[ Alpexpo ] La foire à Grenoble
L'ancienne directrice et deux anciens présidents, respectivement adjoints de Michel Destot et d'Eric Piolle, sont renvoyés en correctionnelle. Retour sur l'affaire Alpexpo.
Deux anciens présidents de la société d’économie mixte Alpexpo, Claus Habfast (ancien adjoint de l’ecologiste Eric Piolle) et Alain Pilaud (ancien adjoint du socialiste Michel Destot) et l’ancienne directrice générale, Catherine Clamels, seront jugés en correctionnelle le 13 juin prochain pour favoritisme (et abus de biens sociaux pour Mme Clamels), soit une semaine avant le procès en appel d’Eric Piolle, à qui il est également reproché un délit de favoritisme dans le cadre de l’octroi des marchés de la fête des Tuiles.
Alpexpo, une extraordinaire gabegie dans laquelle l’ancien directeur Guy Chanal (directeur du festival du cirque et ancien directeur de l’association de gestion du Palais des sports), semble ne pas être inquiété.
Interrogé à ce sujet par nos par nos soins, le procureur adjoint de Grenoble François Touret-de Coucy nous a répondu en ces termes : “Guy Chanal a été directeur général d’Alpexpo du 23 janvier 2009 au 16 novembre 2011 et n’est pas concerné par les poursuites du parquet devant le tribunal correctionnel. Même si des manquements commis par Guy Chanal avaient été repérés par le parquet de la chambre régionale des comptes, il ne figurait pas parmi les personnes citées par le parquet de la CRC pouvant être mises en cause sur des infractions pénales.”
Article originellement publié dans L’Eclaireur le 18 octobre 2021.
L’affaire Alpexpo est un cas d’école. La gestion de cet équipement d’exposition, de congrès et de spectacle conçu par Jean Prouvé, agrandi par son fils Claude et inscrit au patrimoine remarquable du XXe siècle, est le condensé de toutes les dérives que les satellites des collectivités territoriales peuvent connaître.
Trois recapitalisations en six ans pour un montant total de plus de 9 millions d’euros, réglés par le contribuable. L’ensemble du Landerneau politique grenoblois impliqué, à gauche comme à droite. Achats de fournitures et prestations en dehors de tout cadre légal, gestion de fait, soupçons d’abus de bien social, harcèlement moral, management de “transition” qui dure trois ans, coulage sur les notes de frais, conseil d’administration ne contrôlant rien et systématiquement blackboulé… La liste est longue. Et elle est déroulée par la chambre régionale des comptes (CRC) dans son rapport d’audit daté du 30 septembre 2019.
La CRC notait déjà dans son rapport du 28 novembre 2008 un manque de contrôle externe, un très faible et mauvais niveau d’information du conseil municipal quant aux activités de la SEM, une comptabilité analytique très insuffisante et l’absence d’outils de gestion fiables.
Il y a en France une justice qui trop souvent tarde à se saisir des affaires de criminalité économique et de corruption publique, même quand la Cour des comptes a déjà fait une bonne partie du travail et a établi des faits appelant une caractérisation pénale.
Il n’y a pas mort d’homme. Et l’argent public, ce n’est l’argent de personne. Et la justice n’a pas les moyens. A Grenoble, quatre postes de juge d’instruction sont vacants. Et la justice n’a souvent pas les compétences. Car ce sont des affaires complexes qui requièrent une technicité trop rare parmi les magistrats de l’ordre judiciaire qui sont avant tout des juristes, non pas des experts comptables et financiers.
Alpexpo, c’est l’omerta. Aucune des personnes que nous avons contactées n’a donné suite, à l’exception d’Annie Deschamps, ancienne première adjointe au maire socialiste de Grenoble, et Nathalie Béranger, conseillère municipale de Grenoble (Les Républicains), conseillère régionale et actuelle présidente de la société publique locale (SPL) Alpexpo.
