[ Santé ] Pas de médecin ? On va vous apprendre à vous en passer...
A Grenoble, le nombre de médecins exigeant le rétablissement de l'accès aux soins a doublé en une semaine. Remède à la pénurie de soignants en France ? Le gouvernement se prépare à les court-circuiter
Vous ne trouvez pas de médecin ? On va vous apprendre à vous en passer. Le 30 janvier, avec un sens de l’à-propos si ce n’est de la provocation bien (?) pensé, le ministre de la Santé doit, en même temps que ses vœux aux soignants, présenter les conclusions du conseil national de la refondation (CNR) santé.
Sans être rabat-joie, on doute fort que le grand raout de la concertation tous azimuts se solde par un plan Marshall à la hauteur de la situation. En Normandie par exemple, les premières conclusions sont tombées. Et elles donnent une idée de la voie empruntée. Et elle est loin d’être révolutionnaire.
La première idée est d’investir davantage dans la prévention et le sport préventif (sic). L’autre idée est de creuser la piste de l’exercice coordonné, sur le modèle médecin-infirmier-pharmacien, pour accélérer les délégations de tâches médicales. Bref, colmater la pénurie de soignants, au premier chef de médecins, sans rien faire pour réellement y remédier. Revoir à ce sujet la sortie d’Emmanuel de Macron en octobre 2020.
Alors que partout en France, les soignants multiplient burn-out et arrêts de travail, que des services entiers ferment à tour de rôle les uns après les autres (jusqu’à ce que ce soit tous ensemble), le gouvernement n’entend visiblement pas lâcher du lest.
Il y a une semaine, nous avions relayé, sous forme d’interview d’une de ses porte-paroles, l’appel d’un collectif de médecins sur le territoire de Grenoble.
Ils étaient alors 115 médecins et chefs de services à signer un appel pour réclamer plus de moyens, espérant un minimum d’engagements du chef de l’Etat.
Une semaine plus tard, leur nombre a doublé. Ils sont entre 220 et 230, toutes spécialités confondues, certains venus du libéral, à réclamer à Grenoble, Voiron et Saint-Egrève que soient rétablis les moyens pour soigner les patients. Mais leurs moyens sont limités. Et leur appel ce 26 janvier risque de passer inaperçu. D’abord parce que pour l’instant, il n’a pas (encore ?) essaimé plus loin que Grenoble. Ensuite parce que l’arrêt des soins, même hors urgences, est une gageure dans la profession.
Si, à l’hôpital de Voiron, des interventions ont été déprogrammées, qu’un happening est prévu dans la matinée dans le hall flambant neuf de l’établissement, si à Grenoble un rassemblement doit suivre en début d’après-midi, la forme et l’ampleur du mouvement font encore partie des inconnues.
“On n’arrive pas à se résoudre à l’arrêt des soins de façon aussi brutale”, reconnait le Dr Ara-Somohano, une des porte-parole du collectif de médecins signataires de l’appel. “On espère le début de quelque chose parce que, au-delà du constat partagé des difficultés, il n’y a aucune solution concrète qui se construit".
“Qu’on arrête de discuter ! Les malades meurent. On veut des lits, des bras et pour cela, des engagements”.
Pour l’instant, rien n’y fait. Pas même l’initiative électrochoc du Samu de France, qui tient le décompte des morts aux urgences faute de prise en charge : 40 depuis le 1er décembre, chiffre vraisemblablement loin de la réalité. Ni les appels à la grève des gardes des libéraux.
De fait, les rares mesures prises ou annoncées confinent au ridicule si ce n’est à la mascarade. Qu’est ce qui a été fait pour attirer les médecins, libéraux ou hospitaliers ? Pour former davantage d’élèves ? Pour faire revenir les infirmiers et aides-soignants ?
Le numérus clausus a été remplacé par un numerus apertus quasi aussi inopérant. La revalorisation du tarif de la consultation de médecine générale est toujours en discussion 1. Quant aux promesses pour la médecine hospitalière, elles se perdent entre annonces présidentielles d’une (pas nouvelle) fin de la T2A et d’une gouvernance partagée dont on voit mal comment elles pourraient représenter un regain concret d’attractivité d’une profession désertée…
France terre d’innovation ? Alors que la France ambitionne de redevenir le leader de la santé en Europe avec son plan à 7,5 milliards d’euros, la réalité est bien plus prosaïque à voir fleurir les cabines de téléconsultations dans les pharmacies.
