[ Budget 2024 ] Le pognon de dingue de l'apprentissage
L'exécutif n'entend pas faire de petites économies sur l'apprentissage. Et tant pis si le dispositif, que des députés de la majorité voulaient revoir, a été dévoyé. Pour quels bénéfices et interêts ?
L’amendement avait été validé le 30 octobre par la commission des Finances de l’Assemblée nationale. Manifestement, le texte porté par une vingtaine de députés Renaissance n’ira pas plus loin. Alors que Bruno Le Maire s’arrache les cheveux pour savoir comment il va bien pouvoir faire 17 milliards d’économies dans un budget 2024 qui enfle de toutes parts, une piste tracée par son propre camp a tout bonnement été écartée.
L’idée était de resserrer la portée de l’aide octroyée aux entreprises qui embauchent un apprenti. De fait, le dispositif s’est notoirement élargi depuis la réforme de l’apprentissage en 2018, qui concerne désormais toutes les entreprises, et pas seulement celles de plus de 250 salariés, et tous les étudiants, pas seulement les moins diplômés.
L’idée était donc d’écarter du dispositif les plus grosses entreprises, a priori pas les plus à la peine pour embaucher, ainsi que les apprentis préparant un diplôme de niveau supérieur à bac +2, a priori pas les plus en difficulté pour s’insérer sur le marché du travail. Bref, d’écrêter le financement. Pas une paille. D’après les chiffres de la Dares, sur les plus de 800 000 contrats d’apprentissage conclus en 2022, plus de 120 000 l’avaient été entre une entreprise de plus de 250 salariés et un apprenti d’a minima bac +3.
Les sortir du dispositif permettrait de faire une économie de 725 millions d’euros ont calculé les députés Renaissance. “L’enjeu n’est pas tant celui du niveau des crédits que de celui du ciblage des dispositifs et des fonds vers les personnes le plus éloignées de l’emploi”, soulignait le rapporteur de l’amendement, le député Dominique Da Silva.
De fait, les bac + 2 et au-delà représentent désormais les deux tiers des entrées en apprentissage, contre seulement un tiers il y a dix ans. Alors que le bénéfice de l’apprentissage est, d’après de nombreuses études, beaucoup plus limité dans le supérieur que dans le secondaire, la très forte croissance des entrées en apprentissage à compter de 2020 a été largement portée par les étudiants des niveaux supérieurs.
Mais Bercy a pour l’heure fait part d’une fin de non recevoir à la proposition de ses propres troupes, comme l’a révélé Médiapart. L’amendement ne sera donc pas repris par l’exécutif dans son projet de budget 2024. Sollicité à ce sujet, Dominique Da Silva n’avait pas réagi à la publication de l’article. Mais sur X-Twitter, le député continue de vanter son amendement comme si de rien n’était.
C’est que à l’horizon 2027, Emmanuel Macron s’est fixé deux objectifs. Premier objectif : viser le million d’apprenti. On y est presque, quitte à creuser le trou dans les caisses de France compétences et donc du contribuable. Second objectif : viser le plein emploi, soit un taux de chômage de 5 %, contre un peu plus de 7 % aujourd’hui si on doit s’en tenir aux chiffres officiels. On a dit “chiffres officiels”… pour le détail de la tambouille, on vous renvoie à cet excellent travail d’Elucid.
Un million d’apprentis d’un côté, plein-emploi de l’autre… bref, c’est au motif d’une meilleure insertion professionnelle qu’il serait mal vu de critiquer, le bon vieux système des vases communicants, dans une vision pour le moins très productive de l’emploi. Cadre dans lequel s’inscrivent parfaitement bon nombre d’écoles privées d’enseignement supérieur à but lucratif qui se sont multipliées (et engraissées) ces dernières années. Et à la tête desquelles comme L’Eclaireur vous le racontait pas plus tard que le 1er novembre dans un article à lire ici, on retrouve des personnages publics notoires. A l’instar de Martin Hirsch, l’ex-directeur des Hôpitaux de Paris, ou Muriel Pénicaud. Ministre du travail, Muriel Pénicaud est celle qui avait porté la réforme de l’apprentissage.
Un tel niveau d’apprentissage répond-il à un réel besoin ? Ou le besoin est-il créé par l’offre d’aides sans conditions ?
Sans faire de mauvais esprit, on voit tout de suite à qui bénéficie en premier le dispositif. Et en refusant que soit présenté dans le budget 2024 l’amendement scélérat, l’exécutif a confirmé poursuivre dans cette voie. Et tant pis si le mécanisme craque de toutes parts. La Cour des comptes s’en était notamment émue, épinglant un dispositif trop coûteux et mal ciblé.
En quatre ans, de 2018 à 2022, la dépense publique totale en faveur de l’apprentissage a explosé : elle est passée de 5,5 milliards d’euros à près de 17 milliards. Pour 2024, 2,6 milliards d’euros de crédits supplémentaires devraient s’y rajouter. Or, sur ces 17 milliards d’euros, près de 6 milliards ne sont pas financés, et “viennent creuser alternativement ou cumulativement le déficit de l’État, celui de France compétences ou, plus récemment, celui de l’Unedic”, pointent les députés.
“Aussi pertinent qu’il soit, l’objectif d’atteinte d’un million d’entrées en apprentissage d’ici 2027 ne doit pas se faire au détriment d’un ciblage minimal des aides à l’apprentissage. À défaut, c’est l’ensemble du système que l’on fragilise”.
De fait, le coût total de la prime exceptionnelle versée aux apprentis du supérieur atteint 1,6 milliard d’euros. C’est une fois et demi le budget total alloué chaque année aux universités, et à qui les gouvernements successifs, et pas seulement depuis deux mandatures, ont demandé de se serrer la ceinture.