L'Oisans pète un câble
Entre L'Alpe d'Huez et Les Deux Alpes, les projets de liaisons câblées se multiplient. En même temps que s'empilent lits et résidences.
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Appelons-les comme on veut : ascenseurs valléens, téléportés, liaisons câblées… Dans les Alpes, c’est le dernier (gros et cher) jouet à la mode pour habiller les stations, continuer de jouer la carte du tourisme dans des territoires où il n’y a (plus) rien d’autre aussi lucratif que le ski et tenter de continuer à séduire une clientèle en déshérence.
A ce petit jeu, l’Oisans pourrait bien remporter la palme. Dans ce massif entre Isère et Hautes-Alpes, on se prépare à tirer des liaisons, inter-villages, inter-stations ou du bas vers le haut, bref, à peu près de tous les côtés. Plusieurs projets sont dans les cartons avec l’idée de faire un tir groupé pour dixit « mailler le territoire » : entre Le Verney et Vaujany, Bourg d’Oisans et L’Alpe d’Huez, Le Freney et Mont-de-Lans, Venosc et Les Deux Alpes, Allemont et Oz, même si dans ces deux derniers cas, il s’agit de moderniser et prolonger l’existant.
Le clou, si tant est qu’il voit un jour le jour, c’est le projet de méga-liaison entre les deux grandes stations du massif, L’Alpe d’Huez et Les Deux-Alpes. D’abord dédié au tout-ski dans sa première version, le projet a été repris pour officiellement adopter un profil plus quatre saisons. Le tracé a donc été modifié. Il devrait connecter le cœur des deux stations et transiter par Auris-en-Oisans.
Une liaison à 100 millions d’euros qui, même si elle n’est pas complètement ficelée, encore moins validée après que sa première version, notablement contestée par le collectif du même nom, desservira trois stations.
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Si ces projets se multiplient par-delà des coûts d’investissement et de fonctionnement qui peuvent être astronomiques, c’est aussi parce que la puissance publique n’hésite pas à mettre la main à la poche. L’Etat comme la Région Auvergne Rhône-Alpes se sont engagés à soutenir financièrement la construction de tels projets. Cette dernière s’est également engagée à participer à hauteur de 50 % du déficit d’exploitation en Oisans. De quoi lever les derniers freins…
Pourquoi pas si l’idée est de rendre le territoire plus attractif, de sortir d’une logique du tout ski et de développer les “modes doux” ? Reste qu’une telle profusion pose question 1. Ses promoteurs parlent d’une nécessaire complémentarité ? Difficile de ne pas voir la concurrence qui risque de s’ériger entre les uns et les autres quand la clientèle, et notamment de sports d’hiver, est en constante diminution.
Entre la future liaison Bourg d’Oisans-Huez et celle qui fonctionne depuis plus d’un an déjà par exemple. L’Eau Dolle Express relie Allemond en fond de vallée à Oz-en-Oisans, une des portes d’entrée au grand domaine de L’Alpe d’Huez. Un des plus gros chantiers des Alpes pas complètement terminé – les travaux sur le dernier module démarrent ce printemps – qui promet, à terme, de soulager les routes de montagne de 1 000 véhicules par jour. Pari pas encore gagné. Depuis le début de la saison, 40 000 passages (allers-retours) ont été enregistrés… Soit environ 5 000 véhicules sur la saison.
Demain ? Difficile d’y voir bien clair. Car qui aura la gestion de la liaison câblée vers Huez ? On voit mal l’exploitation échapper à la Sata, la société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez et des Grandes Rousses, qui exploite notamment les domaines skiables de L’Alpe d’Huez et des Deux-Alpes 2. Et on voit mal comment la Sata pourrait ne pas entrer en concurrence directe avec la SPL (société publique locale) Oz-Vaujany qui gère, elle, L’Eau Dolle Express. Tout simplement parce que chacune cherchera de fait à augmenter ses propres recettes, au détriment de l’autre donc.
D’autant qu’il y a un passif. Pendant vingt-cinq ans, jusqu’en 2013, les stations de ski d’Oz et de Vaujany ont été gérées par la Sata. Avant que le divorce ne conduise les deux communes à se structurer au sein de cette SPL. Non sans mal et quelque peu à couteaux tirés avec la Sata, un accord de répartition des recettes et des charges entre l’ancien et le nouvel exploitant n’étant finalement trouvé que quelques années plus tard.
Marche arrière toutes ? Aujourd’hui, faute de marge de manœuvre financière suffisante, et face aux déficits récurrents de la SPL, Oz-en Oisans pourrait bien revenir sur ses pas en 2023 à la faveur du lancement d’une nouvelle délégation de service public. C’est semble-t-il du reste d’après plusieurs interlocuteurs que nous avons contactés, la seule porte de sortie un tant peu viable.
« Techniquement, la SPL fonctionne bien mais financièrement, c’est difficile car malheureusement ils sont sur les ailes du domaine skiable. Structurellement, ces domaines ne seront jamais viables ».
La Sata, qui a aussi gestion le téléphérique de La Grave, et qui a échoué à reprendre cet hiver L’Alpe du Grand Serre, ne cache pas son interêt pour Oz-en-Oisans. A juste titre.
« En termes de gestion, le monopole de la Sata sur l’Oisans, c’est cohérent, continue notre interlocuteur. En termes d’autorité organisatrice, cela l’est moins car tout le monde n’est pas sur le même pied d’égalité ».
Bref, la Sata en ferait un peu trop pour Huez. Alors, forcément, du côté des “petites” communes, certains sont inquiets. Quel avenir pour ces liaisons câblées, et avec quelle viabilité, si elles venaient à se multiplier ?
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