[ Édito ] La santé, c'est simple comme le discours du premier ministre
Dans son discours de politique générale, Gabriel Attal a tapé du poing sur son pupitre. C'est tout.
La politique, c'est magique. On peut d’un claquement de doigts changer le système de santé. Faire des médecins libéraux des fonctionnaires d'Etat par exemple. Ou éluder complètement le fait que dans les déserts médicaux, il n'y a par définition pas assez de médecins pour faire la maille. Et que si obligation de garde il y a pour les restants, non content de saper un peu plus les velléités des étudiants à faire le choix d’une médecine de ville quasi-pestiférée, il est fort à craindre que la mesure finisse de mettre tout le monde au tapis.
Faut-il rappeler à Gabriel Attal que les médecins libéraux n'ont pas droit au repos compensatoire ? Que la moyenne d'âge tourne autour de 60 ans ? Que nombre de cabinets tournent déjà quasi à vide certaines périodes de l'année (voir les dernières vacances de Noël), confrontés à la multiplication des ras-le-bol et burn-out ?
Faut-il rappeler que le principe d'obligation de garde a été supprimé en 2002 ? Si le volontariat avait alors été mis en place, c'était justement parce qu'il n'y avait déjà pas assez de médecins en ville ? Donc rien n'a été fait en vingt ans pour remédier la situation puisque celle-ci s'est aggravée.
Faut-il rappeler que de nombreuses lignes de gardes de spécialité ont été supprimées dans les établissements de santé ? Quatre d'entre elles – anesthésie-réanimation, soins critiques adultes, soins critiques en cardiologie et gynécologie-obstétrique – concentrent 66 % des gardes ? Que les dix spécialités les plus importantes en concentrent 90 %, tandis que quatorze spécialités n’ont aucune ligne de garde financée ? (source rapport de l'inspection générale des affaires sociales juin 2023).
Que ces astreintes, payées, ont parfois été supprimées par les agences régionales de santé (ARS), lesquelles agences sont les courroies de transmission en région du gouvernement ? Bref, que les réactions en chaine sont inévitables. Comme sera inévitable celle de l'extension des déserts médicaux si l'obligation de garde est réinstaurée... surtout si on ne fait rien pour construire une politique qui va au-delà d'une vision de myope façon cautère sur une jambe de bois. Comme remplacer un quota (le numérus clausus) par un autre quota (le numérus apertus) alors que les capacités de formation dans les facultés de médecine n’augmentent pas faute de budget1.
Faut-il rappeler qu'en matière de santé, les très maigres avancées consistent en un Ségur bien chiche (oui, c'est mieux que rien) et en quelques revalorisations par ci-par là (mais pas pour tout le monde) ? Rappeler aussi que rien n’est sorti du rapport d’enquête parlementaire sur l’hôpital, la seule recommandation passée dans le champ politique, à savoir le projet de loi d’un ratio patient-soignant voté par le Sénat, n’a toujours pas, un an après, été examiné par l’assemblée nationale ? On ne règlera pas la question des déserts médicaux sans régler celle de l’hôpital public…
Mais qu'on se rassure : Gabriel Attal a dit vouloir régulariser la situation des médecins étrangers en France. Ce qui est bien mais ne sera évidemment pas suffisant. Et, même, aller en chercher à l'étranger (sic). En France, un étudiant en médecine n'a pas le droit au redoublement. Ce qui le conduit à aller faire ses études de médecine ailleurs. Admirez la logique du raisonnement.
Pourquoi ne pas s'inspirer de Pap N’dyaye auquel Gabriel Attal a fugacement succédé à l'Education nationale (comme quoi tout se remplace) et, sur le modèle du prof de maths remplacé par un prof d'anglais, substituer un kiné à médecin ? Méthode éprouvée… Il n’y a qu’à voir en ce début d’année 2024 le nombre de cours pas plus remplacés que substitués dans les lycées et souvent sur des enseignements majeurs comptant pour le contrôle continu au bac. Ne cherchez pas les enseignants, nombre d’entre eux ont rejoint les bancs des prépas privées…
Mais revenons à la santé. Les kinés donc ? On oublie. Là aussi, il y a pénurie. Les infirmiers alors ? Pénurie aussi. Infirmiers en pratique avancée alors ? C’est laborieux. Voir le rapport de la Cour des comptes à ce sujet. Car il y a un gros, très gros frein : outre l’exercice contraint, qui oblige les IPA à exercer plus ou moins sous l’autorité des médecins, ces derniers rechignent à partager leur patientèle…
On se rappelle qu’en 1971, c’est à l'initiative des médecins libéraux, tout occupés à défendre leurs intérêts économiques et le monopole des soins, que le numérus clausus avait été mis en place.
Bref, la santé, c’est simple comme un discours de premier ministre.
Les facultés de médecine ont reçu 16 millions d’euros de budget complémentaire pour mettre en place la réforme des études de santé en 2020, puis 9 millions d’euros récurrents par an. Soit, divisé par le nombre de facultés, entre 150.000 à 250.000 euros par établissement et par an Sachant que la formation d’un étudiant en médecine coûte en moyenne 20 000 euros par an.