[ Analyse ] Le groupe hospitalier mutualiste (enfin) placé sous administration provisoire
Décision très intéressante en droit, dont les répercutions sur le "groupe" Avec ne seront pas négligeables.
La 4e chambre civile du tribunal judiciaire de Grenoble a donné le 22 mai 2023 gain de cause à l’Association des usagers du groupe hospitalier mutualiste (GHM), aux syndicats FO et CGT, à la Métropole de Grenoble et la Ville de Grenoble, qui, nonobstant batailler depuis 4 ans contre les conditions dans lesquelles l’Union mutualiste de gestion du GHM a été “cédée” au groupe Avec, exigeaient sa mise sous administration provisoire. Le jugement est disponible ici.
Mise à jour le 26/05/2023: le “groupe” Avec fait appel de la décision de la 4e chambre civile. Dans un communiqué, il déclare que “la désignation, le 22 mai dernier, de deux administrateurs provisoires pour l’UMG-GHM par le tribunal judiciaire est un exemple de plus de la puissance de cette tentative coordonnée de déstabilisation qui vise uniquement à priver le Groupe AVEC de ses droits sur l’UMG-GHM.”
Est-il utile de rappeler que le “groupe'“ Avec n’existe pas et n’a aucun droit sur le GHM ? Est-il bon de préciser que la situation financière catastrophique du “groupe” Avec (voir infra) et ses près de 200 millions de dettes à court terme n’est imputable qu’à la gestion de Bernard Bensaïd, gestion qui a en outre mené à sa double mise en examen pour prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics?
Si l’élection de Paul de Rosen à la présidence du GHM en remplacement de Bernard Bensaïd, interdit de le gérer, n’est pas annulée, en revanche l’ensemble des mandats sociaux dont celui de président seront désormais exercés par deux administrateurs provisoires, ce pour une durée indéterminée au sens où c’est le tribunal qui y mettra fin à la demande d’une des parties lorsque le fonctionnement de la clinique grenobloise sera revenu à la normale.
Comme le souligne Me Damien Lordier, avocat au barreau de Nancy qui défend depuis près d’une dizaine d’années des centaines de copropriétaires face aux sociétés de Bernard Bensaïd (le PDG du “groupe” Avec qui “chapeaute” notamment le GHM) ce jugement est particulièrement intéressant et impressionnant en droit. Il fait écho à une jurisprudence de la Cour de cassation de décembre 2022.
Outre reconnaître l’urgence, la 4e chambre du tribunal judiciaire de Grenoble présidée par Nathalie Cluzel a considéré au fond (il s’agissait d’une assignation à jour fixe) que la nomination d’administrateurs provisoires s’imposait car la qualité d’employés du groupe Avec de l’ensemble des administrateurs du GHM conjuguée aux conventions de prestations de services et de prêts existantes entre le GHM et la société Avec mettait en péril la nature à but non lucratif du GHM. Or, des mandataires sociaux ne peuvent pas agir à l’encontre de l’objet social de l’entreprise dont ils sont mandataires.
Cet article revêt un intérêt public, nous le laissons donc en accès libre.
Il est le résultat d’une enquête d’une quinzaine d’épisodes parus à ce jour, un travail débuté il y a près d’un an et qui se poursuit encore. Afin de garantir sa totale liberté et son indépendance, L’Eclaireur a fait le choix de ne pas faire appel à la publicité pas plus qu’au financement participatif, ni à aucune aide publique ou privée. Nos informations, notre liberté et notre indépendance ont un coût : celui de vos abonnements.
Sortez votre tube d’Aspro, ça va être un tantinet compliqué. Il va falloir dissocier la forme de la personne morale et la nature de l’activité qu’elle exerce, ainsi que la personne morale de ses mandataires sociaux.
Une entreprise à but non lucratif, que ce soit une association ou une mutuelle, peut parfaitement avoir des activités commerciales au sens fiscal du terme. Une association à but non lucratif organisant par exemple un festival comme le Hellfest, vend des billets, poursuit une activité commerciale. Ses ventes sont assujetties à la TVA et son bénéfice d’exploitation est alors assujetti à l’impôt sur les sociétés. En revanche, son bénéfice net (après impôts) ne peut être distribué à ses membres et/ou à ses mandataires sociaux. Si un ou plusieurs de ses membres et/ou mandataires retirent directement ou indirectement des bénéfices financiers des activités (autres que des salaires si effectivement employés), alors l’association peu perdre son caractère à but non-lucratif.
