Quand la secrétaire d'État aux people handicapés et la classe politique se fendent d'une indigente polémique
En pleine campagne présidentielle, l'instrumentalisation du handicap pour cliver d'un côté le camp du bien "inclusif" et de l'autre le camp du mal disqualifié moralement, est indécente.
Parler de handicap sans sombrer dans le compassionnel ou la moraline est un exercice risqué. Ce risque, prenons-le “en parlant vrai”, en décrivant ce que nous voyons et en rapportant fidèlement ce que l’on nous dit - en tant pis pour la sensibilité des uns ou des autres. Un cul-de-jatte n’est pas un aveugle qui n’est pas un paraplégique, qui n’est pas un autiste, qui n’est pas un trisomique, qui n’est pas un polyhandicapé.
La manière avec laquelle notre société décide de traiter ceux qui, pour vivre, dépendent littéralement de nous n’est pas une affaire anodine. C’est une question de civilisation.
Trop peu se posent la question de la réalité et de son diagnostic. Ceux qui font l’effort d’essayer de rentrer dans le vif d’une plaie que tous cherchent à vite mercurochromer qu’on la cache, se voient immédiatement lancer l’anathème et recouvrir d’opprobre. Comme nous l’a déclaré cyniquement un grand élu national dont nous tairons le nom : qui peut “gagner en terme d’image face à des enfants handicapés ? ”. Toute forme de questionnement est immédiatement taxée de malveillance et utilisée pour discréditer l’intention et la parole de celui qui le pose. Sans autre forme de procès.
Le mot handicap provient de l’anglais “ hand in cap ” - main dans la chapeau - qui décrivait lors d’un jeu d’échange à l’aveugle d’objets personnels dans l’Angleterre du XVIe siècle, la situation du joueur qui avait tiré un lot défavorable, c’est à dire un objet de valeur moindre que celui qu’il avait échangé. Toujours bon de se pencher sur l’étymologie.
Le handicap n’est pas uniforme. De par sa nature - moteur, mental, physiologique, combinaison des trois - de par sa sévérité et le niveau de dépendance qu’il occasionne, de par la vulnérabilité (statut juridique) qu’il induit et de par les besoins individuels (sociaux, éducatifs et médicaux) qu’il génère.
Depuis les propos d’Eric Zemmour qui n’avaient rien de polémiques, la plus élémentaire justesse oblige à le reconnaître, on brandit de toutes parts et à tout bout de champ “l’inclusivité” comme un crucifix au nez de Nosferatu.
Certains s’indignent en rase campagne et se servent cyniquement du handicap comme un point d’ancrage permettant de tracer une ligne médiatique au cordeau entre le camp du bien autoproclamé dont il font partie et le camp du mal disqualifié moralement en tout et renvoyé aux sempiternelles heures sombres de notre histoire.
A lire également, Ségur de la santé et prise en charge du handicap : tous ne sont pas égaux devant le "quoi qu'il en coûte"
“L’inclusivité”, anglicisme dont certains essaient d’imposer la gravure au fronton de toutes les institutions - ONU, Union européenne, République Française. L’inclusivité, version comptable et globalisée de la fraternité en distanciel ?
Parlons de la Suède, pays systématiquement cité en exemple par Sylvie Cluzel, secrétaire d’État chargée des people handicapés, en pleine campagne de promotion pour son livre d’entretiens avec Dominique Farrugia, Marc-Olivier Fogiel, Gilbert Montagné, Tahar Ben Jelloun etc. Que des gens que nous croisons tous dans la vie de tous les jours. Des individus lambda, des hommes de la rue. Sans parisianisme. Aucun.
Il est toujours fascinant de voir des ministres ayant des emplois du temps de ministre trouver le temps d’écrire des livres publiés durant des campagnes électorales. A se demander si ces ministres font réellement leur travail de ministre - ou bien s’ils écrivent eux-mêmes leurs livres. Ou les deux.