Voici les élus grenoblois à qui nous avons demandé un entretien, demandes restées lettre morte :
Jérôme Safar, ancien directeur de cabinet Jean-Paul Huchon, ancien directeur de cabinet de Michel Destot, ancien adjoint la culture, ancien premier adjoint, ancien administrateur d’Alpexpo, aujourd’hui directeur de cabinet du président du Crédit coopératif
Matthieu Chamussy, ancien conseiller municipal et ancien administrateur d’Alpexpo
Richard Cazenave, ancien député de l’Isère, ancien conseiller municipal, ancien administrateur d’Alpexpo
Alain Pilaud, ancien adjoint au maire, ancien président puis président-directeur général d’Alexpo
Alpexpo est un équipement achevé en 1968 et agrandi en 1974. Vieux, surdimensionné et coûteux à exploiter. Afin de gérer le service d'intérêt économique général qu’est un parc des expositions et de congrès, fut créée en 1998 une société d’exploitation sous forme de société d’économie mixte (SEM). Ce statut particulier autorise à faire rentrer des actionnaires privés au capital, où l’on retrouvait également la Caisse des dépôts et consignations. Puisque cet équipement possède un caractère d’intérêt général et confère une forte visibilité médiatique, donc politique, cela permet aux élus de garder la main tout en bénéficiant de la flexibilité de gestion d’une société commerciale. Et cela fait éventuellement des indemnités et des jetons de présence pour les élus membres du conseil d’administration de la SEM.
Conseil d’administration qui semble n’avoir été là que pour la forme et ne pas avoir exercé dans les faits le contrôle qu’il était tenu d’exercer sur la gestion de la société et les actions du directeur général. C’est là la principale source de mauvaise gestion des SEM et autres établissements publics industriels et commerciaux, comme ne cesse de le constater inlassablement la Cour des comptes depuis des années dans d’innombrables rapports d’audit.
Mauvaise gestion ? De 2009 à 2017, la SEM Alpexpo a été recapitalisée trois fois par les actionnaires pour un montant total de 9,65 millions d’euros. Une recapitalisation désigne l’opération par laquelle une entreprise reconstitue ses fonds propres lorsque ceux-ci sont devenus insuffisants pour l’exercice de son activité.
Les fonds propres d’Alpexpo ont été gravement entamés depuis 2009 du fait des pertes enregistrées chaque année, ce qui a résulté en une solvabilité dégradée. Il a alors fallu procéder à deux augmentations de capital en 2012 et 2014 et à une annulation du capital puis un changement de statut en société publique locale (SPL) et une recapitalisation de 1,5 million en 2015, comme le montre le tableau ci-dessous. Depuis 2019, c’est la Région Auvergne Rhône-Alpes qui est l’actionnaire principal de la SPL Alpexpo avec 51% des parts, la Métropole de Grenoble en conservant 35%, le Département de l’Isère 5% et la Ville de Grenoble 9%.
En huit ans, de 2009 à 2015, 7,6 millions de capital social, des fonds publics à plus de 80%, se sont évaporés. Sauf que l’argent ne s’évapore jamais. Il se trompe simplement de poche.
Guy Chanal à la barre
Fin 2008, Guy Chanal fut le seul candidat au poste de directeur général proposé au conseil d’administration, malgré la mission de recrutement qui avait été confiée à un cabinet spécialisé. M. Chanal aurait été imposé à la tête de la SEM par la mairie de Grenoble et contre l’avis de certains administrateurs. De janvier 2009 au 31 décembre 2011, Guy Chanal a cumulé la fonction de directeur général d’Alpexpo avec celle qu’il exerçait déjà depuis 1992 de directeur général de l’association de gestion du Palais des sports de Grenoble. Alpexpo ne méritait visiblement pas un directeur général à temps plein.
Sa rémunération fut fixée par le conseil d’administration à 30 000 euros par an, et augmentée à 45 000 euros pour les exercices 2010 et 2011 par décision du bureau de la SEM sans motif connu. Cette augmentation de 50% de ses émoluments est en revanche intervenue après que M. Chanal eut présenté le 10 janvier 2010 sa démission à Michel Destot, à l’époque maire de Grenoble, qui n’était pas son employeur.
Quand Guy Chanal quitta effectivement ses fonctions le 31 décembre 2011, 40 000 euros d’indemnités lui furent versés au titre de dommages et intérêts. Quels dommages? Quels intérêts ? Mystère. Rien dans son contrat ne prévoyait le versement d’un parachute. Il n’avait par ailleurs atteint aucun des objectifs qui lui avait été fixés dans sa lettre de mandat à sa prise de fonction. Au terme de ses trois ans à la direction générale, la SEM affichait une perte cumulée de 4,8 millions d’euros.
Apparemment, M. Chanal avait pour habitude de s’adresser directement à la mairie de Grenoble, court-circuitant son conseil d’administration présidé par Alain Pilaud, adjoint au maire, qui était son employeur et auquel seul il devait rendre compte.
