En Isère, les délicats arbitrages autour de la ressource en eau
Pour la Métropole de Grenoble, les besoins de STMicroelectronics et Soitec posent la question du partage de la ressource en eau. Les réponses de Christophe Ferrari et Anne-Sophie Olmos.
Alors que la contestation monte autour des projets d’extension des usines de STMicroelectronics et Soitec au sud de Grenoble, des collectifs accusant les deux industriels de “s’accaparer” l’eau du territoire, la Métropole de Grenoble revient sur l’état actuel de la ressource qu’elle gère sur son réseau d’eau potable.
Pour son président Christophe Ferrari et sa vice-présidente déléguée au cycle de l’eau, Anne-Sophie Olmos, si les besoins actuels et à venir tels qu’arrêtés par les industriels ne devraient pas mettre en tension la ressource, il est nécessaire de conduire une étude pour mieux appréhender les potentiels effets du changement climatique et les contraintes sur le réseau de la sécurisation de territoires voisins.
Nous publions ci-dessous, en complément de notre article “Eau, argent public... de quel siphonnage parle-t-on ? (les cas STMicroelectronics et Soitec)”, la réponse intégrale, par écrit, qui a été faite à nos questions.
L’Eclaireur Alpes - Quel est l’état des lieux de la ressource en eau sur le territoire géré par la Métropole de Grenoble ?
Les besoins en eau de la communauté de communes Le Grésivaudan, et indirectement des industriels sur son territoire, à partir des ressources de Grenoble-Alpes Métropole (depuis la ressource Romanche et les captages de Jouchy et Pré Grivel), sont en augmentation ces dernières années et l’évolution annoncée des consommations industrielles (STMicroélectronics et Soitec) vont entrainer des besoins de renforcement associés des infrastructures d’eau potable. A titre d’information, la consommation en eau de STMicroélectronics est de 4,8 millions de mètre cube et celle de Soitec de plus d’un million de mètre cube, chacune des entreprises ayant un projet d’extension de leurs activités.
On doit souligner que le niveau de prélèvement total de la ressource en eau est resté stable depuis la prise de compétence eau potable par la Métropole de Grenoble en 2015, les efforts continus d'amélioration du rendement du réseau par diminution des volumes perdus en fuite compensant la hausse des consommations industrielles, en constante évolution.
L’Eclaireur Alpes - La ressource en eau au niveau du territoire de la Métropole de Grenoble a-t-elle pu être quantifiée et auquel cas que vous enseigne-t-elle ?
Grenoble-Alpes Métropole produit 35 millions de mètre cube par an dont 30 millions sur ses deux principaux grands champs captant. Un peu moins de 7 millions de mètres cube sont vendus à la communauté de communes Le Grésivaudan. Le reste concerne les besoins du territoire métropolitain. Les usages sont donc principalement domestiques, puis industriels et enfin, en quantité modeste, agricoles.
Les besoins actuels sont compatibles à date avec les capacités des ressources. Les besoins complémentaires posent la question de la disponibilité future de la ressource : à ce stade, les volumes souhaités sont disponibles avec une marge acceptable (hors incident majeur) au regard des déclarations d’utilité publique (Dup) actuelles des grands champs captants (41% des besoins de pompage au regard des autorisations actuelles des Dup en intégrant les futurs besoins de la communauté d’agglomération du Voironnais) mais demande une restructuration des réseaux d’alimentation.
Il parait toutefois nécessaire de conforter ce constat à date par une étude spécifique prenant en compte les impacts du changement climatique et les demandes du Pays Voironnais et d’éventuels autres territoires voisins. En effet, la question du partage de la ressource en eau doit être évoquée au regard des impacts du changement climatique sur les ressources métropolitaines.
L’Eclaireur Alpes - Face à l’augmentation des besoins industriels sur son territoire, la communauté de communes Le Grésivaudan a passé en 2021 une convention d’achat avec la Métropole de Grenoble afin d’augmenter la fourniture journalière d’eau de 6 000 m³, soit d’environ 25 %. Cette fourniture a-t-elle été plafonnée, et pourquoi ? Est-elle appelée à être réévaluée à la hausse ?
