[ Fiscal fiasco ] Qui veut gagner des millions ?
Alors que les collectivités locales sont priées de trouver 2,2 milliards d'euros d'économies, l'Etat leur a littéralement fait perdre près d'un milliard de recettes.
Les dysfonctionnements de l’application “Gérer mes biens immobiliers” (GMBI) que L’Eclaireur vous exposait dans un précédent article n’ont pas seulement obéré le budget de l’Etat. Rappelons que le dispositif, mis en œuvre par la direction générale des finances publiques (DGFiP) et en grande partie externalisé à des cabinets conseils dont tout le monde tait, sans doute par politesse, le nom, s’est soldé par un trou de plus de 1,3 milliard d’euros dans les caisses de Bercy. Une paille en ces temps de bombance budgétaire…
Au moment où l’Etat demande dans le budget 2025 aux collectivités locales de se serrer la ceinture et de faire l’économie de 2,2 milliards d’euros, la nouvelle de la gabegie GMBI et de ses effets en cascade dans les territoires illustre une nouvelle fois l’incompétence généralisée (pour ne pas parler de corruption) au plus haut sommet de l’Etat.
Rappelons que la mise en œuvre de cet outil, GMBI, en 2021, est intervenu après de notables ratés informatiques dans tout plein de ministères (Education nationale, Intérieur, Défense etc). Qu’en interne, les alertes se sont multipliées bien avant la mise en œuvre de l’application et qu’une fois lancée, il a été passablement ardu de colmater les voies d’eau – voir la déclaration papier finalement de retour en ultime recours avant le crash.
Car la mise en œuvre de GMBI n’a pas seulement généré un énorme trou dans les caisses de l’Etat en foirant le transfert de la gestion de la taxe foncière. Depuis la loi de finances de 2021, le pilotage de la taxe d’aménagement et d’une partie de la redevance d’archéologie préventive (sa composante logement), qui assurent une partie des recettes des collectivités locales leur permettant de financer des dépenses d’équipement, a été transférée à la DGFiP, via le GMBI…
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En théorie, tout aurait dû bien se passer. Le dispositif devait même, à lire le rapport de l’inspection des finances de mars 2020, permettre aux collectivités de pouvoir disposer du produit des taxes plus rapidement.
Dans les faits, les dysfonctionnements de la plate-forme – notamment la perte d’informations – ainsi que le manque de moyens et de personnel formé à Bercy étant passés par là, rien ne s’est passé comme prévu. De la sorte que les collectivités qui touchent chacune une part de la taxe d’aménagement – communes ou intercommunalités mais aussi départements ainsi que la région Ile de France – se retrouvent le bec dans l’eau : il leur manque entre 583 et 695 millions d’euros, sur un total de 2,2 milliard d’euros de produit annuel censé être perçu 1. Soit le quart de ce qu’elles sont censées recouvrer. Manque à gagner auquel il faut rajouter les 51 millions d’euros de la taxe d’archéologie préventive.
Soit au total au bas mot entre 635 et 750 millions d’euros. Au train où vont les choses et des difficultés à recouvrer les sommes évaporées le temps passant, on devrait approcher le milliard. Soit une perte sèche totale pour les contribuables français de près de 2,5 milliards, causée par l’incurie de cabinets de conseil et de ceux qui leur ont octroyé ces marchés.
C’est le calcul auquel est arrivé le syndicat Solidaires Finances publiques qui, depuis 2020, alerte sur les dysfonctionnements prévisibles de la plate-forme.
Simple retard, qu’il s’agira seulement de rattraper au prix, d’après la DGFiP, d’une nouvelle version de la plate-forme ? On n’ose imaginer que ceux qui ont conçu le bazar et causé le problème – la prestation ayant été en grande partie externalisée – puissent se voir octroyer un nouveau marché public…
On a peine à croire que le retard accumulé se résorbera sans plus de dégâts collatéraux. “D’abord, parce que certaines informations déclaratives semblent avoir été perdues et ne pourront dès lors donner lieu à taxation, souligne le syndicat. Ensuite, parce que le retard de taxation en matière d’urbanisme va s’ajouter au retard pris par les services départementaux des impôts fonciers saturés par les dysfonctionnements de GMBI”.
Précisons que l’application a toujours de gros ratés pour gérer la partie taxes d’urbanisme. Trois ans et demi après sa mise en service (en août 2021) et deux ans après son ouverture au grand public (en 2023).
La nouvelle de ces centaines de millions perdus, dont la majeure partie ne seront pas retrouvés, tombe d’autant plus mal – ou “bien” selon la manière dont on voit les choses – que le budget 2025 prévoit de continuer de tailler dans les effectifs. A Bercy, la DGFiP (le service le plus touché au ministère de l’économie et des finances) devrait voir disparaitre 550 postes, après avoir perdu 25 % de ses effectifs depuis sa création en 2008.
Au motif de faire des économies.
“Alors que les DDTM émettaient en moyenne 590 000 titres de taxe d’aménagement par an sur la période 2018-2021, la DGFiP a émis 775 titres en 2023 et 39 000 titres au 30 novembre 2024. Sur la même période, les DDTM émettaient chaque année en moyenne 2 208 567 982 € de titres de taxe d’aména- gement quand la DGFiP a émis 358 164 € de TAM en 2023 au titre de 2023 et 36 464 740 € en 2024 au titre des années 2023 et 2024, c’est près de 120 fois moins”, souligne Solidaires Finances publiques