Tomorrowland fait valser L'Alpe d'Huez
Le contrat passé par L'Alpe d'Huez pour le festival de musique électronique Tomorrowland fait bien les affaires des organisateurs belges, pointe un rapport des magistrats financiers.
Tomorrowland, c’est une affaire qui n’a pas été reportée au lendemain, mais rondement menée. Pas tant pour L’Alpe d’Huez que pour son organisateur, la société belge TL international BVBA, propriété des frères Beers. En 2018, après deux années de négociations, la station iséroise a remporté “l’appel à projet” qui lui vaut d’accueillir chaque hiver, et pendant cinq ans, ce méga-festival de musique électronique, version hivernale de l’évènement né en Belgique en 2005 et qui peine, c’est le moins que l’on puisse dire, à s’exporter.
Aux Etats-Unis, le festival a capoté en 2015 après deux éditions organisées en joint-venture avec des industriels américains du divertissement, la société SFX, avant que cette dernière ne fasse faillite. Même topo au Brésil où après deux éditions, organisées par une filiale de SFX, le festival a mis la clé sous la porte, officiellement en raison de la situation financière du pays. En Espagne, c’est la scène de Tomorrowland qui a pris feu. Depuis, c’est rideau.
Bref, Tomorrowland, gros succès en Belgique, à Boom dans la province d’Anvers où plus de 400 000 festivaliers sont attendus chaque année, ne connait pas de lendemains qui dansent à l’étranger. En France, l’entreprise des frères Beers a néanmoins réussi à “ficeler” L’Alpe d’Huez jusqu’en 2023. “Ficelée” parce que la station de ski iséroise a bien tenté de résilier le contrat en 2020 après sa première édition quand elle s’est rendue compte, manifestement un peu tard et à la faveur du Covid, que le partenariat lui coûtait cher et que le contrat signé contenait visiblement des clauses abusives, comme souligné par les magistrats financiers.
« Ces circonstances (la Covid, ndlr) ont mis à jour les difficultés d’exécution du contrat de partenariat du 7 mai 2018 », souligne le maire dans un courrier adressé aux organisateurs et révélé dans les rapports de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la commune d’Huez et de la Sata (la société d’aménagement touristique - les remontées mécaniques pour faire simple) publiés ce 5 mai. Mais la résiliation du contrat se heurte aux clauses contractuelles. Et à la perspective d’une clause de sortie de 1 million d’euros.
Des clauses contractuelles très unilatérales. Si le partenariat créé pour Huez et la Sata des obligations assorties de pénalités, l’inverse n’est pas vrai.
Quand en 2021, l’édition sera une seconde fois annulée, à l’instigation des organisateurs cette fois, L’Alpe d’Huez est encore un peu le dindon de la farce. Certes, la subvention, fixée à 1 million d’euros, ne sera pas versée (elle avait été ramenée à 900 000 euros en 2020 avec l’annulation du festival pour être finalement fixée à 925 000 euros pour les éditions à venir) mais la commune et la Sata continuent de supporter l’ensemble des frais engagés. De l’ordre de 750 000 euros.
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La liste des avantages consentis à Tomorrowland est longue. Passons sur le fait que Huez se devait de créer des sites dédiés à la manifestation (avec plans fournis par l’architecte de l’organisateur). Qu’elle devait mettre à disposition bâtiments, hébergements (deux chalets de 8/10 personnes dont un à l’année), navettes, restauration collective (12 000 repas, 3 500 petits-déjeuners ) mais aussi une équipe de deux salariés permanents à temps plein entièrement dédiée au festival. Facture en 2019 ? 461 000 euros.
Elle devaient également s’engager à ce que 26 000 lits soient disponibles alentours. Ce qui permet de mieux comprendre la frénésie immobilière qui depuis quatre ans s’est emparée de la station et plus généralement de l’Oisans comme nous le relations dans un précédent article.
Huez était tenue de verser en sus une subvention d’un million d’euros, dont la moitié six mois avant l’événement, au terme d’un accord de partenariat que la commune n’a du reste pas pu produire devant les magistrats. Accord « sans rapport avec les marchés de partenariat au sens des dispositions du code de la commande publique », note pudiquement la CRC.
3,2 millions d’euros dépensés à L’Alpe d’Huez pour les éditions 2019 et 2020 de Tomorrowland
Au final, la note est salée. La première édition de Tomorrowland en 2019 a coûté 2,3 millions d’euros à la commune, la Sata et l’office de tourisme. En 2020, c’est 900 000 euros qui ont été dépensés… pour rien, l’édition ayant été annulée.
Soit 3,2 millions d’euros pour ces deux années. Au bas mot. Sans compter les dépenses d’occupation du domaine public ou d’autres frais comme la mise à disposition à l’année d’un logement, maintenue en 2020 et 2021. Sans compter les travaux d’aménagement de sites, point qui « n’a pas été évalué, en dépit de la demande faite à la commune d’Huez », relève la CRC.
Et à la faveur surtout de dispositions très contestables. Jusqu’en 2021, impossible pour un festivalier comme pour un skieur de faire l’un – danser – sans l’autre – skier. Les deux parties ayant signé une clause de non-concurrence et d’exclusivité, tout visiteur devait s’acquitter d’un package teuf + ski (billet+forfait). Dans le jargon, on appelle cela une vente liée. Vente forcée peut-être, puisque l’emprise du festival ne peut pas raisonnablement occuper l’ensemble du domaine skiable, l’intégralité du territoire de la commune de L’Alpe d’Huez et une partie du territoire des communes avoisinantes, dont Bourg d’Oisans.
Non seulement la pratique est interdite s’il s’avère qu’elle entrave la concurrence et la libre circulation dans l’espace public, mais elle s’est aussi traduite par un trou dans les caisses. Car la Sata n’avait pas seulement délégué la vente des forfaits de ski aux organisateurs pour la durée du festival. Elle avait également consenti un gros rabais sur les prix des billets : une réduction de 60 % qui, au final, s’est traduite par un manque à gagner de 577 000 euros ont calculé les magistrats financiers.
Alors, certes, L’Alpe d’Huez a gagné en fréquentation. Vingt-cinq mille visiteurs ont été comptabilisés en 2019 (18 000 cette année). “Sur-fréquentation” corrigent les détracteurs de l’évènement qui dénoncent une privatisation de la station de ski.
« Les engagements pris dans l’accord en matière de restrictions à la liberté de circulation et d’accès au territoire des communes sont d’une ampleur excessive dans leur périmètre et leur durée », pointe la CRC dans son rapport.
Qu’y gagne L’Alpe d’Huez et derrière la Région Auvergne Rhône-Alpes qui a alloué une subvention de 400 000 euros 1 à l’évènement ? De la notoriété ? Des retombées commerciales ? Un contrat de commercialisation de forfaits de 200 000 euros a été conclu avec un tour opérateur israélien…
Si ce nouveau dossier est révélateur, il l’est d’abord de la gestion pour le moins hasardeuse de cette station de ski qui ambitionne d’être rien de moins que le centre et le moteur du plus grand domaine skiable au monde. Après l’hôtel du Pic blanc et l’affaire Marathana, après les soubresauts du projet Duval, symbole de l’ultime fuite en avant immobilière, Tomorrowland ajoute une nouvelle page au chapitre.
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