Nos forêts brûlent et l'Etat regarde ailleurs
C'est la gestion de la forêt, publique comme privée, qui est en cause. L'abandon de l'Etat est de plus en plus patent.
Il est des coïncidences dont le gouvernement se passerait bien. Alors que les incendies se multiplient un peu partout en France, l’Office national des forêts (ONF), l’établissement public qui est censé protéger la forêt, est toujours sans patron.
Le 31 mars, son directeur général, Bernard Munch, a été à son tour – l’instar de son prédécesseur Christian Dubreuil pour peu ou prou les mêmes raisons – limogé en conseil des ministres. Officiellement pour “maltraitance managériale”. Moins officiellement, il se dit que l’ancien préfet de Paris n’entretenait pas des relations les plus cordiales avec les chasseurs. Lesquels ont été chouchoutés et abondamment financés par Emmanuel Macron en vue de la présidentielle, mais ne nous égarons pas, c’est un autre sujet…
Voyant l’affaire potentiellement embraser une assemblée nationale chauffée à blanc où il est minoritaire, le chef de l’Etat a annoncé son intention de nommer rapidement un nouveau patron. Alors que c’est la prérogative du gouvernement. Est pressentie pour prendre la tête de l’ONF Valérie Metrich-Hecquet, mais pas avant la mi-septembre, le temps que le parlement se prononce sur sa candidature.
Nouvelle étincelle qui va bouter le feu aux broussailles? Alors que les représentants du personnel de l’ONF n’en finissent pas depuis des années d’alerter sur les coupes sombres et incessantes dans les effectifs, alors qu’un rapport sénatorial sorti le 3 août préconise justement d’arrêter le sabrage, la candidature de Valérie Metrich-Hecquet devrait faire l’effet d’une douche froide, à défaut de lance d’incendie.
Car c’est elle qui, directrice générale de la Performance économique au ministère de l’Agriculture, a supervisé la suppression inscrite dans le dernier contrat d’objectifs et de moyens signé entre l’Etat et l’ONF, de 500 nouveaux postes d’ici 2025 comme le soulignait Le Canard Enchainé.
Ce n’est qu’une coupe de plus. En vingt ans, l’ONF a été élagué de près de 5 000 postes. Quatre emplois sur 10 sont partis en fumée. De 12 866 personnels en 2000, l’ONF est passé à moins de 8 000 en 2020, a compté l’intersyndicale du personnel, qui s’insurge de telles tailles alors que les missions se multiplient et, surtout, se complexifient.
« Le dérèglement climatique et le dépérissement des forêts vont nécessiter de plus en plus de travail : suivi sanitaire et renouvellement des peuplements forestiers », souligne-t-elle.
Car si la forêt brûle, ce n’est pas à cause du dérèglement climatique. L’évolution du climat, contre laquelle on voit bien factuellement, de Cop en Cop, que l’on ne peut pas grand chose, c’est surtout l’arbre qui cache la forêt.
« Notre gestion de la végétation joue aussi un rôle important », soulignait Alexander Held (European Forest Institute) en 2018 dans Le Temps. « C’est un facteur sur lequel on a peut-être plus facilement prise que sur l’évolution du climat. Il y a aujourd’hui plus de végétation disponible en tant que combustible. Et plutôt que d’adapter la gestion forestière et agricole, on se repose trop sur les services des pompiers ».
Si en trente ans, la végétation s’est étoffée, c’est d’abord parce que les forêts ne sont pas (assez) entretenues. Les sénateurs parlent d’une augmentation qui n’est que le « reflet de la gestion active lacunaire des forêts dans les territoires où les massifs ne font pas l’objet d’une valorisation touristique ou d’une exploitation agricole ».
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De fait, les quelques outils mis en place peinent à faire la démonstration de leur efficacité. Les plans simples de gestion (PSG), qui remontent à… 1963, devaient permettre de doubler la fréquence de coupe, conduisant donc à réduire la biomasse. L’idée à l’époque était de favoriser la gestion durable des parcelles pour faire face au défaut d’entretien. Problème : ces PSG ne sont obligatoires qu’à partir de 25 hectares.
« Les deux tiers de la forêt privée ne sont pas couverts par un PSG en raison du morcellement du foncier (3,5 millions de propriétaires) et de la complexité de la gestion (biens de section, forêt usagers, biens vacants et sans maitres) », soulignent les sénateurs.
