[ Crise sanitaire ] Loïc Hervé : "ce passe, on le verra réapparaître à d’autres fins "
La gestion de la crise du Covid a ouvert la porte de l'atteinte aux libertés publiques comme méthode de résolution de crise. Sans que le retour en arrière soit assuré.
Pour le sénateur de Haute-Savoie et vice-président des Centristes Loïc Hervé, membre de la commission des lois et de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), la gestion de la crise sanitaire a révélé, derrière l’appauvrissement du débat public, l’acceptation par de nombreux Français et de nombreux élus d’un mécanisme fait d’accommodements successifs, conduisant à fracturer les libertés publiques. Avec le risque d’un impossible retour en arrière si le parlement et notamment le Sénat ne s’empare pas de ces questions après les élections.
Comment jugez-vous l’action et la réaction du Sénat quant à la gestion de la crise sanitaire ? Que ce soit à l’Assemblée nationale ou dans une moindre mesure au Sénat, le parlement a surtout tenu le rôle de chambre d’enregistrement…
Au Sénat, il y a eu un choix de la majorité sénatoriale à laquelle j’appartiens de ne pas contester les options prises par le gouvernement. On est allé d’accommodements raisonnables en accommodements raisonnables, sachant que chaque fois, les garanties du gouvernement de ne pas faire ont servi de marche-pied à l’étape suivante. Il faut se rappeler Olivier Véran disant “on ne vous demandera jamais le passe pour aller boire un café”. Trois mois après, ils le demandaient. Puis “on n’ira jamais à la vaccination obligatoire”… pour voir que le passe vaccinal est une forme d’obligation vaccinale qui ne dit pas son nom !
Je fais partie des quelques-uns qui se sont opposés à cette idée-là, avec Alain Houpert, Sylviane Noël, Laurence Muller Bronn… On était un certain nombre dans la majorité à dire que l’on allait trop loin.
Mais ce n’est pas le passe vaccinal en lui-même qui m’inquiète le plus. C’est le fait que l’on ait inventé ce mécanisme, qu’on l’ait expérimenté grandeur nature et que, finalement, les Français s’y sont accoutumés. L’accoutumance sociale est réelle. Quand vous voyez des personnes porter le masque aujourd’hui et dire qu’elles le font pour se protéger elles-même, cela n’a aucun sens ! Le masque dans la rue n’a aucun sens, tout le monde le sait.
Le parlement n’a pas fait son travail selon vous ?
Pour moi, un parlement éclairé, c’est un parlement qui pose des limites claires et qui ne transige pas. Le Sénat gardien des libertés publiques, ce n’est pas que dans les livres !
Quand Gérard Larcher bloque la déchéance de nationalité de François Hollande pour des raisons notamment de libertés publiques, de conventionnalité, de droit des apatrides, etc, on est dans notre rôle. Quand on créé au début de la crise Covid des exigences de clause de revoyure, on est dans notre rôle. Mais sur la dernière période, je pense que l’on est allé trop loin.
Et ce passe, on le verra réapparaître à d’autres fins. L’outil existe, les Français l’ont admis et même si on arrivait à prouver rationnellement que ça n’avait aucun sens d’avoir un passe vaccinal dans un restaurant et qu’on pouvait se contaminer entre vaccinés – je l’ai moi-même vécu à Noël – il y a une espèce de doxa.
Sans parler des accusations. Je ne suis pas antivax, je ne vais d’ailleurs pas sur ces questions du vaccin parce que je ne les maitrise pas ou très peu. Je parle de libertés publiques. Une personne qui est gravement malade, le chirurgien va lui demander son accord avant tout acte…
C’est un acte médical la vaccination…
La vaccination est évidemment un acte médical qui suppose le consentement éclairé de la personne ! On a quand même fait tomber tout un tas de grands principes !
Et on est très loin de la totale transparence. Une pétition de 700 scientifiques adressée au Sénat réclame que soit ouverte une commission d’enquête parlementaire sur les effets secondaires. Où en est-on ?