La Métropole s’est engagée auprès de la communauté de communes du Grésivaudan sur la réalisation de travaux d'optimisation de l’adduction d’eau potable existante sur le territoire de Grenoble-Alpes Métropole pour permettre la fourniture d’un débit maximum de 29 000 m³/jour soit 1 200 m³/h maximum (contre 17 000 m³/jour auparavant) à la Communauté de Communes Le Grésivaudan. Ce niveau de sollicitation de la ressource est compatible avec les ressources disponibles de la Métropole telles que définies actuellement.
Aucun arbitrage en défaveur des usagers domestiques n’en résulte sur le territoire métropolitain.
Les deux collectivités ont d’ailleurs conventionné le 22 octobre 2021 pour les réaliser, la communauté de communes du Grésivaudan participant à leur financement et la Métropole en assurant leur maîtrise d’ouvrage. Les travaux envisagés ont pour objectif d’agir sur les points singuliers qui en limitent aujourd’hui la capacité de transit (notamment le renforcement de diamètre de la canalisation).
Ces travaux ont été réalisés à l’été 2023 en lien avec l’évolution des besoins annoncés des industriels à cette date et des engagements pris entre collectivités. Le coût total de ces opérations est estimé à un montant de 2 900 000 € TTC dont 2 125 000€ pour la communauté de communes Le Grésivaudan.
A date, il n’y a pas de demande de faire évoluer la convention. D’ailleurs, l’enquête publique sur la demande d'autorisation environnementale présentée par la société STMicroelectronics en 2023 ne demandait pas plus d’eau potable. En effet, le volume à livrer depuis les ressources de Grenoble-Alpes Métropole depuis le vecteur eau potable (besoin projeté de STMicroelectronics de 7 Millions de m³ par an (800 m³/heure) est cohérent avec la capacité de fourniture maximum au Grésivaudan de 10,58 millions de m³/an (29 000 m³/jour). Il revient à la communauté de communes Le Grésivaudan d’arbitrer par rapport à ses autres besoins.
La sollicitation en eau potable de STmicroelectronics à partir des ressources de la Métropole ne pose pas de difficulté technique à court terme suite aux travaux récemment réalisés (mais avec un maximum, pour rappel, de 1200 m³/heure pour l’ensemble des besoins du Grésivaudan), avec néanmoins, une interrogation sur la faisabilité réelle et la mise en œuvre des projets de pompage annoncés par STMicroelecronics dans la nappe de l’Isère et sur les réutilisations partielles de l’eau.
L’Eclaireur Alpes - La ressource (nappes Drac et Romanche) est-elle suffisante pour répondre aux besoins de STMicroelectronics avec son projet d’agrandissement ?
Le projet d'agrandissement de STMicroelectronics semble indiquer qu'il fera appel prioritairement à de la réutilisation des eaux de process et de pompage de nappe par l'industriel lui-même pour répondre aux besoins futurs, avec les infrastructures publiques existantes s'agissant d'eau potable du réseau. Le sujet de l'eau est bien plus large qu’une question technique et doit se poser aussi au niveau sur la gestion de la ressource en eau sur le long terme.
Une réflexion est en cours afin d’engager dans un premiers temps une étude sur les impacts du changement climatique sur les principales ressources en eau de la Métropole (second semestre 2023) et qui sera complétée dans un second temps par un projet de recherche universitaire sur cet objet.
La Métropole souhaite conforter les échanges entre les différents acteurs “du grand territoire” sur la question du partage de la ressource en eau. Cet objectif apparait nécessaire suite aux besoins grandissants en eau de la communauté de communes Le Grésivaudan et indirectement des industriels localisés sur son territoire à partir des ressources de Grenoble-Alpes Métropole, et de la Communauté d’Agglomération du Pays Voironnais (CAPV) pour secourir ses ressources en eau soumises à des problématiques d’étiage et d’éventuelles nouvelles sollicitations.
Au regard des impacts du changement climatique et des besoins grandissants des territoires, l’objectif est de construire un espace d’échange entre les acteurs “du grand territoire” sur la question du partage de la ressource en eau, de façon à prévenir un conflit d’usage futur entre des usages industriels et domestiques, ces derniers ayant bien entendu vocation à être considérés prioritaires pour le service public. La question de la mise en place d’un projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) est en cours de réflexion entre les territoires.