[ Funiflaine ] "Passé le moment de déception, on va tous rebondir mais ce n’est pas simple"
Le projet de téléphérique vers Flaine suspendu pour mieux repartir ? La Compagnie des Alpes veut y croire. Même s'il doit d'abord passer l'étape des négociations après la résiliation du contrat.
Avertissement: cette interview présente le point de vue de la Compagnie des Alpes. Certains faits, contestés, exigent des vérifications auxquelles nous procédons et que nous vous communiquerons dans un article à suivre.
Le Funiflaine, le téléphérique prévu entre Magland et Flaine en Haute-Savoie, a-il définitivement pété son câble? Il est pour l’heure suspendu, et notamment au résultat des négociations entre le consortium qui avait remporté le marché, et l’autorité organisatrice, le syndicat mixte qui a signifié en mai dernier le coup d’arrêt. De l’issue des discussions sur le montant des indemnités de rupture du contrat – et qui va devoir payer – dépendra en grande partie la suite qui sera donnée au dossier. Par la voie de son directeur des opérations Domaines skiables David Ponson, la Compagnie des Alpes 1, appelée à exploiter l’équipement, veut encore y croire.
L’Eclaireur - Pourquoi la Compagnie des alpes s’est-elle impliquée dans ce dossier qui, entre un tracé contesté, des acquisitions foncières pas obtenues, des accès en suspend 2, avait toutes les chances de ne pas voir le jour ?
David Ponson - Le dossier Funiflaine, c’est un dossier d’une complexité sans nom. C’est un projet de territoire dont les retombées sont forcément du moyen à très long terme, 50-60 ans. L’objectif était de créer une liaison entre le territoire du bas et le territoire du haut, grand massif, avec une nouvelle porte d’entrée, économique, touristique, de montagne, été, hiver. C’est un beau projet dont on parle depuis plus de vingt ans, depuis quasiment la création de Flaine.
Le tracé que suivait l’appareil était le tracé d’un blondin, un transport de matériaux, qui avait été créé à l’époque de la construction de Flaine. On revenait sur le territoire des pionniers en réutilisant un peu le tracé du blondin d’origine.
C’est un projet autour duquel il y a eu beaucoup de réflexion depuis des années, y compris une Sem (société d’économie mixte) d’études qui avait été créée avec les collectivités locales et la société qui gère le grand massif qui est une filiale de la Compagnie des Alpes, dans laquelle on était partie prenante déjà à l’époque, avant même donc que le syndicat mixte Funiflaine soit créé sous l’impulsion du président du Département à l’époque Christian Monteil et les collectivités locales.
Dans cette Sem d’études on était donc déjà partie prenante sur le tracé, sur l’intérêt à travailler sur les mobilités douces, décarbonées, dans une vallée de l’Arve dont l’air est saturé de particules. Le projet a des atouts, et encore plus aujourd’hui quand on parle de dérèglement climatique, de mobilités douces, d’énergie, etc.
On s’est inscrit dans ce projet parce qu’on y croit, et sur du long terme. La Compagnie des Alpes gère 8 à 10 grands domaines skiables qui sont “saucissonnés” en plus de vingt contrats de DSP (délégation de service public). A ce titre-là, il est complètement naturel qu’on s’embarque dans ce projet aux côtés des élus qui sont la Région, le Département, des collectivités locales.
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C’est sans doute le projet le plus complexe que l’on ait eu à piloter jusqu’ici car on part d’une feuille blanche où il y a tout à créer, y compris l’intérêt même de la liaison câblée, qui permet de soulager les flux routiers, et qui par la suite sert le principe d’un service public. Lequel permet ensuite de déclencher tout un tas de choses dont la négociation du foncier sur la gare de départ puisque les élus étaient en train de piloter une déclaration d’utilité publique (DUP) pour avoir la capacité d’exproprier, et d’indemniser, les propriétaires.
S’il n’y a pas cet intérêt supérieur d’un projet de territoire, il n’y a pas la possibilité de faire une DUP. Il s’agit de remettre les choses dans le bon ordre. Quand des personnes décrivent le projet en disant que cela a été fait en dépit du bon sens… non, cela a été fait dans le sens de la loi, des dispositifs administratifs, d’urbanisation, etc.