Les commissions d’enquête parlementaire sont très encadrées. Pour l’instant, il n’y a pas de commission d’enquête parlementaire sur les effets secondaires des vaccins. Le Sénat ne siège pas actuellement et je n’ai pas connaissance d’une décision explicite du Sénat ou d’une commission disant “on ne va pas le faire” 1.
Par contre, il y a eu une enquête parlementaire sur la gestion de la Covid. Où les rapporteurs parlementaires ont même pointé du doigt l’inefficacité du passe vaccinal par exemple.
Cette commission d’enquête parlementaire a du coup débouché sur quoi, juridiquement ou politiquement ?
Sur rien…
Comme beaucoup de commissions d’enquête parlementaire non ?
Oui… Enfin, Benalla ou Mac Kinsey ont débouché sur quelque chose 2. Là, je pense que l’on aura nécessairement dans les années qui viennent une nécessité d’aborder ces sujets-là. On ne peut pas ne pas les aborder.
On a tenu tellement de discours contradictoires… Cette affaire du Covid, c’est pendant deux ans, la gestion de la pénurie. On n’a pas de masque ? Le masque n’est pas obligatoire. On en a ? Il devient obligatoire. On n’a pas de vaccins, de blouses, pareil… C’est une mauvaise gestion de la pénurie.
Et souvent la variable d’ajustement a été les libertés publiques. Les libertés publiques sont devenues le moyen de juguler la crise. Mais quand revient-on à la normale ? Quand est-ce que ce mécanisme s’arrête ?
C’est toute la question de l’Etat de droit contre le droit de l’Etat…
Et on a en quelques mois atteint la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’aller et venir, le secret médical, l’essentiel des droits des Français. Même sur des questions de liberté d’expression. Quand j’entends “loi anti-fake news”… Je n’ai pas d’amour pour les fake news, je les combats comme tout le monde ! Mais on ne combattra jamais les fake news par l’interdiction. De même, la censure par l’automatisation des plates-formes numériques est extrêmement préoccupant parce que l’humour sera interdit, toute analyse un peu divergente sera interdite.
Ce mode de pensée un peu “unique” on le voit aussi avec la guerre en Ukraine… C’est le même schéma
Oui, c’est pareil. Je ne comprends pas le choix qui a été fait d’interdire RussiaToday en Europe. C’est un média qui ne m’intéresse pas mais je ne vois pas l’intérêt dans l’Union européenne d’interdire un média. Surtout que la conséquence a été immédiate : la Russie a fermé la BBC et un certain nombre de médias occidentaux. Je ne suis pas sûr qu’on combatte les ennemis de la liberté en restreignant les libertés. Et rien que le fait de poser la question fait de vous un pro-Poutine, que je ne suis pas.
« J’ai une obsession : je souhaite qu’on expurge le droit français du droit d’exception qu’on a créé pendant la crise »
Cela a surtout révélé chez beaucoup de nos compatriotes et chez de nombreux élus, y compris dans la majorité parlementaire, une culture de l’histoire des libertés publiques qui est extrêmement faible. Les libertés publiques en particulier en France et en Europe occidentale sont des combats de long terme. Les libertés les plus essentielles sont le fruit d’un combat, d’une histoire parfois sanglante et accepter ce retour en arrière, c’est un peu la servitude volontaire de la Boétie. C’est accepter un “petit” renoncement pour une bonne cause. On peut faire ça pour plein de choses. Demain, une crise sociale, une crise économique, une crise internationale le justifiera.
C’est selon vous un engrenage dans lequel on a mis le doigt ? Cela dit, cela procède d’un délire paranoïaque…
Je vais donner un autre exemple. Je suis un Européen convaincu, je suis même un fédéraliste. Je pense que les fédéralistes aujourd’hui critiquent autant la construction européenne actuelle que ceux qui se disent souverainistes. Et ce débat-là qui était le débat de Maastricht en 2005, il n ‘existe plus aujourd’hui.
Je suis contre l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne et je pense qu’il faut le dire, maintenant. Il ne faut pas attendre. La Turquie est toujours candidate, elle ne rentrera certainement pas.