De fait, en vingt ans, l’Hexagone a littéralement plongé. Sacrée meilleur système de santé au monde (foi de l’OMS) en 2000, la France est désormais devancée dans la plupart des classements par Singapour, le Japon, la Suisse ou les Pays-Bas.
Le reste à l’avenant. Le 19 janvier, l’Assemblée nationale a ainsi, et à l’unanimité, adopté la proposition de loi de la députée Renaissance et rapporteur générale du PLFSS Stéphanie Rist. Inspiré du modèle anglo-saxon, le texte qui doit être examiné par le Sénat le 14 février, prévoit un accès direct, sans prescription médicale, aux kiné, orthophonistes et aux IPA, les infirmières en pratique avancée à qui sont déléguées des tâches médicales.
Un raccourci qui fait bondir nombre de médecins, dans une réaction parfois assez corporatiste au risque d’occulter qu’à vouloir régler le problème en surface, et vite, la question de fond est à nouveau mise de côté.
Ce n’est pas la première fois que la députée du Loiret s’attèle au sujet. Stéphanie Rist a aussi donné son nom à la loi dont l’objectif est de plafonner les salaires alloués aux médecins intérimaires. Voté en 2021, le texte n’a jamais été appliqué. Mais il pourrait bien revenir sur la table ce printemps avec la publication du décret d’application.
Là aussi, l’intention est louable mais elle surfe aussi sur les réactions épidermiques et ne règle en rien le problème de fond, ne s’attaquant qu’aux symptômes. Tout en organisant l’irresponsabilité de l’exécutif. Comme le souligne Zaynab Riet, déléguée générale de la fédération hospitalière de France (FHF) sur What’s up doc ?
« La loi Rist fait peser la responsabilité financière et juridique de l’intérim sur le seul directeur d’établissement. Or ce dernier n’a pas de marge de manœuvre puisqu’il a la responsabilité d’assurer la continuité des soins. Les hôpitaux se retrouvent dans un dilemme impossible : soit fermer des lits faute de médecins, soit les maintenir ouvert en ayant recours aux intérimaires ».
Leur marge de manœuvre est d’autant plus étroite que les capacités d’auto-financement des hôpitaux rétrécissent à vue d’œil, du fait du manque d’activité faute de personnels mais aussi des reports de soins et d’interventions avec la crise sanitaire. Sans que les moyens alloués pour compenser soient à la hauteur.
“Avec la triple épidémie de cette fin d’année (covid, bronchiolite, grippe) l’hôpital public reste en crise et ne parvient pas à rattraper le retard de plus de 3,5 M de séjours qui n’ont pas été réalisés depuis mars 2020. Cela représente une carence d’activité de près de 20 semaines en cumulé depuis presque 3 ans, tant en médecine qu’en chirurgie, ce qui constitue une dette de santé publique”, souligne la FHF.
La quadrature du cercle ? A moins que l’intention au final soit ailleurs. Celle de l’adhésion à un lent délitement des services publics. A ce sujet, il faut relire le chapitre '“Moderniser l’Etat” de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques 2.
Et voir comment on assiste à une privatisation croissante – par insuffisance volontaire et restrictions budgétaires de l’Etat et dont on a vu le résultat sur l’eau puis sur l’énergie – des pans entiers de la santé. Plus aucune parcelle du territoire n’échappe à l’immixtion du privé et notamment depuis janvier 2008 et une ordonnance ouvrant la possibilité pour des entreprises à but lucratif d’exploiter des centres de santé 3.
A Pierrelatte, dans la Drôme, Ramsay Santé a ouvert son premier centre de santé où les médecins sont salariés. Le groupe, filiale française du géant australien Ramsay Health Care, possède les deux tiers des cliniques lyonnaises. Et engrange les bénéfices : 65 millions d’euros en 2020-2021 contre un peu plus de 13 millions d’euros un an plus tôt (à suivre).
Les négociations conventionnelles entre l'Assurance maladie et les syndicats de médecins courent jusqu'à fin février. Mais François Braun a écarté la possibilité que la consultation puisse être revalorisée jusqu'à 50 euros, contre 25 euros aujourd'hui, comme le réclament les grévistes (Les Échos).
“La création d’agences décentralisées, l’externalisation et la privatisation de l’offre de services publics sont des exemples de changements institutionnels caractéristiques. Elle a induit également des évolutions de l’emploi dans le secteur public comme la contractualisation et la rémunération liée aux performances”.
Sans leur permettre toutefois de redistribuer les bénéfices.