Le groupe Avec, château de sable de Bernard Bensaïd (deuxième partie)
Retour sur notre enquête, toujours en cours, sur le "groupe" de Bernard Bensaïd, dont nous republions les épisodes un par un. Voici le deuxième, paru le 14 octobre 2022
Les contours du “groupe” Avec sont nébuleux. Y sont mélangées sociétés commerciales (à but lucratif) et entités à but non lucratif, formant un inextricable maquis. Le tout avec une maison-mère qui est elle-même une société commerciale, ce qui exclut de facto l’ensemble des activités à but non lucratif du périmètre tant organisationnel que comptable du “groupe”.
Venant confirmer ce que des sources indépendantes et concordantes nous relatent depuis quatre mois, un rapport, que nous nous sommes procuré, réalisé par le cabinet d’expertise comptable Apex à la demande du Comité social et économique du Groupe Hospitalier Mutualiste (GHM) de Grenoble – clinique dont la reprise par Avec a été contestée devant les tribunaux – décrit la mauvaise santé financière du “groupe” de Bernard Bensaïd.
Un EBITDA1 négatif (-1,9 millions d’euros), un résultat net comptable largement déficitaire pour la deuxième année consécutive (-19,5 M€ en 2020, -24,2 M€ en 2021), une trésorerie d’ouverture en 2021 à 52,3 M€, en nette baisse à la fin de l’exercice (trésorerie de clôture en 2021 à 22,6 M€ malgré les 46 M€ de prêts garantis par l’Etat contractés) pour un chiffre d’affaires annuel de 700 M€ et des charges mensuelles supérieures à 50 M€.”
Eléments recueillis au cours d’entretiens menés avec Bernard Bensaïd, les experts précisant n’avoir pas eu accès aux documents comptables au niveau du réseau (comptes consolidés, Avec SA, Mutuelle Doctocare et Mutuelles de France du Var) malgré plusieurs relances.2
Avec des charges mensuelles supérieures à 50 millions et 23 millions d’euros de trésorerie, le “groupe” Avec est au bord de la cessation de paiement.
Mettons ces données en perspective avec ce qui est déclaré dans le rapport d’activité 2020 du “groupe “ Avec. Et constatons, comme nous l’avons relevé dans la première partie de notre enquête, le caractère trompeur voire mensonger de cette présentation.
Les chiffres présentés ci-dessus sont fictionnels, dans le sens qu’ils ne sont en aucun cas des données comptables, puisque les résultats de l’ensemble des entités à but non lucratif du “groupe” Avec ne peuvent pas être consolidés dans les comptes de la société anonyme mère Avec SA.
L’argument répété à l’envi, notamment par le nouveau – nommé en juin dernier – directeur général délégué Yves Jégo (ancien secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy aujourd’hui proche d’Emmanuel Macron), selon lequel d’autres groupes comme le Groupe SOS ou encore VYV, fonctionnent sur le même modèle, ne tient pas.
Le Groupe SOS est un groupe 100% associatif, sauf quand l’activité impose le secteur lucratif, comme c’est le cas avec sa filiale Groupe SOS Consulting.
Le groupe VYV est un groupe 100% mutualiste.
Ni le groupe SOS ni le groupe VYV , “maisons mères”, ne sont des sociétés commerciales “contrôlant” des entités à but non lucratif afin de former un “groupe”.
Le cabinet Apex poursuit :
Afin de faire face aux pressions économiques, au-delà des prêts consentis
par l’UMG, Avec a cherché à revendre certaines actifs afin de soulager sa
trésorerie, mais ces opérations ont été décalées et n’interviendront donc
pas en 2022.
Des rumeurs persistantes de négociations pour la reprise par le groupe SOS Santé de tout ou une partie du “groupe” Avec sont parvenues jusqu’à nos oreilles. Rumeurs que nous n’avons pas pu confirmer pour l’instant.
Là fait jour l’énorme défaut dans la cuirasse, le péché originel du “groupe” Avec. Si, comme nous l’a affirmé par écrit sa directrice de la communication, 80% de ses activités sont à but non lucratif et réalisées par des associations et des mutuelles, alors le “groupe” Avec ne ne peut pas les “vendre” puisqu’elles n’ont pas de capital social.
