Tentatives de recrutement de Syriens en France (premier volet)
De jeunes Syriens effectuant leurs études en France ont fait l'objet de bien curieuses tentatives de recrutement par des "services", juste avant les Printemps arabes.
Revenons en 2011. Les Printemps arabes furent une catastrophe. Ils ont provoqué des guerres sanglantes – Libye, Syrie, Yémen et Sahel – et sans issues. Ils ont renforcé des régimes “autoritaires”. N’oublions pas non plus la crise migratoire qui, en 2015, permit à Angela Merkel d’ouvrir unilatéralement à la demande du patronat d’outre-Rhin toutes grandes les frontières de l’Union européenne alors que l’Allemagne n’est la gardienne d’aucune. On constate le résultat de cette politique imposée aux vingt-six autres pays de l’UE et dont l’Allemagne aujourd’hui tente de se laver les mains.
Les Printemps arabes ? Une opération de déstabilisation de l’ensemble du monde arabo-musulman voulue par les néoconservateurs américains embourbés en Irak et en Afghanistan, où leur “surge”, leur montée en puissance militaire, venait d’échouer par deux fois. Nous devons les Printemps arabes à Barack Obama, un président des Etats-Unis aussi nocif que Joe Biden et George W. Bush.
Une opération de déstabilisation à l’échelle de près de la moitié d’un continent se planifie des années à l’avance. Il faut construire l’infrastructure financière et logistique (ONG, média, partis politiques etc.), travailler des sources dans les appareils d’Etat, les universités, la société civile et les milieux économiques, recruter et former des opérateurs locaux, s’assurer d’avoir les équipes idoines sur place pour garantir la coordination une fois le coup parti, etc.
L’Eclaireur a fait le choix de ne pas recourir à la publicité, au financement participatif ni à aucune subvention, publique comme privée. Vos abonnements sont la seule garantie et le prix de notre indépendance et de notre liberté.
Les Printemps arabes marquèrent la première utilisation à grande échelle des réseaux sociaux et des messageries chiffrées à des fins de subversion politique, ce qui explique la sainte terreur qui étreint aujourd’hui les pouvoirs en place en Occident de voir ces mêmes outils être utilisés contre eux. Relire l’excellent dossier de Jacob Siegel, un ancien du renseignement militaire américain, paru dans Tablet Magazine et que nous avons traduit.
Cette opération de déstabilisation du monde arabo-musulman fut exécutée avec l’assistance active de certains alliés des USA, Israël, Royaume Uni et Allemagne en tête. Son objectif était de mettre au pouvoir des “islamistes modérés” (ne riez pas) dans la plupart des pays majoritairement sunnites hors monarchies du Golfe afin de contrer la montée en puissance de l’arc chiite, conséquence directe de l’invasion américaine illégale de l’Irak en 2003. La France a malheureusement suivi cette fois-ci.
Nos '“amis” allemands ont toujours soutenu les frères musulmans depuis leur fondation (1928) ainsi que les salafistes de tous poils (comme ils n’ont jamais cessé de soutenir les bandéristes en Ukraine depuis le début des années 1920 jusqu’à nos jours), ce afin de fissurer les empires coloniaux anglais et français et, après la décolonisation, réduire l’influence de la France et du Royaume Uni. La République fédérale d’Allemagne ne fut-elle pas le premier fournisseur d’armes du FNL durant la guerre d’Algérie ? Objectifs parfaitement alignés sur ceux des Etats-Unis.
En ce qui concerne la Syrie, ce qui faisait trembler les néocons américains et leurs clones européens était le programme d’armes chimiques syrien, bien réel contrairement à l’irakien en 2003. On se demande bien qui a fourni les précurseurs dès les années 1950. L’Allemagne ? Ne soyons pas mauvaise langue.
Un gros écueil puisque la valeur dissuasive de ce programme interdisait toute implication militaire occidentale directe, qu’elle soit secrète ou officielle. Dès que Vladimir Poutine eut convaincu Bachar Al Assad de remettre l’ensemble de son arsenal chimique à l’ONU pour destruction, on vit immédiatement des troupes américaines sur le terrain, ce qui à son tour provoqua l’intervention russe en Syrie en 2015…
Le Monde expliquait en 2017 que dans le cadre de l’opération conjointe “Ratafia” visant à circonscrire le programme d’armes chimique syrien, le Mossad aurait tenté d’infiltrer dès 2010 le contre-espionnage français (à l’époque la DCRI devenue la DGSI en 2014). Suite à son livre paru en 2019 “Les guerres de l'ombre de la DGSI” traitant notamment de l’opération Ratafia, le journaliste Alex Jordanov a reçu les honneurs de la République sous la forme d’une garde à vue façon terroriste et de poursuites pénales inédites pour un journaliste en France.
Bien évidemment, les tentatives de recrutement sur le sol français d’étudiants syriens sont antérieures à 2010, à l’opération Ratafia.
L’histoire que nous allons vous rapporter est celle de M. X. Brillant informaticien, ce jeune Syrien a bénéficié d’une des dix bourses proposées par l’Etat de manière concurrentielle afin de poursuivre ses études en France. Il y a obtenu un master puis un doctorat dans une grande école d’ingénieur.