Ce débat existe-t-il au Sénat ?
Le Sénat ne siège plus pendant quatre mois mais ce débat, il faudra le mener après. C’est indispensable. Il faut dire à la Russie que l’UE ne souhaite pas l’entrée de l’Ukraine. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas être bons voisins. Cela ne veut pas dire qu’on est d’accord avec l’invasion russe mais il faut être clair. L’Otan, c’est pareil. Poser cette question-là vous fait passer pour un pro-Poutine militant alors que c’est juste une question de clarté du message.
Quand on laisse la porte ouverte, ça peut faire claquer la fenêtre et faire péter la vitre ! Il y a eu la Géorgie en 2008, aujourd’hui l’Ukraine …
Si vous regardez la carte européenne aujourd’hui, est-ce que des pays du Caucase du type Arménie, Géorgie peuvent à un moment donné rentrer dans l’Union européenne ? Je pense que non. D’autant que la question balkanique n’est pas du tout réglée entre la Macédoine du Nord, la Serbie, le Kosovo, l’Albanie et le Monténégro… Pour entrer dans l’UE, il ne faut pas être en conflit avec ses voisins.
Je suis président du groupe d’amitié France-Bulgarie. On a un vrai sujet entre la Macédoine du Nord et la Bulgarie. Pour la sécurité en Europe, ce qui est plus difficile à envisager aujourd’hui, la relation entre la fédération de Russie et l’Union européenne était une question pour la sécurité du continent absolument fondamentale. J’espère que le Sénat aura dès le mois de juillet la possibilité de remettre le sujet sur la table.
Sur le Covid, je veux aussi qu’on fasse le bilan. Et moi, j’ai une obsession : je souhaite qu’on expurge le droit français du droit d’exception qu’on a créé pendant la crise. Un droit d’exception, cela s’abroge. Il y a l’accoutumance des Français à ces mesures, et c’est un vrai problème. Mais il y a aussi l’évaporation dans le droit positif, dans le droit courant, de mesures qui devaient être par définition réservées au droit d’exception.
Quand bien même on dit que le passe vaccinale tombera avec le 31 juillet 2022, il faut qu’il tombe vraiment et qu’on ne puisse pas le mettre en vigueur autrement que par la loi.
Ou qu’on ne puisse pas le mettre en vigueur pour les émissions de CO2 notamment…
Un passe vert… Le crédit social, c’est formidable, mais c’est un nouveau moralisme. Les nouveaux moralistes, ce ne sont pas les cathos ! Les nouveaux moralistes, ce sont les écolos. C’est ceux qui vous expliquent comment il faut vivre ! Il y a une espèce de relation au bien et au mal qui en politique ne devrait plus exister. Je ne suis pas parlementaire pour définir le bien et le mal. Je vais à l’église pour ça.
Le droit est fait pour dire ce qui est interdit. Tout ce qui n’est pas interdit est par définition autorisé.
Olivier Veran m’a dit dans une réunion à Annecy, devant témoins : “Loïc, tu auras des morts sur la conscience”. C’est ça aussi le nouveau moralisme, et le recours à la culpabilisation.
Sur l’Ukraine comme sur la Covid, on voit aussi cette consommation extrême de prêt à penser, qui vient de think tank, de cabinets de conseils…
Je pense qu’il y a des gens qui ont volontairement débranché leur cerveau dans la période en disant “on passe la période, ça nécessite quelques accommodements” qu’ils ont estimé raisonnables – que moi j’estime complètement déraisonnables. C’est le cas chez un certain nombre de parlementaires mais c’est aussi le cas du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel.
Et puis il y a la question de la culture historique des libertés et, derrière, le rapport des élus à leur mandat. La question est de savoir pourquoi ces élus sont là. Moi je sais pourquoi je suis là. Et je suis prêt à perdre mon mandat sur mes idées. Ce type de position suppose une intransigeance que certains élus ne sont pas prêts à avoir.