Mais revenons à nos knakkebröd, à nos Kripsrolls. La Suède, ce pays au long et sinistre passé eugéniste, fut l’un des premiers au monde à passer en 1935 (après les USA en 1924) une loi pour préserver la “pureté de la race nordique” (sic) ayant autorisé des programmes de stérilisation jusqu’en … 1996. Près de 250 000 personnes ont été stérilisées de force ou bien par “ un programme de planification familiale et de cohésion sociale, de l'intérêt collectif à l'intérêt individuel".
Les personnes stérilisées systématiquement ? Des handicapés et des patients psychiatriques. Notons que les mêmes pratiques eugénistes eurent cours après la Seconde Guerre mondiale, malgré la connaissance des crimes nazis, en Norvège, au Danemark, en Autriche, en Suisse, aux USA etc.
Autant dire que la Suède n’est pas en position de donner des leçons à qui que ce soit, ce qu’elle se garde d’ailleurs bien de faire en reconnaissant que c’est bien son sinistre passé qui est à l’origine de “l’inclusion” effectuée avec des moyens sans commune mesure à ceux qu’y alloue le gouvernement dont Mme Cluzel est membre. La manière dont la Suède inclut n’a pas grand chose à voir avec la description qui nous en est donnée en France. Et nous souhaitons que tous les adultes handicapés puissent trouver un emploi équivalent à celui de la fille de Mme Cluzel, trisomique, qui travaille à l’Élysée.
Cette idéologie “inclusive” - car il s’agit d’idéologie - est ainsi importée de pays ayant appliqué des politiques eugénistes jusqu’au milieu des années 1990. Ces politiques constituent en droit international des crimes contre l’humanité.
Cette idéologie en provenance de pays de cultures nordique, germanique et anglo-saxonne est portée aux nues par des responsables politiques français sans épaisseur et relayée par des médias complaisants. Parce que si on n’est pas inclusif, on est dans le camp du mal. C’est une affaire déclarative, une affaire de marque.
Qu’y a t-il d’étonnant alors à ce que Daniel Cohn-Bendit, si l’on en croit Elisabeth Lévy, déclare que “même Hitler n’a pas osé exterminer les enfants handicapés”. Alors que les thèses eugénistes sont le fondement du nazisme et que Hitler ordonna personnellement l’euthanasie des enfants handicapés avant l’extermination des adultes handicapés et des patients psychiatriques. 10 000 enfants et 80 000 adolescents et adultes assassinés. Une broutille.
“Les centres, les institutions, les bénéficiaires, les familles sont parties intégrantes à la société. Ils ne sont pas en dehors. La société inclusive est un pléonasme”
Si tout ne fut pas tout rose en France, si dans de nombreuses familles on cachait les enfants handicapés, l’éthique catholique (et l’église catholique, le pape Pie XI condamna l’eugénisme en 1930 dans son Casti connubii) qui prévalait dans les pays méditerranéens fit que dans l’histoire moderne, ces enfants ne furent jamais exclus du cercle familial et qu’aucune thèse eugéniste ne fut jamais à l’origine de politiques publiques les concernant.
Même si nombreux furent les médecins à les promouvoir, à commence par le prix Nobel de médecine 1913 Charles Richet (président de la société française d’eugénique de 1920 à 1926). Même s’il y eut la fameuse expérience Ungemach à Strasbourg qui débuta en 1924 et dura plus de 60 ans. Même si une quinzaine de cas individuels de stérilisation forcée de jeunes filles handicapées mentales dans le département de l’Yonne de 1991 à 1998 sont à déplorer. Plus déplorable fut la justice européenne qui les débuta en 2012. La seule loi d’inspiration eugénique jamais promulguée en France le fut par le régime de Vichy avec le certificat prénuptial en 1942, qui n’est plus obligatoire depuis … 2008.
Quand aujourd’hui on met en parallèle la manie de la désinstitutionnalisation pour qu’il en coûte moins avec la loi de bio-éthique votée en catimini en juillet 2021 permettant une interruption médicale de grossesse jusqu’au neuvième mois, on peut se demander si l’on ne se dirige pas à grand pas vers une société où l’on dira aux parents d’enfants handicapés: “vous étiez au courant du handicap de votre enfant avant sa naissance, vous pouviez interrompre la grossesse. Votre choix personnel, votre responsabilité personnelle”. Sur le modèle du passe vaccinal. Libre d’obéir.
