[ Cocktail of Parties ] Pourquoi la COP 29 ne changera rien
Incohérente l'idée de faire organiser la 29e COP Climat en Azerbaïdjan, deuxième puissance pétrolière-gazière au monde ? Pas tant que ça en fait (1ère partie).
Quelle incohérence y-a-il, après Dubaï en 2023, à organiser la 29e Conférence des parties sur le climat en Azerbaïdjan ? Le choix de Bakou trahit-il vraiment la volonté et les engagements, en termes d’émissions de gaz à effet de serre – on ne parle pas dans cet article des droits humains qui vaudrait un développement à lui tout seul – des Nations Unies ?
Voyons voir les résultats.
Depuis le sommet de Rio en 1992 (la COP 0), les émissions mondiales de CO₂ n’ont à l’exception d’une pause entre 2014 et 2016, jamais cessé d’augmenter. De la sorte que, en plus de trente ans, les politiques mises en œuvre se sont avérées incapables de relever le défi d’une baisse durable des émissions de dioxyde de carbone. Trump ou pas Trump.
Si la sortie des énergies fossiles relève du “fantasme” pour l’Opep, qui prévoit que la demande en pétrole continuera de progresser au moins jusqu'en 2050, les Nations Unies n’y croient guère plus.
“Les plans actuels combinés – s’ils sont pleinement mis en œuvre – entraineraient des émissions de 51,5 giga tonnes d’équivalent CO₂ en 2030, un niveau inférieur de seulement 2,6 % à celui de 2019. Une pollution par les gaz à effet de serre à ces niveaux garantira un naufrage humain et économique pour chaque pays, sans exception”, souligne l’ONU dans un rapport rendu le 28 octobre. Pour mesurer le pas qu’il y aurait selon les Nations unies à franchir pour rester sous la barre symbolique des + 1,5 °C de réchauffement global, les émissions devraient baisser de 43 %.
Un financement poussif
Voyons voir les moyens.
En 2009, lors de la COP 15 à Copenhague, les pays développés s’étaient engagés à mobiliser chaque année 100 milliards de dollars à l’horizon 2020 pour aider les pays plus pauvres. L’objectif n’a finalement été atteint qu’en 2022. Poussif… sachant qu’il en faudrait dix fois plus – 1 000 milliards de dollars par an d’ici à 2030, et 1 300 milliards de dollars d’ici à 2035 – selon l’Independent High-Level Expert Group on Climate Finance, un groupe d’experts mandaté par l’ONU. Montant calculé hors Chine.
Pour compléter ce (manque de) financement, il a été imaginé d’avoir recours au marché volontaire des crédits carbone, ce marché d’échanges d’émissions de gaz à effet de serre complémentaire au système de quotas établis par les pays ayant pris des engagements quantifiés de plafonnement des émissions. C’est avec le financement le second point discuté à Bakou.
Ainsi, au moyen de crédits carbone – un crédit carbone correspond à une tonne de CO₂ évitée ou retirée de l’atmosphère – des pays ou des entreprises peuvent-ils financer des projets considérés comme vertueux pour le climat dans d’autres pays, comme planter des arbres par exemple (les fameux puits carbone qui se réduisent comme peau de chagrin) afin de compenser leurs propres émissions et atteindre ainsi leurs objectifs climatiques.
De la même manière que le commerce international et le libre échange accélèrent les flux, conduisant les pays industriels à se vanter de baisser leurs émissions de gaz à effet de serre mais à en importer davantage – et donc les pays pauvres à en émettre davantage chez eux pour le compte des autres – le système de compensation carbone reproduit-il le même schéma, celui qui n’est ni plus ni moins qu’un impérialisme climatique. Impérialisme climatique sur le dos de pays en développement (à qui il est difficile de reprocher de vouloir se développer et donc de trouver des sources de financement) et sur celui de communautés qui ne voient pas bien les bénéfices qu’elles peuvent tirer de plantations d’acacias à pertes de vue – voir le cas du bassin du Congo qui abrite le plus grand puits de carbone au monde.
