Niger : les raisons de la colère
Une source militaire de haut niveau, familière avec le Niger et le Sahel, nous a transmis son analyse sous couvert d'anonymat. Pas vraiment ce qu'on entend dans la presse en France.
Le coup d’État qui a eu lieu au Niger les 26 et 27 juillet s’est déroulé sans violence. Après quelques hésitations, il a rallié l’ensemble des forces de sécurité du pays. Ce qui est également étonnant, c’est que les principaux personnages qui sont apparus sont des officiers supérieurs parfaitement installés dans le dispositif politico-sécuritaire du pays. Ils ne représentent ni une partie de l’armée comme au Mali, ni le soutien de l’aventure personnelle de quelque officier subalterne, comme au Burkina.
Ainsi, le “président du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie” est le général Tchiani Abdourhamane, commandant depuis douze ans la Garde républicaine. C’est un des fidèles de l’ancien président Mahamadou Issoufou, maintenu à son poste par son successeur Mohamed Bazoum, qu’il vient de déposer. Les relations s’étaient dégradées ces derniers mois.
Le chef d’Etat major général a rejoint les officiers auteurs du coup d’État ainsi que le général Mahamadou Toumba, numéro deux de l’armée de terre et commandant l’opération conjointe avec la force française.
Parmi les mutins, on trouve le colonel Ahmad Sidi, numéro deux de la Garde nationale (chargée de la sécurisation de tous les sites étatiques), le colonel Abdoulkarim Hima, numéro deux de la gendarmerie, le général Salifou Mody, ancien chef d’état-major des Armées, limogé en avril dernier. Le colonel Amadou Abderamane, le porte-parole, est un officier de l’armée de l’air.
D’après la première déclaration du président du CNSP, il semble que la principale motivation du coup de force soit de mettre fin à la mauvaise gouvernance sécuritaire contre les groupes armés terroristes.
Le Niger a la particularité de faire face à deux types de menaces terroristes :
Celle des groupes armés islamiques venant du Mali (Etat Islamique dans le grand Sahara essentiellement) et agissant dans la partie nigérienne de la zone des trois frontières (Mali-Niger-Burkina Faso) dans la région de Tillabéry
Celle de Boko-Haram dans le Sud-Est du pays, aux abords du lac Tchad et à la frontière nigériane.
Les principaux griefs contre Mohamed Bazoum, énoncés par le nouveau président du CNSP, sont les suivants :
Le refus de Mohamed Bazoum de coopérer militairement avec le Mali et le Burkina Faso, alors que les groupes armés évoluent entre les trois États.
Les nombreuses pertes humaines (militaires et civiles) dues à cette situation.
La libération de plusieurs chefs terroristes sur décision de Mohamed Bazoum.
Le soutien de milices dans le seul but de défendre les propres intérêts des gens au pouvoir1
En revanche, le général Tchiani Abdourhamane évoque favorablement, dans sa déclaration, le soutien des partenaires étrangers (France et États-Unis en l’occurrence) dans la lutte anti-terroriste, et appelle les Partenaires Techniques et Financiers (PTF) à continuer à aider le Niger.
Commentaires :
Le Niger est le pays qui a le mieux résisté aux conséquences désastreuses de la disparition de Kadhafi en gérant, par le palabre, le retour des Touaregs nigériens (contrairement à ce qui s’est passé au Mali). Il reste malgré tout le pays de la région qui doit faire face à deux menaces terroristes sur deux “fronts” différents.
C’est également le pays le plus sollicité par les effets collatéraux de l’émigration de milliers de clandestins de la sous-région en direction de l’Europe, transitant par Agadez. Il est aidé en cela par l’Union européenne. Il récupère également des milliers de sub-Sahariens, reconduits à la frontière, en plein désert par l’Algérie. Mais le Niger est également classé dernier (189ème) avec un score de 0,354 (France : 0,903, 28ème), au palmarès de l’indice de développement humain du PNUD (programme des Nations unies pour le développement).
Dans ces conditions, les militaires nigériens ont très mal supporté de ne pouvoir coopérer avec leurs camarades au pouvoir au Mali et au Burkina, avec lesquels Mohamed Bazoum refusait de dialoguer, pour apparaitre comme un bon démocrate, vis-à-vis de l’Occident. Or, la création du G5 Sahel en 2015, voulu par la France, avait justement pour but de favoriser la coopération régionale dans le cadre de la lutte anti-terroriste… Il ne faut pas perdre de vue que tous ces hauts responsables militaires de la région se connaissent très bien.
La politique de “dialogue” voulue par Mohamed Bazoum, et qui s’est traduite par la libération de jihadistes “pour pouvoir parler”, n’a visiblement pas plu aux militaire nigériens.
Mohamed Bazoum, qui est d’une tribu arabe, est très minoritaire dans le paysage ethnique du Niger; ce qui reste dans cette région un handicap important, surtout si l’accusation lancée par les putschistes, d’entretenir des milices au profit de ses intérêts, est avérée.
Il semble, selon des contacts touaregs en France, que l’ancien président Issoufou ne soit pas étranger à ce putsch. Mohamed Bazoum aurait, selon eux, poussé trop loin la moralisation de la vie publique, ce qui aurait porté atteinte aux intérêts personnels de l’ancien président et de ses fidèles (mais cela reste à vérifier). L’ex-président Issoufou, qui a obtenu le prix Mo Ibrahim en 2020 (qui récompense la bonne gouvernance dans les pays les moins avancés), avait pour ambition d’accéder au poste de Secrétaire général des Nations Unies. Il a malheureusement été rattrapé par des accusations de corruption (rétrocommissions) dans la vente de 2 500 tonnes d’uranium à Orano en 2011.
