[ Immobilier ] Coup de chaud dans les stations de ski
La justice a une nouvelle fois mis un coup de frein à la construction de lits touristiques à L'Alpe d'Huez. En Isère mais aussi en Savoie, les coups d'arrêt se multiplient.
Avec Serre-Chevalier, L’Alpe d’Huez est la station de ski en France qui affiche la plus grande proportion de lits froids. Là, près de deux tiers des lits, entre 16 000 et 20 000, sortis du marché de la location, restent vides une grande partie de l’année.
Et comme ils ne sont pas, ou très peu, réhabilités, la commune s’est depuis quelques années transformée en un vaste chantier BTP. En 2021, le conseiller municipal d’opposition avait tenté de faire le décompte des constructions. Pour Gabriel Chamouton, c’était alors presque 250 000 m2 de surface plancher qui devaient être construits entre 2018 et 2030. « Soit quarante terrains de foot ».
Une accélération qui ressemble fort à une course de vitesse alors que tombent les recours (et victoires) judiciaires et que se multiplient les contraintes pour les uns, garde-fous pour les autres, réglementaires.
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Dans les stations de ski de l'Oisans, les lits se superposent (volet 2)
En 2019 déjà, la justice avait mis un premier coup de frein aux velléités de bâtisseur de L’Alpe d’Huez. Le tribunal administratif de Grenoble avait annulé le plan local d’urbanisme (PLU) et, ce faisant, plusieurs permis de construire comme la perspective de réaliser 4 600 lits touristiques. Le nouveau PLU, qui avait revu à la baisse le nombre de lits commerciaux pour les descendre à 2400, n’a pas davantage convaincu le juge. Le 15 février, le tribunal a une nouvelle fois, après un nouveau recours de France Nature Environnement (FNE) retoqué le programme de constructions. Un troisième PLU, encore plus allégé, devrait donc suivre.
“Aucune hypothèse alternative visant à rétablir les près de 60 % de lits froids que compte la commune n’est sérieusement envisagée, l’objectif de la commune étant limité à la réhabilitation de cinquante lits froids par an”, souligne le tribunal dans sa décision.
Il n’y a pas qu’à l’échelle de la commune que ça coince. Le schéma de cohérence territoriale (Scot) de l’Oisans, document de planification stratégique intercommunale qui court sur vingt ans, achoppe toujours sur sa troisième mouture. Les deux premières, trop gourmandes en foncier, qui prévoyaient la construction de 17 600 lits (à ramener aux 85 000 lits existants) ont été retoqués par le préfet et la commission d’enquête.
“Il m’est arrivé à la lecture des pièces de m’interroger sur la finalité du Scot : un projet d’interêt public et collectif sur le long terme ou l’expression d’un lobbying à court terme de l’activité ski ?”, soulignait le commissaire enquêteur dans ses conclusions.
La finalité des lits touristiques ne fait pourtant guère illusion. Le maire de L’Alpe d’Huez ne s’en cachait d’ailleurs même pas auprès de L’Eclaireur à l’époque. “Un lit représente pour les remontées mécaniques une recette de 1860 euros par saison. Quand on fait mille lits, on a de quoi se payer un télésiège”.
Plus de lits = plus de remontées. Plus de remontées = plus de skieurs. Plus de skieurs = plus de lits. La boucle est bouclée dans une spirale alimentée pendant des années par les lois de défiscalisation successives faisant primer une politique fiscale sur une politique d’aménagement du territoire en montagne, réduite à la portion congrue.
Avec le coup d’arrêt aux dispositifs fiscaux, la chute est d’autant plus rude qu’elle se combine à d’autres paramètres : le déclin progressif quoi qu’en disent ses promoteurs, du ski; des locations mal construites qui ont mal vieilli et auxquelles les dispositifs d’incitation à la rénovation répondent peu et mal, aucune aide publique n’ayant été mise en place pour les résidences secondaires. Sans parler de la raréfaction de la neige qui, si elle ne touche pas encore des stations comme L’Alpe d’Huez ou Les Deux-Alpes, conduit à concentrer les skieurs sur quelques pistes. Au point qu’à L’Alpe d’Huez il est question l’hiver prochain de mettre en place des créneaux de réservation pour pouvoir skier…
Stop ou encore ? Manifestement, la prise de conscience que le ski ne sera plus cet eldorado qui a en premier fait les affaires des promoteurs immobiliers, peine à émerger. A L’Alpe d’Huez, c’est bien la justice qui a mis la commune devant le fait accompli : celui de devoir se contenter des 2 000 lits actuellement en construction et de s’en tenir là.
Des lits construits d’autant plus vite qu’il n’y a pas beaucoup de risques de voir la justice imposer leur démolition : en 2015, alors ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a été à l’origine d’une loi restreignant la possibilité d’actions contentieuses en ce sens.
L’Alpe d’Huez à un tournant, certes contrainte et forcée ? “On sera en configuration pour assurer les trente prochaines années car toutes les nouvelles constructions ont été réalisées avec une obligation de location de trente ans”, soulignait Jean-Yves Noyrey sur France Bleu Isère le 7 février dernier, avant que le tribunal ne rende sa décision. “On va s'adapter petit à petit au manque de neige donc on se concentrer sur l'habitat permanent pour que les gens vivent ici toute l'année. Il faudra aussi de plus en plus d'événements pour tourner hiver comme été."
L’Oisans n’est pas le seul massif à devoir engager sa mutation. En Maurienne, le tribunal administratif avait également annulé le schéma de cohérence territorial en mai 2023 – après le recours de France Nature Environnement. L’objectif de réhabiliter plus de 11 500 lits n’était accompagné d’aucune mesure de planification ou d’incitation. Quand celui de créer 22 800 nouveaux lits touristiques n’était accompagné d’aucune garantie de préservation des espaces non urbanisés comme de maintien de ces lits en lits chauds.
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“Il m’est arrivé à la lecture des pièces de m’interroger sur la finalité du Scot : un projet d’interêt public et collectif sur le long terme ou l’expression d’un lobbying à court terme de l’activité ski ?”, soulignait le commissaire enquêteur dans ses conclusions.
En langue de commissaire... ça fouette !