[ Economie ] Faire sauter la banque
Pour la Cour des comptes européenne, les outils d'analyse du risque crédit des banques utilisés la BCE sont bons mais la BCE n'exerce pas ses pouvoirs de supervision de manière efficace.
Ses outils d’analyse sont bons, mais la Banque centrale européenne (BCE) n’en fait pas usage de manière efficace pour s’assurer que les banques européennes gèrent convenablement leur risque crédit. C’est ce qu’il ressort du rapport d’audit de la Cour des comptes européenne publié ce 12 mai. Ce rapport est consultable ici.
La BCE a accepté toutes les recommandations des auditeurs, sauf celle concernant le mode de recrutement du personnel de son service de supervision du risque crédit, qui selon la Cour, devrait être totalement indépendant et ne relever que de ce service. Nous verrons que ce refus n’est pas une mince affaire.
Dose obligatoire de jargon technocratique (arrêtez de râler, vous n’y couperez pas) : la BCE, conjointement aux banques centrales et aux régulateurs bancaires nationaux, surveille et contrôle quelque 110 établissements bancaires et de crédit dans le cadre du mécanisme de surveillance unique constituant le premier pilier de l’Union bancaire. Créée en 2014 afin que la crise de 2008 ne se reproduise pas, l’Union bancaire, partie intégrante de l’Union économique et monétaire, est elle-même un système de surveillance des banques et de résolution de leurs défaillances.
L’un des aspect contrôlé est le risque crédit, c’est à dire le risque que des clients ne remboursent pas leurs emprunts. C’est bien la gestion de gribouille du risque crédit par les banques américaines et leur titrisation à outrance qui a produit la crise des subprimes en 2017. Il est certes inhérent à l’activité d’une banque dont le métier est de prêter de l’argent, et ne concerne pas uniquement les prêts immobiliers et à la consommation aux particuliers, mais également les montages complexes contractés par les entreprises (banque d’affaires).
Contrairement à l’idée reçue, une banque ne prête pas sur les dépôts de ses clients mais sur ses fonds propres, sur la base desquels elle va se refinancer (c’est à dire emprunter l’argent qu’elle va prêter) auprès des banques centrales ou sur les marchés interbancaires.
La somme des prêts que peut accorder une banque est proportionnelle à ses fonds propres dont le niveau est fixé par les accords de Bâle. C’est ce qu’on appelle les règles prudentielles, une invention française puisque c’est Henri Germain, le fondateur du Crédit Lyonnais, qui en énonça le premier les principes en 1904, ainsi que celui de la séparation des activités de banque de dépôts et de banque d’investissement et d’affaires suite au krach de l’Union générale et de la fièvre spéculative du second Empire. La situation actuelle y ressemble étrangement.
Le pilier 1 impose le niveau de fonds propres minimal, 4,5% des actifs pondérés par le risque, devant être détenus par toutes les banques. Le pilier 2 définit des exigences propres à chaque banque individuellement selon son profil de risque. En incluant les différents coussins, l’exigence de fonds propre est de l’ordre 10% des actifs pondérés par le risque. En d’autres termes plus simples et plus compréhensibles, on peut avancer qu’à tout instant une banque doit posséder des fonds propres égaux à environ 10% de l’ensemble des créances qu’elle détient sur ses clients.
Quand des prêts ne sont pas remboursés, ce sont les fonds propres qui servent à essuyer les pertes et permettent aux banques de rester solvables, de disposer des liquidités nécessaires pour faire face à leurs obligations vis-à-vis de leurs déposants et autres créanciers. Il appartient à la banque de les reconstituer et il existe une restriction de distribution de dividendes aux actionnaires tant que les fonds propres ne sont pas revenus au niveau réglementaire.
L’analyse du risque crédit consiste donc à vérifier l’adéquation entre les fonds propres d’une banque et la part de mauvais crédits dans l’ensemble des encours de ses clients, fonds propres qui en cas de défaut devront permettre de prendre la paume tout en garantissant la solvabilité de la banque.
Les banques ne sont pas sujettes qu’au risque crédit. Elles sont également soumises au risque des taux d’intérêts pour se refinancer auprès des banques centrales et sur les marchés interbancaires. Les variations de taux d’intérêts ont également un impact sur la valeur de leurs fonds propres. C’est par exemple l’augmentation du taux directeur de la réserve fédéral américaine qui a eu pour effet de déprécier fortement la valeur des obligations détenues par les banques, au point que certaines banques régionales (Silicon Valley Bank, Signature Bank, First Republic etc. ) ont été saisies par les régulateurs, alors que leurs bilans était sains, parce que le niveau de leurs fonds propres était insuffisant.
Il ne s’agit donc pas de faillites comme on le lit trop souvent, mais de saisies des fonds propres assorties de la garantie des dépôts – en toute franchise, un hold-up des banques de Wall Street (la haute finance dont le hors-bilan est toujours pourri par des produits dérivés tout aussi pourris, voir infra) sur celles de “Main Street” (les petits investisseurs), hold-up rendu possible et organisé par la banque centrale fédérale et l’administration Biden. Il ne s’agit pas d’une crise bancaire. Pour le moment.
Enfin, les banques sont sujettes aux risques découlant de leur opérations de marchés, risques nettement plus difficiles à sérier que les deux précédents parce que n’apparaissant pas à leur bilan, ou du moins n’y apparaissant que sous forme “notionnelle” - à savoir la valeur d’achat des titres détenus, non pas leur valeur réelle, celle du marché. Cela devient encore plus compliqué quand les institutions financières s’échangent des titres de gré à gré, surtout quand cela concerne des produits dérivés. Quand la majorité des produits dérivés sont libellés en dollars, cela a pour conséquence que ce n’est pas la BCE qui refinance les banques européennes, mais de facto la Réserve fédérale américaine, selon son bon vouloir…
C’est par là que survint la crise de 2008. Schématiquement, les banques européennes, misant sur un euro 20% plus fort que le dollar américain, se sont mis à en vendre à terme à tout ceux qui en demandaient, les 20% de différence couvrant le risque de variation des taux de changes. Quand la crise des subprimes frappa aux USA en 2007, il s’en suivit un asséchement des liquidités sur les marchés. Plus un dollar à trouver nulle part... Réécoutez notre podcast avec Guy de la Fortelle qui explique ce processus.
A notre question de savoir si la Cour des comptes européenne comptait auditer les outils de supervision de la BCE pour toutes les opérations de marché et le hors-bilan des banques, M. Kozlov a répondu qu’elle travaillait selon un cadencier annuel qui reste confidentiel (comme celui de la Cour des comptes française) mais que le moment venu, elle se pencherait sur le sujet.
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