Le site MondAfrique traite du jeu trouble de l’ex-président Issoufou dans le coup d’État.
Au Niger, comme ailleurs dans la région, l’image de la France s’est dégradée : émeutes très violentes contre Charlie Hebdo, difficultés récurrentes avec Orano (ex-Areva), échec de Bolloré dans la construction de la ligne de chemin de fer Niamey-Cotonou (la ligne s’est arrêtée à Dosso), réécriture récemment des paroles de l’hymne nigérien pour le “décoloniser”.
Conclusion provisoire :
Il est certain que les Russes ne manqueront pas de profiter de la situation.
Les Chinois exploitent déjà le pétrole nigérien, et vont reprendre le chantier du chemin de fer vers Cotonou.
La France a déjà condamné le coup d’État, commence à évacuer ses ressortissants, ce qui fermera le pays et posera un problème à nos opérations militaires dans la région. Il est peut-être temps de revoir notre position vis-à-vis des cinq états du G5 Sahel, désormais tous dirigés par des militaires, auxquels on peut rajouter la Guinée présidée par un ancien de la Légion étrangère, également arrivé au pouvoir par un putsch !
La difficulté pour la France repose dans l’équation suivante :
Premier terme :
L’Afrique du Nord (Maghreb + Libye) et les États sub-sahariens constituent le réservoir potentiel de la majorité des migrants, clandestins ou non, qui cherchent à gagner l’Europe, et la France en particulier (pays francophones disposant déjà d’une importante diaspora en France). L’Office International des Migrations estime à 3,5 millions le nombre de migrants légaux en France provenant de ces pays, auxquels il convient de rajouter les clandestins (500 000 ?). Les récentes émeutes en France ont montré qu’une fraction des Français naturalisés originaires de ces pays constituent, en plus, une “difficulté” d’intégration pour leur pays d’adoption.
Les mesures visant à contrôler ou à réguler cette immigration ont montré et montreront (sauf un changement fort improbable de méthode) leur limites, voire leur inefficacité.
Les solutions envisageables passent par une relation sincère avec les pays d’origine, visant à limiter les départs vers l’Europe, à renvoyer les migrants illégaux dans leur pays d’origine.
L’accompagnement de cette relation consiste en une coopération d’aide au développement qui encourage les populations à envisager un avenir dans leur pays. En gardant cependant à l’esprit qu’une bonne partie des migrants est constituée de personnes ayant eu accès à l’aide au développement, ce qui leur a permis d’élever leur niveau d’éducation (une certaine maitrise de la langue) et de réunir les sommes nécessaires pour tenter l’aventure.
Deuxième terme :
Les pays de cette zone (Maghreb + Libye + États sub-sahariens), sont très majoritairement musulmans et subissent depuis plus de trente ans, la menace d’un islamisme radical violent. Ceci s’est traduit par des dizaines de milliers de mort en Algérie, Tunisie, Libye, Mali, Niger et Burkina Faso et a nécessité, s’agissant du Mali, du Niger et du Burkina Faso, une intervention militaire directe de la France en combinaison avec l’ONU et d’autres alliés occidentaux.
L’arrêt de ces actions militaires risque d’avoir pour conséquence soit l’intervention d’autres partenaires (Russie en particulier), soit la victoire des groupes armés terroristes et l’instauration de régimes islamistes, soit les deux.
Troisième terme :
S’agissant des pays sub-sahariens, la combinaison de la coopération de développement et de l’appui militaire dans la lutte antiterroriste a donné des résultats très insuffisants, ne permettant ni le décollage économique de ces pays, ni la réduction des flux migratoires, ni le renvoi des clandestins vers leur pays d’origine, ni la réduction des groupes armés terroristes. Quant aux pays du Maghreb, malgré l’amélioration des situations sécuritaires, le développement économique stagne et l’émigration vers la France augmente alors que le retour chez eux des clandestins reste anecdotique.
Et maintenant ?
Nos relations sont exécrables avec l’Algérie, difficiles avec le Maroc, incertaines avec la Tunisie, anecdotiques avec la Libye, inexistantes avec le Mali, le Burkina Faso et désormais le Niger. Elles demeurent satisfaisantes avec la Mauritanie et le Tchad, qui reste un pays au régime cependant infréquentable selon la morale politique en cours (mais qui ne subit pas encore de violence islamique, et ne fournit que très peu d’immigrants vers l’Europe).
Dans ces conditions, peut-on faire face à la menace de l’extrémisme violent dans ces pays et restreindre les flux migratoires en provenant ? La réponse est non.
Le choix est donc entre laisser-faire, contempler la dégradation des conditions d’existence dans ces pays, laisser Russes, Chinois et Turcs jouer avec notre propre sécurité ou accepter de reprendre contact avec des gouvernements provisoirement non élus, mais qui ne se montrent d’ailleurs pas plus corrompus ni violents que leurs prédécesseurs “démocratiquement élus”.
Il existe au Niger de nombreuses milices villageoises, tolérées pour défendre les populations, travaillant parfois avec l’armée, subissant souvent de lourdes pertes et parfois responsables de grandes violations des droits de l’Homme.