[ Edito ] La grande régression
Nous sommes dans les faits revenus sous la IVe République depuis 2022. Nos institutions ne sont pas faites pour.
Qui a gagné ? Qui a perdu ? Les résistants d’opérette et les mutins de Panurge persuadés d’avoir repoussé une hydre fasciste qui n’existe pas ? Emmanuel Macron qui continue de diviser pour mieux régner ? Le Rassemblement national ?
En tant que parti politique, le Rassemblement national est le gagnant de ces élections, tant en nombre de sièges qu’en nombre de suffrages. On nous assène qu’il y a trois blocs. C’est faux. Le Nouveau Front populaire n’étant qu’un équipage électoraliste, il ne forme pas un bloc au sens où Renaissance-Modem-Horizon (alliés dans le bloc centriste depuis 2017) et le RN en constituent. Il n’y a que deux blocs, que deux centres de gravité et des particules qui tournent autour. Le bloc “présidentiel” et celui du RN.
Impossible dans les conditions découlant de ces législatives anticipées pour quiconque de constituer une majorité absolue. Rappelons qu’en 2022, Emmanuel Macron bénéficiait de 225 sièges. Si une majorité relative venait à se dégager, le gouvernement qui en sera issu sera encore plus faible que ceux d’Elisabeth Borne et de Gabriel Attal. Une démocratie ne fonctionne bien que quand le gouvernement dispose des moyens de gouverner et l’opposition des moyens de s’opposer. Ce n’est plus le cas depuis le renversement du calendrier électoral voulu et obtenu par les sieurs Chirac et Jospin.
La presse, elle, continue dans la politique fiction. Prenons l’hypothèse mise en avant par Le Figaro. Posons une alliance des socialistes, de la macronie et de ce qui reste des républicains. Imaginez le budget 2025. Les socialistes exigeront des augmentations d’impôts pour les plus riches, ce à quoi s’opposeront les républicains et la macronie, qui proposeront des coupes massives dans la dépense publique, que refuseront les socialistes. Fin de l’alliance. Motion de censure, fin du gouvernement.
Si on rajoute que le bon score du PS n’est dû qu’à la diabolisation de Jean-Luc Mélenchon au même titre que le maintien de la macronie et la survie des républicains ne sont dues qu’à la diabolisation du RN, les uns et les autres pourront difficilement s’attendre à trouver des soutiens à leurs extrêmes, qui du moins à gauche ne pardonneront pas la défection.
Pour l’édification de Marine Tondelier, la logique institutionnelle dans la démocratie parlementaire qu’est la France est que le chef de l’Etat charge le chef du parti ayant obtenu le plus de sièges de former le gouvernement. Or le Nouveau Front populaire n’est pas un parti politique. Le parti politique ayant obtenu le plus de sièges est le RN… A moins que le NFP ne forme qu'un seul et unique groupe politique (on vous regarde, un sourire sardonique aux lèvres). Victoire, vraiment?
Bref, nous faisons aujourd’hui le pari que dans un an nous retournerons aux urnes.
Entretemps, deux choses inquiétantes se déroulent en filigrane, qui n’ont rien à voir avec ces législatives anticipées.
La première est qu'Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon semblent chacun souhaiter un conflit civil grave. Pas pour les mêmes raisons, bien sûr. Emmanuel Macron pour s’accorder des pouvoirs d’exception par l’article 16 en espérant pouvoir faire durer jusqu’à la prochaine dissolution. Jean-Luc Mélenchon pour tabler, situation économique catastrophique aidant, sur des manifestations, des mouvements sociaux dont la violence sera attisée par ses milices - antifas, Black bloc - ou des émeutes de banlieues menant à un point de rupture de la société qui lui permettrait de prendre le pouvoir. Délire d’un vieux trotskyste se prenant pour de Gaulle en 1958.
C’est d’une dangerosité extrême puisque dans les deux cas ils se retrouveront vite confrontés au bloc populaire et de la France périphérique qu’est l’électorat RN, dont la colère a monté d’un cran suite à cette assemblée nationale qui n’a rien de nationale, dont la légitimité est faible puisque n’étant une fois de plus pas représentative des Français. On risque vite de se retrouver tous contre tous.
Le deuxième aspect très problématique est ce qui se déroule au niveau européen. Sans gouvernement issu d’une majorité forte, c’est Emmanuel Macron qui va tout décider seul. La France est toujours représentée au Conseil européen par le président de la République et le premier ministre. Un gouvernement de cohabitation aurait été l’assurance d’un contrepoids à l’Elysée.
Quand, au parlement européen, des premières brèches sont vite apparues. La nouvelle est passée relativement inaperçue en France : en annonçant rejoindre “Les Patriotes pour l’Europe”, l’alliance lancée par Viktor Orban, Jordan Bardella propulse le nouveau groupe d’eurodéputés aux avant-postes, derrière le PPE mais devant les conservateurs et réformistes européens (CRE) et devant Renew. Fort du ralliement de déjà huit mouvements, dont ceux de deux premiers ministres en exercice qui disposent du droit de veto au Conseil. Pas une mince affaire.
Soit dit entre nous, nous ne sommes pas prêts d’être sortis des ronces. Avez-vous vraiment cru que ces élections législatives allaient changer quoi que ce soit ? Depuis l’inversion du calendrier électoral, le changement n’intervient que lors de l’élection présidentielle. Force est de reconnaître que c’est Marine Le Pen qui aujourd’hui est en pole-position, que cela plaise ou non. Elle n’a pas besoin de lever le petit doigt puisque l’immigration, l’insécurité, l’islamisation, le déclassement etc. sont autant de rentes électorales auxquelles aucun gouvernement ne s’attaquera avant 2027, rentes qui la poussent vers l’Elysée.
Excellent article! Vous sortez des sentiers battus par vos collègues et avez - à mon sens - raison! Vous omettez cependant un problème grave qui va sans doute nous éclater à la figure, c'est la situation économique de notre pays. Vues son ampleur et la taille relative de la France dans l'Europe, il est tout à fait possible que cette bombe fasse à la fois exploser l'Europe et l'Euro avant les échéances que vous prévoyez.