Autant dire que cela pose (a) un problème de gouvernance et (b) la question de la gestion de fait. Un directeur général rapporte à son conseil d’administration qui rapporte à l’assemblée générale des actionnaires. Non pas au maire qui n’est pas l’actionnaire. L’actionnaire, la commune, est représenté par des administrateurs issus de son conseil municipal. Tentative d’impliquer Michel Destot dans des affaires qui ne le concernaient pas directement, manière de forcer une gestion politique de la SEM ?
Guy Chanal a notamment fait parvenir une note le 23 avril 2009 à Michel Destot dans laquelle il prône une réduction drastique des charges de 500 000 euros annuels en renégociant les contrats de l’ensemble des fournisseurs et prestataires, une réduction du budget de communication et une mutualisation des équipes pour réduire les recours à la main d’œuvre extérieure. Cette note refit surface, certifiée par huissier de justice, lors de la mission d’enquête municipale de 2012 dont nous reparlerons plus tard.
Recommandations logiques d’un mandataire social à la tête d’une entreprise en difficulté ? Pas si sûr. Voici ce que l’on peut lire page 37 du rapport de la chambre régionale des comptes :
“Un certain nombre de nouveaux prestataires avaient comme dirigeants des administrateurs de l’association du Palais des sports, dont M. Chanal était parallèlement directeur. C’était le cas de trois sociétés qui ont bénéficié de paiements de la société Alpexpo, en absence de mise en concurrence, pour des montants respectifs de 892 k€, 847 k€ et 316 k€. Il en est de même d’un cabinet d’expertise comptable (208 k€), concomitamment expert-comptable de l’association du Palais des sports et d’une société immobilière dont M. Chanal était le dirigeant.
M. Chanal a par ailleurs fait appel à des sociétés qui étaient déjà prestataires du Palais des sports, en matière de sécurité notamment, ou à d’autres sociétés dont la création était concomitante avec leur engagement comme fournisseur d’Alpexpo, certaines d’entre-elles ayant même été créées après la réalisation des prestations, ce qui est une situation anormale. Certaines des personnes dirigeant ces sociétés ont été associées à M. Chanal ultérieurement dans la création de nouvelles sociétés. M. Chanal a donc évité la mise en concurrence des fournisseurs pour, dans plusieurs cas, favoriser des prestataires qu’il connaissait par ailleurs.”
Depuis 2005, les SEM sont des pouvoirs adjudicateurs soumis à une obligation de mise en concurrence de l’ensemble de leurs achats, même si elle ne sont pas soumises au code de la commande publique. Ne pas le faire est du favoritisme.
Le lien avec l’association du Palais des sports, récipiendaire d’une subvention annuelle dépassant le million d’euros, est avéré. Des documents que nous avons pu consulter montrent qu’en 2009 siégeaient au conseil d’administration de cette association les élus de la ville de Grenoble suivants : Annie Deschamps (présidente), Stéphane Siebert (administrateur, ancien DGS de la ville de Grenoble, aujourd’hui directeur délégué du CEA et, à la ville, compagnon de l’ancienne ministre et ancienne première adjointe Geneviève Fioraso) et Sylvie Druhlon (administrateur). En sus, les élus de la Ville de Grenoble suivants étaient présents lors de l’assemblée générale de l’association la même année : Nathalie Béranger (l’actuelle présidente d’Alpexpo), Stéphane Gemmani (aujourd’hui conseiller régional) et Aline Blanc-Tailleur.
Selon Annie Deschamps, siégeaient au conseil d’administration de cette association les représentants de quatre sociétés, trois privées et une publique. Work 2000, entreprise d’intérim représentée par M Pic; Luxos, une entreprise de charcuterie-traiteur industrielle représentée par M. Luxos; ATE, une entreprise de télésurveillance représentée par M. Bronzi; et la Compagnie de chauffage de Grenoble, représentée par M. Noconi. Mme Deschamps précise que les entreprises privées représentées au conseil d’administration de l’association du Palais des sports étaient des partenaires, comprendre des sponsors.
On retrouve bien dans la liste des fournisseurs d’Alpexpo à partir de 2009 les sociétés Work 2000 (marché de 892 k€) et ATE (marché de 316 k€). Le montant de 847 k€ épinglé par la CRC correspond aux prestations de la société SAMSIC SAS II, dont les dates d’engagement correspondent au mandat de M. Chanal.
Acheter des prestations à des sociétés qui n’existaient pas au moment de la réalisation de ces prestations est bien plus qu’anormal…
Tout comme payer avec une carte bancaire d’Alpexpo pour 12 896 dollars américains un billet d’avion pour un tour du monde au départ de Sidney au bénéfice d’une personne de nationalité australienne, la note de frais qui a été imputée à M. Chanal, qui dément avoir procédé à cette dépense.