C’est un projet sur lequel on a travaillé pendant deux ans et demi pour faire acte de candidature, puis être retenu, travailler sur la réponse à fournir au cahier des charges puis passer quasiment une phase d’un an de négociations pour arriver à une signature du contrat en 2021. Le groupement des quatre actionnaires a fait le job de livrer l’avant-projet.
L’Eclaireur - Selon vous donc, ce n’était pas trop risqué qu’il subsiste pas mal de points d’interrogation sur un dossier de cette dimension, et notamment financière ?
David Ponson - Si on veut être puriste dans la gestion de projets, on se dit qu’il vaut mieux tout régler avant et lancer le projet après. Sauf que malheureusement cela ne marche pas comme ça en France. C’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf. Si on veut attendre d’avoir tous les indicateurs au vert, c’est la meilleure façon pour qu’un grand projet de territoire comme celui-là ne se fasse pas.
Après, le projet a sans doute souffert de la période que l’on vient de traverser, la période du Covid et maintenant des crises majeures, la guerre en Ukraine, la hausse des coûts de l’énergie, des composants électroniques, la fourniture de l’acier…
Le projet souffre de ces difficultés intrinsèques, à la croisée de l’urbanisme, du juridique, du financier avec des taux d’intérêt qui repartent à la hausse.
L’Eclaireur - Le projet est aussi contesté dans sa composante technique avec une technologie, un téléphérique débrayable 2S, dont plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné les limites, notamment en matière de résistance au vent (voir à ce titre notre précédent article), d’autant plus que le cahier des charges stipulait le recours à un 3S, plus robuste mais plus cher…
David Ponson - 2 S ou 3S, cela reste une technologie téléphérique débrayable avec une forte capacité à résister au vent. En termes de débit, c’est équivalent aussi. Le service rendu au client est exactement le même. Honnêtement il n’y a pas de sujet. Et, en termes d’impact paysager et d’infrastructures sur les gares, c’était moins gourmand en foncier.
Un cahier des charges est bâti par des experts techniques qui sont des cabinets de consultants qui font des préconisations sur la base de leurs connaissances, d’un peu de benchmark à l’étranger. Ils avaient mis “technologie 3S” parce que c’est ce qu’on connait, à Val d’Isère, à Avoriaz, en Suisse, en Autriche mais c’était “technologie 3S ou équivalente”. Et, en fait, une technologie 2S suffisait amplement.
L’Eclaireur - En termes de population desservie, pourquoi le tracé faisait-il l’économie de passer par Les Carroz où il aurait pu desservir 3 000 habitants ? Comment justifier l’intérêt public d’un tel projet au regard notamment de sa dimension financière si une grande partie de la population sur le secteur est laissée de côté ?
David Ponson - Cent millions d’euros 3, cela parait beaucoup mais pour un projet qui va irriguer un territoire pendant plus de cinquante ans, cela ne me parait pas démesuré. Le moindre rond-point sur une route départementale coûte entre 1 et 3 millions d’euros. Une remontée mécanique classique, c’est 25 millions d’euros.
Le col de Pierre-Carrée, c’est une décision d’élus après de multiples débats, le point de départ étant Magland, directement connecté à une sortie d’autoroute, directement connecté à une halte ferroviaire qui devait voir le jour au plus tard en 2029.
Pourquoi ne pas passer par Les Carroz ? Cela a été un parti pris de dire “on va au plus rapide”, sur un point multi-modal qui permet de desservir les différents flux de skieurs, de marcheurs etc, au col de Pierre Carrée et ensuite de distribuer sur les stations du domaine, Flaine et Les Carroz. Cela impliquait également que Les Carroz réalise aussi une télécabine. Pierre-Carrée devenait une plaque tournante.
Le tracé fait débat mais c’est celui qui a été retenu par les membres du syndicat pour lancer l’appel d’offres. Il n’y a pas d’unanimité aujourd’hui sur aucun projet.
L’Eclaireur - Où en est-on aujourd’hui ? Le projet est-il arrêté, enterré, suspendu ?
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