[Handicap et dépendance] La boîte de Pandore suédoise - 1ere partie
Le modèle suédois de prise en charge du handicap vanté par les "progressistes" a du plomb dans l'aile : désocialisation, isolement, financiarisation, etc. - et il n'est pas si étranger à la France.
La Suède, pays d’Alfred Nobel et Bofors, d’Ingmar Bergman, de Björn Borg, d’Abba, de Pipi Långstrump (Fifi Brindacier en français), du gravlax, des skjaergaard, de Volvo -les-voitures-les plus-sûres-du-monde, de la vente de roulement à billes SKF aux Alliés comme au IIIe Reich, et de la démocratie sociale.
Vous pouvez rayer démocratie sociale, ce n’est plus le cas depuis 25 ans et la vague de “libéralisation” qui a découlé de la crise financière et bancaire qui toucha les quatre pays nordiques à la fin des années 1980. La Suède est par exemple le seul pays d’Europe où des écoles maternelles et primaires sont gérées par des entreprises cotées en bourse, avec les résultats en matière éducative qui sont l’équivalent de ceux de la qualité de la prise en charge dans les sociétés d’Ehpad à but lucratif en France.
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La dépense publique par habitant en Suède n’a pas reculé de manière significative. Elle s’est accrue continuellement. Comme de partout en Europe.
Non plus que les dépenses de santé aient reculé. Elles restent stables autour des 17-18% du budget de l’Etat suédois.
En revanche, les dépenses sociales sont moindres que celles de la France, représentant 25% du PIB. C’est essentiellement le résultat de plus de rigueur non pas dans la gestion des prestations sociales mais dans la gestion des organismes qui les gèrent et d’une lutte efficace contre la fraude.
Ce que nombreux peinent à concevoir et ce que ceux qui savent et citent la Suède en exemple donc reconnaîtront, est très prosaïque. Il s’agit d’une histoire de gros sous. D’une affaire de petits comptables. Et d’un mécanisme à triple détente: (1) un État qui se décharge et reporte une charge sur (2) les collectivités locales qui (3) n’en ont pas les moyens et donc pour faire face doivent privatiser.
Toute ressemblance avec une situation avérée en France est strictement fortuite. Décentralisation 101.
D’un système social universel basé sur une forte participation des syndicats et des associations - un système allant bien plus loin que notre paritarisme, qui englobe l’ensemble des corps intermédiaires, le cauchemar d’Emmanuel Macron et de son gouvernement - la Suède est passée en 1994 sur un système “découplé”.
Avant la crise financière et bancaire, une personne handicapée était considérée comme un assuré social “normal” à laquelle l’État offrait des services médicaux et médico-sociaux “normaux”, en institution ou pas selon ses besoins , et selon le régime normal d’invalidité donnant lieu au versement d’une pension “normale”. La totalité des coûts était couvert par la sécurité sociale.
Ce système a priori très “inclusif” puisque n’établissant aucune différence entre assurés sociaux, connut une dérive importante dès le début des années 70, dont les causes sont étrangères au handicap. Il fut utilisé pour s’assurer que les chiffres du chômage restent bas alors que le chômage réel, lui, explosait. En Suède, on considéra qu’une partie des chômeurs étaient inaptes au travail, donc invalides. Pratique pour afficher le plein emploi alors que de partout ailleurs en Europe on comptait déjà les chômeurs par millions. De la même manière, la sortie du marché du travail des chômeurs de plus de 58 ans par la retraite anticipée “d’invalidité” fut utilisée jusqu’en 1997 pour embellir artificiellement les statistiques.
On s’est en France largement inspiré de ce traitement social du chômage, avec le succès que l’on connaît, puisque le chômage réel se situe encore en 2022 aux alentours de 13% de la population active et que nous avons plus de 10% de pauvres, une personne sur cinq n’ayant pas les moyens de faire trois repas par jour. Ce qui n’est pas le cas de la Suède. Il faut lui inscrire crédit de s’être attachée avec succès à prévenir l’explosion de la pauvreté.
Dans notre précédent volet, nous avons souligné le lien qu’il existe en Suède entre passé eugéniste et désinstitutionnalisation des handicapés. Question de culpabilité protestante, c’est culturel.
Le même mouvement eut lieu aux USA au même moment. Quiconque a vu ces gigantesques hôpitaux psychiatriques abandonnés aux Etats-Unis, ne peut avoir que froid dans le dos. En 1955, pour 100 000 Américains, il y avait 340 patients psychiatriques en institution fermée. Soit deux fois plus que le plus haut taux d’hospitalisation durant l’épidémie de Covid. La taille des hôpitaux était juste effarante. Arkham Asylum , pour ceux qui connaissent un peu Batman et le jeu vidéo, c’était le King Park Psychiatric Center, à Long Island, l’un de ceux de l’Etat de New York. Fermé en 1996. Seulement. Faites-vous peur. 19 000 patients…
Retour en Suède. En 1993, la loi sur les services et le soutien à certaines personnes atteintes d’incapacités fonctionnelles avait pour but avoué d’assurer aux handicapés “désinstitutionnalisés” des conditions de vie équivalentes à celle du citoyen lambda. Louable à première vue. Mais il s’agissait surtout de faire sortir les personnes n’ayant pas “d’incapacités fonctionnelles” du système d’invalidité. L’objectif était bien la baisse de la dépense publique. Ce que vise également la “désinstitutionnalisation” par les réductions de personnel et de l’investissement public. Et ceci se fit également en restreignant de manière drastique l’accès au statut d’accidenté du travail, parce que porte d’entrée de l’invalidité.
Il fut établi une gradation officielle du handicap, permettant à des experts des services sociaux de déterminer le niveau de handicap, donc le niveau et la nature d’assistance auquel peut prétendre un handicapé, à qui on offre un “bouquet” de prestations sensé couvrir ces besoins. Dans les faits, il s’agit d’un bouquet de “services” précis pour des besoins précis qui sont différents des services sociaux relatif à la dépendance.
D’un point de vue institutionnel, l’Etat a reporté le gros de la charge sur les communes. Si une personne handicapée nécessite plus de 20 heures d’assistance par semaine, c’est l’Etat qui prend en charge. C’est le cas de moins de 10% des personnes handicapées en Suède. Sinon, l’affaire de la commune. Et selon que la commune est riche ou pauvre…
Prenons l’exemple de la déficience mentale. La Suède a fait le choix de fermer l’ensemble des institutions et de lui substituer des solutions “inclusives” d’hébergement basées sur l’aide à domicile, dont la charge incombe aux centres sociaux communaux. Résultat des courses, des batailles sans fin sur le “reste à payer” entre deux niveaux administratifs.
Par reste à payer doit être compris “indemnité compensatoire” versée aux familles qui font le travail de l’État avec ou sans l’aide de leur commune, qui ne peut pas compenser car c’est l’affaire de l’État.
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