Le tribunal poursuit en soulignant que la défense commune (l’utilisation du même avocat par la société Avec, les mutuelles Doctocare et Mutuelles de France de Var, le GHM et Bernard Bensaïd, ayant soumis les mêmes conclusions) interdit dans les faits au GHM, entité indépendante, de faire valoir ses propres intérêts. Etant donnée la composition du conseil d’administration du GHM, les conventions de prestations de service très larges conclues entre la société Avec et le groupe hospitalier mutualiste organisent le transfert du pouvoir décisionnaire à la société Avec.
Il appartiendra aux deux administrateurs provisoires de remettre de l’ordre au sein du GHM, y compris en s’assurant qu’il retrouve son autonomie décisionnaire vis à vis de la société Avec, éventuellement en dénonçant ou en attaquant en justice les conventions, en se portant partie civile dans les poursuites pénales dont font l’objet Bernard Bensaïd et la société Avec afin de préserver les intérêts du GHM et en recouvrant les prêts tirés sur sa trésorerie qui auraient du être remboursés le 31 décembre 2022, et qui ne le sont toujours pas. Le tribunal leur a d’ailleurs donné tout pouvoir pour ce faire.
C’est redoutable à deux titres.
Premièrement, les administrateurs provisoires pourront assigner en référé la mutuelle Doctocare, la coquille vide qui doit encore 5 millions d’euros au GHM, et faire constater qu’elle ne dispose pas des fonds pour rembourser (ce qui pourra avoir pour effet son dépôt de bilan). Puis par une procédure oblique, se retourner contre la société Avec qui fut le destinataire réel des fonds empruntés au GHM. La pyramide qu’est le groupe Avec s’effondrera alors, selon le mécanisme que nous avons précédemment décrit dans l’article ci-dessous.
Deuxièmement, la motivation principale de la décision de mettre le GHM sous administration provisoire, à savoir la perte de son statut à but non lucratif, est susceptible de s’appliquer à toutes les entités à but non lucratif du “groupe” Avec puisque l’exact même système a été mis en place dans chacune d’entre elles… Bernard Bensaïd en préside les conseils d’administration qui sont composés principalement voire uniquement d’employés du “groupe” Avec. Ont été conclues des conventions de prestation de services équivalentes à celles conclues avec le GHM, matérialisant le transfert du pouvoir décisionnaire d’entités indépendantes à but non lucratif vers une société commerciale.
Voici trois exemples que nous avons déjà détaillés.
L’association APPUI sise à Meylan
L’AMAPA, association employant près de 4 000 personnes.
Et l’Ehpad Le Val Montjoie.
Quand on considère la très mauvaise santé financière du “groupe” Avec telle que consignée dans les documents internes que nous avons publiés, il devient évident que Bernard Bensaïd est en cessation de paiement depuis un certain temps déjà. Et que son niveau de dette à court terme est tel que le seul remède à la situation est la liquidation. D’ailleurs, d’après des informations en notre possession, Bernard Bensaïd cherche à vendre les murs de 9 Ehpad, 8 dans la sphère de l’Amapa et ceux du Val Montjoie à Saint Gervais. Qui serait assez fou pour racheter ces murs connaissant la propension de Bernard Bensaïd à ne pas payer ses loyers, ses fournisseurs, ses charges sociales etc. ?
Reste à savoir quels seront les dégâts – emplois, accès aux soins, dettes laissées à la collectivité – occasionnés par l’inévitable dépôt de bilan du “groupe” Avec. Contrairement à ce qui se dit, il n’est pas “too big to fail”, trop gros pour faire faillite. L’ensemble de ses activités à but non lucratif bénéficient de subventions publiques découlant d’agréments (aide à domicile, Ehpad) ou sont financés au titre de l’accomplissement de missions de service public (Espic). Elles peuvent également être mises sous administration provisoire. La continuité de leurs activités ne sera pas dans un premier temps menacée.
Bernard Bensaïd peut interjeter appel du jugement exécutoire de mise sous administration provisoire du GHM en cherchant à démontrer qu’il s’agit d’une mesure excessive. Peu probable que cela aboutisse, puisque c’est pour remédier à une gouvernance qui a conduit à ce qu’une société commerciale gère de fait un Espic - c’est illégal - que les administrateurs provisoires ont été nommés.
Si ce jugement arrive jusqu’en cassation et n’est pas cassé, il fera jurisprudence pour toute société commerciale contrôlant des entités à but non lucratif. Le champ d’application est immense. Outre la sphère parapublique, associative et mutualiste, il pourrait également concerner les fondations, souvent des usines à défiscaliser, qu’elles soient philanthropiques, artistiques, scientifiques etc.