Bernard Bensaïd peut chercher à vendre les actifs - immobilier, foncier, équipement etc. - propriété des associations et des mutuelles dont il est le président. En revanche, le produit de ces ventes ne pourra pas être transféré vers d’autres entreprises du “groupe” Avec.
Autre signe de graves difficultés financières : une sixième convention pour un nouveau prêt de 1,5 million d’euros accordé sur la trésorerie du GHM. Elle aurait porté l’encours cumulé des prêts consentis par le GHM à Doctocare, une coquille vide, à 7,5 millions d’euros, si le conseil d’administration du GHM n’avait pas refusé l’autorisation de signer la convention.
Des difficultés financières au demeurant susceptibles de tourner aux ennuis judiciaires. Le conseil d’administration a visiblement été échaudé par la saisine du Parquet national financier effectuée par les syndicats FO et CGT le 15 juillet dernier.
Dans leur plainte contre X, les avocats des deux syndicats soulignent la nature illicite des prêts, que seuls des établissements de crédit peuvent consentir. Les prêts inter-entreprises, si autorisés depuis la loi Macron sous certaines conditions draconiennes, sont très strictement encadrés.
Les prêts entre deux sociétés mutualistes comme cela été fait par 5 fois entre le GHM, présidé par Bernard Bensaïd et Doctocare, mutuelle coquille vide présidée par Bernard Bensaïd, ne sont a priori pas autorisés par la loi. D’autant que ces prêts auraient, d’après les avocats de FO et de la CGT, comme bénéficiaire réel Avec SA, une société commerciale…
En résumé, une plainte (que nous avons pu consulter) affirme qu’une société mutualiste sans activité ni fonds propres a contracté un prêt auprès d’une Union mutualiste dont elle est sociétaire, pour en transférer le principal, vraisemblablement par le truchement d’un autre prêt, à une société commerciale en manque de trésorerie. Cela ne s’appelle t-il pas de la cavalerie ?
Cette pratique, si elle a cours, concerne t-elle également d’autres entités du “groupe” Avec , lequel voit se multiplier les contestations au fur à mesure des établissements qu'il reprend et exploite quand il n'aligne pas les impayés, comme à Chamrousse en Isère ou à Albiez en Savoie ?
Notez que ce ne sont pas les Mutuelles de France du Var, le deuxième véhicule présidé par Bernard Bensaïd qui a permis son entrée au GHM, qui ont été utilisées pour tirer ces prêts. Les Mutuelles de France du Var font l’objet d’un plan de redressement contrôlé par un commissaire à l’exécution (mandataire judiciaire), qui a été prolongé de deux ans en mars 2021.
Comme le rappellent dans leur plainte les avocats des syndicats, le GHM est un établissement privé de santé d’intérêt collectif (Espic) à but non lucratif qui participe au service public hospitalier. Si son fonctionnement relève du droit privé, il est placé sous le contrôle financier de l’Agence régionale de santé et reçoit des financements publics - dotation pour mission d’intérêt général et tarification à l’activité (T2A).
Se servir sous forme de prêt dans la trésorerie du GHM dont une partie est constituée de fonds publics prévus pour financer un service public est susceptible de recevoir la qualification de détournement de fonds par une personne chargée d’une mission de service public. Président du GHM, Bernard Bensaïd est bien chargé d’une mission de service public.
Autre fait étonnant. Le “groupe” Avec se présente comme un groupe opérant dans l’économie sociale et solidaire (ESS). Sa directrice de la communication, Sandrine Thomas, nous l’a assuré par écrit.
“Le groupe AVEC déploie 80% de son activité dans les domaines associatifs et mutualistes, inscrivant pleinement l’entreprise dans le champ de l’économie sociale et solidaire.”