Le système se maintient d’autant plus que le prix du carbone est trop bas pour contraindre les entreprises à réduire leurs émissions plutôt que de simplement acheter des crédits.
D’après un rapport de la High-Level Commission on Carbon Prices, plus de 60 % des émissions régulées par une tarification du carbone sont couvertes par un prix inférieur à 10 dollars US par tonne de CO₂. “Le consensus scientifique international estime que le plein effet d'incitation de ces mécanismes serait atteint pour des prix entre 40 et 80 dollars US par tonne de CO₂ éq en 2020 et 50 à 100 dollars US par tonne de CO₂ éq en 2030” (source : ministère de la transition énergétique).
Là aussi, on voit qu’on en est loin.
Les crédits carbone une monnaie de singe ?
Résultat, le dispositif n’a non seulement jamais vraiment fonctionné mais il a également donné lieu à tout un tas de dérives, abus et scandales - sans parler de corruption.
En septembre dernier, l’Allemagne a suspendu ses projets de compensation avec la Chine, après des révélations sur un système de fraude aux crédits carbone concernant des compagnies pétrolières allemandes engagées dans des projets climatiques dont certains n'auraient jamais existé. En octobre, c’est l'ancien PDG de l’entreprise américaine C-Quest Capital qui a été inculpé. Il est soupçonné d’être à la tête d’un système de vente de fausses compensations. Dans le même genre, on se rappelle en France du scandale de la fraude à la TVA sur les quotas carbone…
Quant à l’efficience du mécanisme, basée sur une réduction indirecte des émissions de gaz effet de serre aussi incalculable qu’invérifiable, elle reste à démontrer. L’un des principaux organismes certificateurs, l’américain Verra – il certifie les trois quarts des les crédits carbone de la planète – vient de supprimer 37 projets de crédits carbone projetés dans les rizières de Chine, de son catalogue.
Ce n’est pas la première fois que la question de l’efficacité des compensations carbone est posée. En janvier 2023, The Guardian et Die Zeit avaient montré que 90% des crédits carbone REDD+, le programme des Nations Unies visant à réduire les émissions émanant de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement, n’avaient aucun impact positif sur le climat. Enquête corroborée par une étude parue dans Science quelques mois plus tard.
Peu transparent, peu contrôlé, le marché des crédits carbone n’était jusque-là même pas réglementé. La COP29 a promis d’y remédier : elle a doté le marché de premières règles – dix ans après son lancement – règles qui restent peu contraignantes sur un marché volontaire.
Aux sources de l’écologie financiarisée
Solution par défaut ? Simple produit financier ? Mirage ? Escroquerie ? Surtout, les crédits carbone ne seraient-ils pas l’arbre qui cache la forêt (sans mauvais jeu de mots) ? Et qui sous un motif, de prime abord louable, ne fait que perpétuer une mainmise délétère, celle de la finance sur le vivant ? Remarquez comment les COP Climat éclipsent les COP Biodiversité…
On voit bien à quel point le système peut être perverti. Que la cause climatique passe souvent loin derrière les intérêts économiques très particuliers. Le PDG d’Exxon Mobil a ainsi une nouvelle fois enjoint Donald Trump à ne pas sortir de l’Accord de Paris. En 2023, la compagnie pétrolière a investi plus de 5 milliards de dollars dans les technologies de capture et de séquestration de CO₂.
Que le système n’est en rien contraint. Quels que soient les engagements pris par les Etats, lesquels sont souverains en la matière, les entreprises sont libres de faire ce qu'elles veulent. Dans un sens comme dans l’autre. Ainsi, le géant pétrolier Shell a-t-il obtenu en appel de la justice néerlandaise que soit annulée l’obligation de réduire ses émissions carbone.
Alors, incohérente l’organisation de la 29e Conférence des parties sur le climat à Bakou ? Pas si l’on remonte à l’origine des COP. C’est ce que nous ferons dans un article à suivre.
Parce que les 28 premières n'ont déjà servi à rien ?
Donc statistiquement .....
:-)