l’une des régions, la mer de Chine, les plus volatiles au monde, sont peu avouables.
Comme toujours, il faut suivre l’argent. Et garder à l’esprit que General Motors a aujourd’hui un retard de livraison de 900 000 véhicules neufs du fait de la pénurie de semi-conducteurs, essentiellement fabriqués en Chine. Même si, dans les faits, l’écrasante majorité des produits que nous utilisons au quotidien, véhicules compris, n’ont pas besoin de puces dernier cri. Des technologies vielles de plus de vingt ans suffisent amplement.
Le leader mondial des semi-conducteurs est TSCM (Taiwanese Semi-Conductor Manufacturing Company), qui fabrique 52% des puces électroniques vendues dans le monde. TSCM est le leader du “stacking and packaging”, une technologie qui permet d’empiler des circuits intégrés et de les “emballer” en puces finies, augmentant de manière considérable leur puissance de calcul. 5G, intelligence artificielle, could computing, réalité virtuelle etc. sont difficilement opérables sans ce type de hardware. Autant dire qu’il s’agit d’un secteur stratégique, un marché de plus de 100 milliards de dollars annuels. Pour ceux qui sont intéressés par plus de détails sectoriels, cet excellent article de Yann Serra dans LeMagIT explique tout cela bien mieux que nous ne saurions le faire.
Rajoutons également les assembleurs taïwanais tels que FoxConn, qui emploie en Chine plus d’un million de personnes à la fabrication des produits d’électronique grand public dont ceux d’Apple, ou bien les poids lourds de l’informatique grand public MSI et ASUS, et l’on comprendra la dépendance des économies développées et de leurs entreprises. Mais n’est-ce pas cela la mondialisation heureuse tant voulue par les néolibéraux depuis trente ans ? Une interdépendance telle que tout conflit armé est quasi impossible car pas bon pour les affaires - sauf bien sûr celles des marchands de canons ?
Effectivement, la visite de Nancy Pelosi intervient - coïncidence - au moment où la loi sur les semi-conducteurs dite “Chips Act” vient d’être votée par le Congrès et signée par Joe Biden. Elle prévoit des subventions de 284 milliards de dollars au secteur pour soutenir ses investissements sur le sol américain. Paul Pelosi, le mari de Nancy, a vendu pour 5 millions de dollars d’action de Nvidia, géant des semi-conducteurs appliqués aux graphiques, quelques jours avant que cette loi soit votée. Encore une coïncidence.
Oui mais voilà, pour fabriquer des semi-conducteurs, il faut des terres rares, groupe de métaux comprenant le scandium, l'yttrium et les quinze lanthanides, qui présentent des propriétés électromagnétiques et de conductivités très importantes.
Les terres rares sont également critiques à bien d’autres secteurs. Les catalyseurs, du pot d’échappement de votre voiture jusqu’à l’ensemble des applications industrielles en chimie fine, y compris les catalyseurs de crackage fluide qui servent à raffiner le pétrole (l’une des seules applications où l’on sait recycler les terres rares). L’optique, les batteries électriques, le photovoltaïque, l’éolien, la liste est longue. Comprendra-t-on enfin que la transition énergétique telle qu’on nous l’impose est une absurdité, puisqu’elle consiste à substituer une “dépendance carbone” à une dépendance minérale encore moins renouvelable ?
La Chine dispose de plus de 80% des réserves de terres rares aujourd’hui en exploitation et vient d’en interdire la vente à Taïwan à compter du 3 août. Autant dire qu’une fois les stocks de TSCM épuisés, ses usines taïwanaises s’arrêteront.
Mais laissons de côté les considérations industrielles parfaitement mises en lumière dans l’article de LeMagIt. Penchons-nous plutôt sur la manœuvre américaine.
Comme tous les prédateurs, les Etats-Unis s’attaquent de préférence à des proies en situation de faiblesse. C’est ce qui vient d’arriver à Taïwan et à TSMC, qui se voient proposer le marché de dupe suivant : une garantie de sécurité contre la Chine en échange de laquelle les USA s’approprient littéralement les technologies et déplacent sur leur sol les capacités de production taïwanaises dans le secteur des semi-conducteurs.
Autant dire que comme en Ukraine, la garantie de sécurité ne sera jamais exercée par l’Oncle Sam si d’aventure la Chine venait à envahir Taïwan, puisque le but de leur manœuvre est justement de se garder contre l’obligation d’intervenir. Les Etats-Unis ont déjà lâché Taïwan en rase campagne et se contenteront de lui vendre des armes en crédit bail, autre forme de prédation. Car les USA ne sont tout simplement pas de taille à affronter la Chine militairement, pas plus qu’ils ne le sont à confronter la Russie. Il suffit de faire un simple calcul. Si la Chine anéantit la totalité de la population américaine et dans le même temps les USA vitrifient en Chine le double de leur propre population, combien reste t-il de Chinois? Toujours cette satanée loi du nombre.
En parlant de loi du nombre, la Chine est le premier détenteur mondial non seulement de réserves en dollars mais également de bons du trésor américains. Sans les achats chinois de dette publique, les USA font faillite. A moins bien sûr de faire fonctionner la planche à billets à plein régime, et donc de renforcer durablement l’inflation.
Mais il y a dans la région deux autres proies qui ne sont pas vraiment en situation de faiblesse, qui sont des géants industriels et économiques, et qui entretiennent des relations très étroites avec la Chine : la Corée du Sud et le Japon.
Prenons simplement l’incontournable Samsung, le chaebol - le conglomérat - coréen, numéro 1 mondial de l’électronique grand public et de l’électroménager, n° 2 mondial des semi-conducteurs, n° 2 mondial de la construction navale, n° 13 mondial du BTP, n° 14 mondial de l’assurance vie, n° 15 mondial de la publicité etc. Corée du Sud, pays dont l’existence est issue d’une guerre qui vit déjà les Etats-Unis et ses alliés essuyer une défaite cuisante en 1953 face à une Chine bien moins puissante qu’aujourd’hui. Corée du Sud, Némésis de sa voisine la Corée du Nord, puissance nucléaire alliée de la Chine.
Le Japon, dont l’économie certes croît peu depuis 25 ans, reste une puissance considérable et supporte de moins en moins la tutelle américaine dont il cherche à s’affranchir en se réarmant. La population japonaise en a soupé de la présence américaine sur l’île Okinawa, restituée au Japon en 1972.
Difficile de s’attaquer directement à ces deux pays “alliés” dont les intérêts résident de moins en moins dans le marché américain, et sans lesquels la puissance des Etats-Unis dans le Pacifique et en mer de Chine serait considérablement obérée.
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