Si c’est le cas, alors la maison-mère Avec SA doit remplir les obligations suivantes en matière de gestion :
le prélèvement d'une fraction définie par arrêté du ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et au moins égale à 20 % des bénéfices de l'exercice, affecté à la constitution d'une réserve statutaire obligatoire, dite « fonds de développement », tant que le montant total des diverses réserves n'atteint pas une fraction, définie par arrêté du ministre chargé de l'économie sociale et solidaire, du montant du capital social. Cette fraction ne peut excéder le montant du capital social. Les bénéfices sont diminués, le cas échéant, des pertes antérieures ;
le prélèvement d'une fraction définie par arrêté du ministre chargé de l'économie sociale et solidaire et au moins égale à 50 % des bénéfices de l'exercice, affecté au report bénéficiaire ainsi qu'aux réserves obligatoires. Les bénéfices sont diminués, le cas échéant, des pertes antérieures ;
l'interdiction pour la société d'amortir le capital et de procéder à une réduction du capital non motivée par des pertes, sauf lorsque cette opération assure la continuité de son activité, dans des conditions prévues par décret. Le rachat de ses actions ou parts sociales est subordonné au respect des exigences applicables aux sociétés commerciales, dont celles prévues à l'article L. 225-209-2 du code de commerce.
Ces obligations de gestion ont été expressément prévues par le législateur pour garantir la solidité financière des sociétés commerciales relevant de l’ESS, afin d’éviter des situations comparables à celle dans laquelle se trouve le groupe de Bernard Bensaïd.
Les entreprises de l’EES doivent faire passer la continuité de leur mission sociale et solidaire avant la distribution de dividendes. Ces obligations ont-elles été remplies par le groupe Avec et les entités qui le composent ? Nous n’en savons rien, le groupe Avec ayant choisi de ne pas nous répondre, alors que nos questionnements étaient aussi précis que techniques.
Dernier point d’achoppement dans le modèle économique créé par Bernard Bensaïd : comment est-il possible que Avec SA facture des frais de siège à des entités dont elle n’est pas le siège ? Des prestations de service de support ne sauraient se facturer en fonction du chiffre d’affaire du client, alors que les prestations informatiques du “groupe” Avec elles sont facturées par utilisateur.
Le groupe Avec est bien un château de sable qui risque fort d’être effacé par la déferlante qui vient. La stratégie adoptée par Bernard Bensaïd laisse perplexe. Elle a consisté à reprendre des entreprises en difficulté par des plans de continuation garantissant la reprise de toutes les activités et de tout le personnel. Pour bien saisir de quoi cela procède, il faut écouter M Bensaïd s’exprimer en 2015 lors de sa tentative de rachat infructueuse du voyagiste Fram. Quand on lui fait remarquer qu’il allait devoir reprendre l’ensemble du passif, il a répondu :
Mais Fram dispose de beaucoup d'actifs. Certes, l'entreprise a 87 millions d'euros de dettes, mais aussi 67 millions d'actifs de créances, 5 millions de trésorerie et 20 millions d'actifs immobiliers. Calculez-vous même. Cela fait 92 millions, 5 millions de mieux que le passif. Finalement, la continuation me fait faire des économies, je gagnerais presque de l'argent… Sérieusement, si j'enlève les actifs immobiliers, le différentiel entre les dettes et les actifs s'élève à 15 millions, c'est à dire seulement trois millions de plus à débourser par rapport aux 12 millions envisagés dans le cadre d'un plan de cession. Avec l'avantage que j'ai 10 ans pour les rembourser alors qu'avec une cession, je dois payer tout, tout de suite.
Si ce genre de calcul est risqué pour une reprise - le tribunal de commerce avait d’ailleurs préféré le plan de cession présenté par le groupe Kraravel/Pormovacanes et leur actionnaire LBO France pour 10 millions d’euros - il est tout simplement suicidaire avec des entités à but non lucratif.
En effet, quand on reprend une association ou une mutuelle, on reprend leur passif sous forme d’apport3 (qui n’est pas un apport en capital, ni un don, ni un prêt) en échange d'une contrepartie morale, qui peut-être leur présidence, le contrôle de leurs activités, dont les bénéfices ne peuvent pas être distribués. On ne devient pas non plus propriétaire de leurs actifs…
Prenez l’Ehpad Le Val Montjoie dont il est question dans la première partie de notre enquête. L’association qui le gère possède l’immobilier et le foncier. L’association peut choisir de les vendre à un investisseur qui les lui louera afin d’éponger ses dettes, de financer de nouveaux investissements etc. Mais le produit de cette vente ne pourra être transféré à autrui…
La structure du “groupe” Avec se limite à une longue liste d’entités dont M. Bensaïd est le dirigeant (et actionnaire uniquement dans le cas de sociétés commerciales). Elle laisse transparaître ce que l’on pourrait qualifier de syndrome du crapaud devant le bœuf.