Alors, rajouté à la déprise agricole et au déclin du pastoralisme, la gestion des forêts est devenue végétative. En vingt ans, la mortalité des forêts a triplé, passée de 3 à 9 millions de mètre cube par an, « atteignant dans certaines régions les volumes de bois “sain” qui devaient être prélevées, fragilisant notamment la forêt communale du Grand Est, de Bourgogne-Franche-Comté et d’Auvergne Rhône-Alpes ».
Entre 2008 et 2020, 300 000 hectares de forêts publiques (et on rappellera au passage que la forêt publique ne représente que 25 % des forêts en France…) ont été touchées par des dépérissements. Un phénomène moins visible et moins médiatique que les 50 000 hectares de forêts partis en fumée cet été.
C’est la quadrature du cercle. Car tout comme elle a pour mission de gérer les forêts publique, l’ONF doit faire respecter les modalités de gestion aux propriétaires privés, notamment autour des habitations. Des constructions qui ont progressivement grignoté du terrain sur… l’espace forestier, notamment sur le pourtour Méditerranée ou dans les Landes. Là où les massifs, constitués essentiellement de pins, peuvent s’embraser très rapidement.
« On a perdu 40 % de nos effectifs en vingt ans. On est moins de 8 000 aujourd’hui avec en plus des effectifs qui ne sont plus des fonctionnaires assermentés mais de plus en plus de contractuels de droit privé, qui ne peuvent pas faire ce travail de police, de surveillance et de prévention contre les incendies », alerte Patrice Martin, garde-forestier et secrétaire général du Snupfen Solidaires, le syndicat majoritaire à l’ONF.
De fait, les 500 postes qui doivent être supprimés d’ici 2025 devraient être remplacés par des prestataires extérieurs. Votée en 2020, la loi ASAP (Accélération de la Simplification de l’Action Publique) a en effet permis au gouvernement de modifier par ordonnance le code forestier, afin d’encourager le recrutement de forestiers de droit privé. Or on voit avec l’eau les résultats de 30 ans de privatisations.
A moins que la justice, saisie par les représentants du personnel de l’ONF qui contestent le dernier contrat d’objectifs et de moyens, ne retoque le document signé entre l’Etat et l’Office national des forêts, contre l’avis de toutes les parties prenantes sauf… l’Etat.
Il n’y a pas qu’avec le personnel que le torchon brûle. La fédération nationale des communes forestières (FNCOFOR) avec qui l’Etat et l’ONF contractualisent d’ordinaire, devrait passer une convention directement avec l’ONF cet automne après avoir refusé d’apposer sa signature au bas du contrat d’objectifs et de moyens signé en 2021, lassée des coups de hache dans le contrat et des promesses non tenues par l’Etat. Et notamment celles d’assurer la pérennité financière de son établissement public.
En 2012, pour gonfler le budget, très déficitaire, de l’ONF essentiellement assis sur les recettes de ventes de bois, l’Etat a augmenté subrepticement, de 2 à 14 euros et en cours de contrat, la taxe à l’hectare payée par les communes forestières. Volée de bois vert et marche arrière. Trois ans plus tard, la question du sous-financement n’est toujours pas réglée, malgré la promesse de ne pas réduire dans les effectifs de l’ONF en échange d’une augmentation de la vente de bois, l’Etat continue de manier la tronçonneuse.
Rebelote en 2021. Quelques heures avant le vote du dernier contrat, la FNCOFOR a appris que l’Etat avait décidé en catimini de faire payer aux communes, avant de rétropédaler une nouvelle fois, « 30 millions d’euros en plus sur trois ans dès 2023, sans concertation ».
Pour la FNCOFOR, la coupe est pleine. « On fait la Une quand ça brûle mais cela fait dix ans qu’on parle de stabiliser les postes et de sécuriser les emplois », abonde Alain Lesturgez, le directeur général de FNCOFOR qui aux côtés de l’association des maires ruraux a en juillet alerté à nouveau l’Etat sur l’urgence à renforcer le service public forestier.
« On demande le maintien sur le terrain de techniciens pour aider les collectivités à faire les bons choix. Aujourd’hui, faire de la prévision avec les incertitudes et le changement climatique, c’est compliqué. D’une région à l’autre, les changements sont très rapides ».
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