[ Collège unique ] Les fausses notes de Gabriel Attal
Pour rehausser le niveau en maths et français des élèves, le ministre mise sur des groupes de niveau. Sur plus d'enseignants et surtout mieux rémunérés, non. Stratégie à la suédoise?
Vingt-quatre heures à peine après les annonces de Gabriel Attal, cela glose et débat (?) à qui mieux-mieux sur une des mesures phares annoncées par le ministre de l'Education nationale pour remonter le niveau des élèves qui, de Pisa en classements en tous genres, n'en finit pas de dégringoler : la mise en place de classes de niveau au collège.
Gabriel Attal a donc annoncé vouloir répartir, et ce dès la rentrée scolaire prochaine, les élèves de 6e et de 5e par groupes de niveau en français et en mathématiques. Et d'étendre le dispositif en 2025. L'idée est de gérer et corriger l'hétérogénéité – hétérogénéité que l'on trouve au collège comme dans la société dans son ensemble. On rappellera à toutes fins utiles qu'il existe à ce titre tout un tas de moyens utilisés par les enseignants. Cela va de la mise en place de binomes plus ou moins hétérogènes aux classes de soutien en passant par les évaluations différenciées.
Après les résultats déplorables du dernier Pisa, il a surtout semblé urgent de vite communiquer et avancer de potentielles solutions, qui vont jusqu’au déploiement de l’intelligence artificielle c’est dire. Sans trop s'apesantir sur les raisons profondes de ce continuel décrochage. Le nombre croissant d'élèves par classe qui fait de la France le pays en Europe qui a les classes les plus chargées ? Non. Le manque d'enseignants, sujet sur lequel le ministre a battu le rappel de troupes dont on ne sait pas quelle magie ils viendront combler des effectifs passablement dégarnis, au premier rang desquels en mathématiques ? Pas plus.
Rappelons qu'à chaque rentrée scolaire, il manque au moins un enseignant dans les deux tiers des établissements du secondaire. La France pointe ainsi dans le peloton de queue (le 7e en partant de la fin) des pays de l'OCDE. Et qu'en cette rentrée 2023, il était courant de trouver des lycéens en première "littéraire" sans prof de français, année du grand oral de bac français. Ou des "scientifiques" sans prof de maths.
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Pourquoi cette hémorragie ? Rappelons que la question salariale, centrale – au même titre que celles des rémunérations des personnels médical et paramédical hospitaliers, en pénurie aussi – est loin d'être réglée. Depuis septembre, les enseignants qui gagnaient moins de 2 000 euros par mois, en touchent 200 euros de plus. Pour les autres (le gros des troupes, presque les trois quarts), c'est 95 euros en plus. Pas de quoi calmer la grogne dans la profession comme attirer de potentiels candidats...
Ce faisant, et vu qu'il est évident d'affirmer que personne rue de Grenelle n'entend prendre le problème à la racine, on multiplie les tentatives de solutions. Voir l'expérimentation de Jean-Michel Blanquer avec les mathématiques, sorties du tronc commun pour être réintégrées de manière acrobatique. Que cela fonctionne ou pas semble manifestement accessoire. Ainsi, sur la question des groupes de niveau, les rapports sont nombreux à dire que cela ne marche pas. Dans le meilleur des cas. Et que, dans le pire, cela engendre dévalorisation, stigmatisation voire ghettoïsation de certains élèves, qui n’avaient pas besoin de ça. D’où découle un accroissement des inégalités, entre les meilleurs – qui seraient tirés vers le haut – et les moins bons.
Haro sur les groupes de niveau qui fleureraient bon l'élitisme ?
Ce n'est pas si simple. Tout dépend de la manière et surtout la souplesse avec lesquelles on applique la mesure. Ainsi, le ministre parle de mettre en place des groupes de niveau "flexibles"… S'il s'agit de répartir temporairement et sur des compétences particulières les élèves, la solution peut être pertinente et efficace. « On parle alors de groupes de besoin pour travailler des points précis », comme le souligne Sylvain Connac , enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université de Montpellier dans Le Monde. Encore faut-il qu'il ne s'agisse que de quelques heures et que les groupes soient fréquemment remodulés...
Après le lycée à la carte né de la réforme du bac, usine à gaz qui loin de réduire les inégalités a davantage permis que se reproduise le même modèle social, le collège à la carte ?
C'est peut-être bien dans les "détails" que se niche le projet gouvernemental si tant est qu’il y en a un. Car pour mettre en place ses groupes de niveau, Gabriel Attal s'appuie sur les exemples à l'étranger. Et notamment en Suède. Pas un modèle du genre la Suède qui s'est surtout fait connaitre pour avoir largement privatisé son enseignement, à grands coups d'argent public et au bénéfice de sociétés à capitaux à but lucratif, dont certaines cotées en bourse. Là, l'école est devenue un gigantesque marché guidé par la loi du profit, certaines proposant, à côtés des enseignements traditionnels, l'apprentissage du permis de conduire – pourquoi pas des cours de cuisine ? Pas que l'école du reste. Il en va aussi du 3e et 4e âge, du handicap passés sous la coulpe du privé.
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Aujourd'hui, un Suédois sur cinq fréquente une des 4 000 écoles privées dont près des trois-quarts sont controlées par des sociétés anonymes, avec bénéfices voire redistribution de dividendes à la clé. Et sans que ce modèle ne soit particulièrement pertinent ou efficace en matière de résultats scolaires. En mars 2019, l'OCDE soulignait des inégalités entre les élèves et les écoles croissantes en Suède. "Les enfants sont de plus en plus regroupés dans des écoles avec des élèves d'un même milieu social", soulignait le rapport repris dans Le Monde. Bref, pas la panacée.
Quelle politique en matière d’éducation en France ? La question reste posée. Car il est un autre point parmi les mesures annoncées par le ministre qui pose a minima question : celle de l’obligation de réussir au brevet des collèges pour passer au niveau supérieur. Bref faire de l’examen un passage obligé, sorte d’examen d’entrée au lycée et non plus seulement une évaluation du socle commun des compétences. Brevet que ne décrochent pas en moyenne 12 % des collégiens. Lesquels se verront proposer une “prépa lycée”, sorte d’année de remise à niveau dont l’organisation reste entièrement à définir.
Qui pour s’atteler à ces prépas ? A ce stade, on ne voit pas bien comment les enseignants en poste pourront s’acquitter de cette nouvelle tâche. A moins de la déléguer au privé ? Elles n’ont pas attendu qu’on vienne les chercher. Au lycée, nombreux sont les élèves en première à faire une prépa médecine…