Reprendre à vil prix - celui des dettes à court terme - des établissements médicaux et médico-sociaux à but non lucratif par plan de continuation des activités a, d’après les éléments en notre possession, permis à Bernard Bensaïd de gonfler artificiellement les actifs dont il affirme disposer par la consolidation, forcément virtuelle, des actifs des entités ainsi reprises au sein du groupe Avec. Groupe parfaitement “fictionnel”, qui n’a aucune existence en ce qui concerne les entités à but non lucratif puisque leur maison-mère ne peut pas être une société commerciale.
Tant que les banques suivent - pourquoi personne n’a jamais relevé le caractère fictionnel des chiffres consolidés du “groupe” Avec est un mystère - tant que les taux d’intérêts sont bas et tant que les institutions financières sont noyées dans les liquidités pompées par des banques centrales en roue libre qu’elles doivent investir, ça passe crème.
Dès que le flot d’argent magique se tarit, avoir confondu contrôle découlant d’un mandat social et contrôle capitalistique ne pardonne pas.
En 2021, Bernard Bensaïd déclarait à Patricia Cerinsek, aujourd’hui journaliste à L’Eclaireur :
“Tout le groupe Doctegestio, ou personne, fera faillite. Plus on sera nombreux, plus ce sera difficile de déstabiliser le groupe Doctegestio. C'est cette solidarité exceptionnelle qui n'existe même pas dans la mutualité de base".
Il semble qu’aujourd’hui Doctegestio devenu Avec soit au bord de la faillite. Bernard Bensaïd n’a pas compris que le “too big to fail” (trop gros pour faire faillite) ne fonctionne qu’avec les énormes monolithes. Pas pour un édifice baroque, éparpillé façon puzzle et présenté comme un groupe alors que le seul point commun entre les entités qui le composent est de l’avoir comme mandataire social.
Bernard Bensaïd oublie que les établissements associatifs et mutualistes ne peuvent se voir imputer d’autres dettes que les leurs, certainement pas les dettes et le passif du “groupe” Avec. Ils pourront peut-être continuer leurs activités après trois périodes de 6 mois d’administration provisoire qui auront pour effet de d’écarter définitivement Bernard Bensaïd de leur présidence et de révoquer son éventuel statut de membre de droit …
L'EBITDA désigne communément les revenus d'une entreprise avant soustraction des intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations.
Pas plus Bernard Bensaïd qu’Yves Jego n’ont accepté nos demandes d’interview. Les seules réponses, assez générales, ont été fournies par la nouvelle directrice de la communication du groupe Avec.
La notion d’apport comporte, en droit des associations, certaines particularités :
l’apport n’est pas un don : l’apport d’un bien (somme d’argent, meuble ou immeuble) implique une contrepartie mais une contrepartie morale (exemple : l’affectation du bien apporté à un objectif déterminé par l’apporteur, la qualité de membre de droit conférée à celui-ci...) ;
l’apport n’est pas un prêt : il s’analyse généralement comme la transmission de la pleine propriété (c’est-à-dire la propriété complète, par opposition à la nue propriété ou à l’usufruit), ou, parfois, de la simple jouissance d’un bien (c’est-à-dire le droit d’utiliser la chose et, le cas échéant, d’en percevoir les fruits), avec l’ensemble des composantes du droit de propriété : « l’usus », c’est-à-dire le droit d’utiliser le bien ; le « fructus », ou les fruits, c’est-à-dire le droit d’en tirer des revenus, et « l’abusus », c’est-à-dire le droit d’en disposer, donc de le vendre ou de l’hypothéquer. Il se peut également que l’apporteur conserve la propriété du bien mais qu’il ne transmette à l’association que l’usufruit (l’usage et les fruits) ou la jouissance de celui-ci.
L’apport peut être assorti de charges (exemple : obligation d’entretien par l’association du bien apporté) ou d’une condition expresse d’affectation (exemple : obligation d’affecter un château à l’hébergement de jeunes en difficulté). Si elles sont déterminantes du consentement de l’auteur de l’apport, le non-respect de l’une ou l’autre par l’association met fin à l’apport. Celui-ci devenu caduc, il doit revenir dans le patrimoine de l’apporteur.