Dissimulation du “système Chanal” ?
La chambre régionale des comptes poursuit :
Ces éléments ont été portés à la connaissance du 1er adjoint du maire de Grenoble et membre du conseil d’administration, du directeur de cabinet du maire, de Mme Calmels et d’un directeur général adjoint de la commune, le 2 octobre 2012 au sein des locaux d’Alpexpo. Ils ont par ailleurs été présentés dans une note de synthèse à l’attention du maire de Grenoble, en date du 10 novembre 2012. Cette note, détaillée sur ces aspects, évoque un « système (…) mis en place par et autour de M. Chanal.
Ces éléments d’information ne figurent pas dans le rapport final du cabinet d’études présenté au conseil d’administration de la société le 12 novembre 2012.
Le premier adjoint de Michel Destot en 2012 était Jérôme Safar. Le directeur de cabinet était Thomas Royer, aujourd’hui directeur général des services de la commune de Vaujany. Quant à Mme Calmels, il s’agissait de la “manager par interim” recrutée en remplacement de M. Chanal.
Devant le trou abyssal - près de 5 millions d’euros - laissé par les trois ans de gestion de Guy Chanal, le conseil municipal décida d’une mission d’information. Elle fut présidée par Jérôme Safar, premier adjoint au maire de Grenoble et administrateur d’Alpexpo. Juge et partie. Cette mission d’information s’appuyait sur une expertise réalisée par le cabinet Orfis Baker.
Il apparaît donc que des faits graves obérant la santé financière de la SEM et requérant l’attention de la justice ont été délibérément dissimulés non seulement au conseil d’administration mais également au conseil municipal de Grenoble.
Pire, la CRC a établi que le cabinet du maire de Grenoble a donné l’ordre de ne pas communiquer au conseil d’administration ni de rendre publics les résultats d’Alpexpo avant les élections municipales de 2014. Jérôme Safar, premier adjoint au maire, administrateur d’Alexpo et président de la mission d’information municipale, était tête de liste et candidat à la succession de Michel Destot lors de l’élection municipale de 2014.
Une gestion ayant déjà conduit à des condamnations
Le mandat de Guy Chanal vit le départ d’une trentaine d’employés, dont 19 firent l’objet de procédures de licenciement puis d’accords transactionnels pour le coût cumulé faramineux de plus d’un million d’euros…
Ce qui n’empêcha pas l’inspection du travail de saisir le procureur de la République d’un signalement pour harcèlement moral contre Guy Chanal et la SEM suite à une enquête menée en 2010 et 2011 concernant le départ de 19 salariés entre février 2009 et janvier 2010. Procureur de la République qui engagea des poursuites, neuf employés et la CGT se portant partie civile.
Guy Chanal et la SEM Alpexpo représentée par son président Alain Pilaud furent définitivement condamnés par la cour d’appel de Grenoble pour harcèlement moral le 25 juin 2014.
Une gestion aussi calamiteuse tant sur un plan financier que social, qui en trois ans creusa un trou de près de 5 million d’euros dans les comptes d’une entreprise réalisant un chiffre d’affaires annuel de 11 millions, forçant à une première recapitalisation dans laquelle la Ville de Grenoble, la Métro et la Caisse des dépôts et consignations quintuplèrent le montant de leurs participations, aurait en toute logique dû conduire à une reprise en main pour le moins ferme et à des mesures drastiques de redressement. L’activité d’Alpexpo, structurellement déficitaire, l’exigeait.
Ce fut tout le contraire qui se passa. Si Guy Chanal quitta la direction générale d’Alpexpo, les changements ne furent que cosmétiques et le remède choisi de 2012 à 2015, celui du management par intérim, s’avéra peut-être pire que la maladie. Il ne régla en tout cas aucun des problèmes structurels d’exploitation et fut la source d’une multiplication des irrégularités de gestion.
Je vous remercie de ces articles intéressants qui nous font découvrir des faits que la presse "aux ordres" nous cache. Parmi ces nombreux faits, je voudrais attirer votre attention sur l'instauration d'une ZSC sur la commune de Bramans (73) dont les conséquences en matière environnementale me semblent catastrophiques, sachant que cette commune jouxte le parc de la Vanoise et les domaines touristiques autour de Modane. (V:https://webissimo.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/formulaire_instauration_zone_speciale_de_carrieres_de_gypse_en_savoie_cle0cf375.pdf)
D. BADIN