Quand l’avortement est rendu possible jusqu’au neuvième mois pour des raisons de “détresse médico-sociale”, notion qui n’a reçu aucune définition juridique précise, nous rentrons de plein-pied dans les sables mouvants de l’eugénisme, non pas dans le monde qu’on nous dit merveilleux du transhumanisme qui n’en est que la version 2.0. Les promoteurs de cette loi de bioéthique sont également les thuriféraires de l’inclusivité.
“Les centres, les institutions, les bénéficiaires, les familles font partie intégrante de la société. Ils ne sont pas en dehors”, affirme Maël Piccolo, sociologue et coordinateur régional de l’UNAPEI Auvergne Rhône-Alpes 1. “La société inclusive est un pléonasme. Les efforts doivent être portés sur les espaces d’exclusions quand ils existent et sont identifiés”.
Valérie Benotti, présidente de l’UNAPEI Auvergne Rhône-Alpes, souligne avec force qu’une “inclusion” mal faite, par exemple à l’école, peut s’avérer préjudiciable et nocive non seulement à l’enfant handicapé mais aussi aux autres élèves, aux enseignants et à l’ensemble de l’environnement. Sa propre fille, autiste profonde et polyhandicapée, fut scolarisée normalement jusqu’à la l’âge de 4 ans, jusqu’à ce que l’école ne puisse plus répondre à ses besoins.
Et Valérie Benotti de pointer des politiques publiques absurdes qui, par exemple, exigent des associations gérant la prise en charge la réduction du nombre de places en institut médico-éducatif accueillant des enfants handicapés mentaux pour les remplacer par deux à trois fois de plus de places en Services d'éducation spéciale et de soins à domicile … à moyens et personnel égaux, obérant grandement le soin consacré à chaque enfant.
Logique comptable, réduction des coûts, report des responsabilités du service public sur les familles et donc privatisation rampante. Catastrophe annoncée. Selon l’exacte même mécanique et pour les mêmes prétextes que l’hôpital public a été détruit. C’est de la faute du patient s’il est malade.
C’est qui se réalise dans notre région en matière de handicap, dans au moins trois départements où la situation est effrayante. Celui du Rhône, métropole lyonnaise comprise. Celui de Savoie. Et celui de la Haute-Savoie. Dans les autres, les listes d’attente sont pléthoriques.
Départements où plus du tiers des postes à caractère médical et médico-social sont vacants dans des institutions accueillant des enfants handicapés ayant besoin de soins constants. Secteur médicosocial où les métiers, une soixantaine, pourtant critiques mais ne relevant pas du Ségur de la santé, n’ont pas été revalorisés depuis des années et où le manque de personnel vient obérer la sécurité des enfants et la capacité de prise en charge.
Dans les prochaines semaines, nous nous attacherons à rapporter la réalité décrite par les acteurs de la prise en charge du handicap dans les huit départements rhônalpins et à partager le diagnostic qu’ils posent quant à l’avenir de leur secteur.
Ce sera également l’occasion de se pencher sur le quotidien des familles d’enfants handicapés, qui de manière croissante sont laissées désemparées et sans ressources. Parce qu’il est encore temps de faire l’effort d’écouter et comprendre ce qu’elles disent plutôt que de nous contenter d’entendre les mots qu’elles prononcent puis de nous empresser de les annuler avec inclusivité.
Ces gens et leurs enfants sont là, ils sont inclus. Ils font partie de notre société. Ce sont nos concitoyens. Il n’est nul besoin de changer notre regard, il suffit d’ouvrir les yeux.
L’Unapei est la première fédération française d’associations de représentation et de défense des intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles. Reconnue d'utilité publique, l’Unapei est un mouvement de proximité qui rassemble 550 associations et plus de 900 000 membres, qui gèrent notamment un grand nombre d'établissements et services médico-sociaux. A noter que Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, fut administratrice de l’Unapei de 2011 à 2013. Les raisons de son départ sont inconnues.