[ Loi immigration ] La France n'est plus une démocratie parlementaire
La censure du Conseil constitutionnel n'est qu'un nouvel épisode dans la marginalisation du parlement, donc de la représentation nationale, donc du peuple français.
S’il y avait encore un doute quant à savoir si la France avait encore sa place au rang des démocraties parlementaires, la censure du Conseil constitutionnel de la loi relative à l'immigration vient de le lever. Nous ne nous pencherons pas là sur le fond de la question, les dispositions de la loi immigration, mais sur les contorsions politiques de plus en plus grossières pour s’assurer que ne passe pas la version amendée par le parlement, celle qui a été adoptée par les deux chambres.
Rappelons que c'est à la demande notamment d'Emmanuel Macron que le Conseil constitutionnel a été saisi. Et que ce sont les dispositions voulues par la droite républicaine et votées au parlement histoire de s'affranchir d'un énième 49-3 (pour le conserver en réserve car un seul 49-3 est autorisé par session) qui ont sauté.
Petite bizarrerie : sur ces 35 articles, le Conseil constitutionnel a considéré que 32 étaient des cavaliers législatifs, des dispositions sans lien avec le projet de loi. Ainsi donc, le délit de séjour irrégulier, le projet de regroupement familial, la déchéance de nationalité n'ont pas de lien avec un projet de loi sur l’immigration... L’article 45 de notre Constitution stipule pourtant que tous les amendements adoptés par le parlement sont recevables, qu’ils aient un rapport direct ou indirect avec le texte considéré.
Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel responsable mais pas coupable dans l'affaire du sang contaminé, veut nous faire croire qu'il ne s'agit pas d'une décision politique... Même malaise lorsque les Sages avaient validé l'essentiel d'une réforme des retraites promulguée sans que le texte n'ait été soumis à un vote de l'Assemblée nationale et ce, malgré les engagements du gouvernement... Est-il besoin de rappeler enfin l’inique passe sanitaire qui a “porté atteinte à l'unité de la nation ou à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ceux-ci .” (citation extraite du texte de l’ordonnance du 26 août 1944 portant sur l’indignité nationale).
Le Conseil constitutionnel s’est conféré de jure à lui-même par sa décision du 16 juillet 1971 le droit de légiférer à la place du législateur. Jusqu’alors, il ne pouvait procéder au contrôle de constitutionalité que stricto sensu, sur la seule base de son texte et de son préambule. A partir de 1971, par la création du bloc de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel peut choisir d’intégrer ce que bon lui semble dans ce bloc de constitutionnalité, y compris des textes qui n’ont rien à voir avec l’organisation des nos institutions, la séparation des pouvoirs et les libertés fondamentales. Comme la charte de l’environnement ou le principe (délirant) de fraternité. Ceux qui nous dirigent se sont ainsi assuré que rien ne puisse changer - donc de conserver le pouvoir - même si la majorité des Français, par la voix leurs représentants ou par voie de référendum, en décident autrement.
Décision juridique ? Voyons voir la composition du conseil des Sages.
Sur ses neuf membres, on compte à côté de trois hauts fonctionnaires, cinq politiques dont Alain Juppé, premier homme politique condamné et inéligible à entrer au Conseil constitutionnel. L'ex-maire de Bordeaux avait été nommé par Richard Ferrand, l'ex-président de l'Assemblée nationale qui, lui, avait échappé aux poursuites judiciaires dans l'affaire des mutuelles de Bretagne. L'affaire avait été classée sans suite par le procureur général de Brest, supérieur hiérarchique du procureur : Véronique Malbec. Laquelle est la 9e Sage du Conseil constitutionnel – et le seul magistrat au Conseil constitutionnel – nommé par … Richard Ferrand. Et tout ce petit monde est nommé à parité, soit par le président de la République, soit par le président de l'Assemblée nationale, soit le président du Sénat. Autant gérer les affaires en famille, politique.
Ainsi donc, une nouvelle fois, l'Assemblée nationale et le Sénat ont-ils été renvoyés, non pas au rôle de chambres d'enregistrement mais à ceux de simple spectateurs. Dont l’agitation sur les bancs des hémicycles cache mal l'impuissance voire la soumission à l'exécutif. Arène aussi secondaire que fantoche ? C’est manifestement la vision d’Emmanuel Macron quand, le 14 juin 2020, en marge de la crise sanitaire, le chef de l’Etat a eu ces mots.
“Le premier ministre et le gouvernement ont travaillé d’arrache-pied, le parlement s’est réuni (mais n’a pas délibéré, ndlr), l’Etat a tenu, les élus de terrain se sont engagés”.
Voir aussi la farce des dix-huit motions de censure – qui ont toutes échoué – quand l'exécutif a multiplié les claques à la représentation nationale, donc au peuple. 49-3 en pagaille, premiers ministres (Elisabeth Borne et Gabriel Attal) se défaussant du vote de confiance sans parler d'un recours massif et inédit aux ordonnances, ces lois émanant de l'exécutif donc promues sans débat parlementaire et contradictoire au motif officiel qu'il faille presser le pas. Dans les faits, cela ne se passe pas tout à fait comme cela 1.
Entre 2017 et 2022, le nombre d'ordonnances publiées (773) a tout simplement doublé par rapport à la période précédente faisant d'Emmanuel Macron le président qui a eu le plus recours à ce qui n'est ni plus ni moins qu'une procédure législative déléguée. Rappelons qu'elle est soumise à autorisation du parlement... De la sorte que si on ne dispose plus que d'un moignon de représentation nationale faisant théâtre c'est aussi parce que ses représentants y sont aussi un peu pour quelque chose.
En attendant , on a hâte de voir le sort qui va être réservé au projet de loi sur la souveraineté énergétique – texte vidé de son volet programmation et donc de tout objectif chiffré – dont l’examen par le parlement a été maintes fois repoussé.
Présenté comme un moyen rapide d’appliquer un programme gouvernemental en s’affranchissant « d’obstacles » parlementaires, « les délais nécessaires pour légiférer par ordonnances seraient en moyenne plus longs que ceux nécessaires pour adopter une loi », souligne un rapport du Sénat. Il fallait en moyenne 250 jours pour adopter une loi au parlement au cours de la session 2020-2021 contre 466 jours pour la publication d’une ordonnance.