Il faut aussi que l’on retrouve une culture du débat. Moi je m’enrichis de la contradiction, du débat politique, de la divergence. Or, il y a un réel appauvrissement du débat politique français.
Européen aussi…
A un moment donné, il faudra que l’on ait un débat sur l’Europe. La crise ukrainienne pose des questions, de manière globale aussi, sur le devenir de la construction européenne : qu’est ce que l’on veut faire de ce continent ? Est-ce qu’on décide d’exister à l’échelle mondiale comme une puissance ou pas ? Et comment ? On est un marché…
Périphérique la puissance. Qui s’est aujourd’hui déplacé du côté de la Chine.
Vers le pacifique, oui…
Le Sénat aurait pu être convoqué pour discuter des sanctions contre la Russie… Ça n’a pas été fait ?
On a eu un débat, puis le président Zelensky mercredi (le 24 mars, ndlr). Mais je pense que d’ici le 10 juillet on aura d’autres moments. Si le Sénat ne siège pas pendant quatre mois, les commissions si.
Par exemple, en matière de droit, qu’est-ce qui permet à un pays comme la France qui n’est pas en guerre contre la Russie de geler les avoirs de la banque centrale russe ? Cela ne s’est jamais vu, même durant la Seconde guerre mondiale !
Je suis pour l’arrêt de la guerre. Je vois aussi qu’il y a des relations très étroites entre ces deux pays (la Russie et l’Ukraine, ndlr) qu’on ne maitrise pas. Les clés de lecture du monde slave, on ne les a pas en Europe occidentale. On a une vraie inculture historique. En plus, dans cette région-là, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale est totalement prégnant.
Je suis d’accord avec Sarkozy pour dire que la seule voie est diplomatique. C’est la voie la plus compliquée, la plus étroite et qui posera des contreparties.
Zelensky je l’ai trouvé courageux de s’adresser aux différents parlements mondiaux dans cette période-là. Mais sur le fond, la culpabilisation des acteurs économiques français n’est pas acceptable.
Il n’y a pas eu de débat à ce sujet où le Sénat a été associé ?
Non, il y a eu un débat sans vote au moment de l’invasion fin février – c’est l’article 51 de la Constitution – où le premier ministre puis les différents ministres ont pu s’exprimer, et où les orateurs des groupes ont pu aussi s’exprimer. Aujourd’hui, la seule expression parlementaire ce sont des expressions médiatiques. Mais les questions internationales relèvent de la compétence et de la prérogative de l’exécutif. Le reste c’est pour moi de la gesticulation parlementaire. Il ne faut pas faire croire à un pouvoir que le parlement n’a pas.
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) saisi le 9 février par la commission des Affaires sociales du Sénat, afin de réaliser une étude sur les effets secondaires des vaccins contre la Covid-19, a le 22 février, décidé de confier cette étude aux quatre rapporteurs qui travaillent depuis plus d’un an sur l’épidémie de Covid-19 : les députés Jean-François Eliaou (LREM) et Gérard Leseul (PS) et les sénatrices Sonia de La Provôté (Union centriste) et Florence Lassarade (Les Républicains). Réponse apportée par le Sénat le 25 mars 2022, jour de l’interview de Loïc Hervé.
Une enquête a été ouverte par le parquet national financier pour l’affaire Benalla. Pour Mac Kinsey, le Sénat a saisi la justice pour suspicions de faux témoignage.
Tout à fait d’accord avec ta façon de penser et d’envisager l’avenir !!
Il est clair qu’il sera impératif de faire sauter ce pass Sanitaire inique et peu judicieux
Et revoir notre façon de penser la mini guerre Ukr/vs/Russia
De même il ne faut pas chercher a contraindre Poutine car l’effet escompté sera inversement proportionnel dans l’autre sens et on en sortira pas
Ce dont les Diplomates qui doivent traiter de ces sujets et uniquement eux !!
Les politiques Français sont nuls en politiques étrangères donc qu’ils laissent faire ceux qui savent le faire
Bravo pour ton engagement à faire revenir la Confiance dans notre pays
Michel Dalliere