Arrivé en France en octobre 2008, il a été “tamponné” dès janvier 2009. Le secrétariat de son master à l’université Lyon 2 l’a informé qu’un ressortissant koweïti du nom de Samir Rahal1 souhaitait s’entretenir avec lui car son fils allait faire ses études en France.
Première question : comment ce Samir Rahal a-t-il su que M. X étudiait à Lyon 2 dans ce département précis et pourquoi a-t-il spécifiquement demandé à lui parler sans toutefois contacter lui même l’université ?
Deuxième question : pourquoi le numéro donné par Samir Rahal est-il un numéro de portable belge ? Là, nous avons la réponse. Il s’agit d’un numéro de portable prépayé. A l’époque en Belgique, il suffisait d’acheter en liquide dans n’importe quel supermarché ou épicerie une carte SIM sans qu’aucun justificatif d’identité ne vous soit demandé. Un numéro de téléphone parfaitement anonyme fonctionnant à l’étranger, du pain béni pour les espions (d’Etat comme privés), criminels et terroristes en tous genres. De tels numéros ont été utilisés pour la planification des attentats du Stade de France et du Bataclan. Ce n’est qu’après 2015 que la Belgique a interdit la vente de carte SIM sans justificatif d’identité et/ou de domicile.
Bonne pâte et politesse moyenne-orientale oblige, M. X appelle et rencontre à plusieurs reprises Samir Rahal, qui lui déclare être un marchand de biens travaillant pour le compte de riches personnes des pays du Golfe.
Troisième question : pourquoi donc un Koweïti parlerait-il l’arabe libanais (à moins d’être libanais ou de ne connaître que l’arabe libanais) ?
Samir Rahal présente à M.X un de ses amis, Damien Vantaincour (se faisant également appeler Henri ou Patrick Huver), se prétendant français et senior project manager dans une société d’informatique, Honey Bird Business Knowledge Consulting, sise 26 bd Royal, 2449 Luxembourg. Ce Damien Vantaincour utilisait également un numéro de portable prépayé belge, +32 494 633 448. Etonnant pour quelqu’un qui prétend vivre au Luxembourg.
Aucune trace d’un Damien Vantaincour et d’un Patrick Huver au Grand Duché. Pas plus qu’il n’y a de trace de la société Honey Bird Business Knowledge Consulting au 26, bd Royal dans la bonne ville de Luxembourg et au registre du commerce. Même chose pour le nom de domaine hbbizk.com, qui n’existe pas. En revanche on trouve au 26 bd Royal un centre d’affaires Regus qui propose notamment des services de permanence téléphonique et de boîte postale à qui paie pour.
De rendez-vous en rendez-vous (dont un à Brest) organisés dans le plus pur “tradecraft” de la guerre froide, la proposition finit par tomber. MM. Rahal et Vantaincour offrent à M. X de lui payer la location d’un appartement pour une valeur de 1200 euros mensuels, de financer sa thèse de doctorat et de lui garantir un “emploi à distance” le jour où il retourne en Syrie. Investissement de long terme puisque M. X n’était alors qu’un simple étudiant en master. En échange, il devra s’attacher à recruter des scientifiques syriens de haut niveau. A compter de ce moment là, M. X n’a eu affaire qu’à Damien Vantaincour, sauf quand sa réticence à collaborer fut patente, où Samir Rahal l’a rappelé.
Lors d’un déjeuner à Paris à l’Ambassador Hotel (le Mariott Ambassador Hotel Opéra) boulevard Hausmann, M.X a demandé à prendre une photo avec Damien Vaintancour, qui a décliné.
Tout cela mettrait la puce à l’oreille du plus grand des naïfs. Se doutant d’à qui il avait affaire et ayant pris finalement conscience des conséquences funestes qu’accepter la proposition de MM. Rahal et Vantaincour était susceptible d’avoir pour lui comme pour sa famille en France comme en Syrie, M.X refusa poliment l’offre de collaboration.
Mais les compères Rahal et Vantaincour ne l’entendirent pas de cette oreille et insistèrent jusqu’à ce que M X se sentit dans l’obligation de mettre les points sur les i en septembre 2009, neuf mois après la première approche effectuée par Samir Rahal. Les appels cessèrent quand il menaça d‘en référer à la police.
Fin des années 2000, la lune de miel entre Nicolas Sarkozy et certains régimes arabes auparavant infréquentables - Libye et Syrie entres autres - battait son plein. Rappelez-vous de la tente bédouine de Kadhafi plantée dans les jardins de l’hôtel de Marigny en 2007 et de l’invitation officielle de Bachar Al Assad aux manifestations du 14 juillet en 2008.
M. X a clairement fait l’objet d’une tentative de recrutement par un ou plusieurs services de renseignement. Le(s)quel(s) ?
Nous disposons de suffisamment d’éléments pour pouvoir affirmer qu’il ne s’agit pas de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui au demeurant ne commettrait pas l’impair de faire se présenter comme koweïti à un Syrien un officier traitant parlant l’arabe libanais. Autant tenter de faire passer pour marseillais une personne s’exprimant avec l’accent bruxellois. A la Piscine – la DGSE – on sait construire des légendes.
Que le Mossad commette la même erreur est également peu vraisemblable, même si le service israélien est loin d’être aussi bon qu’on le dit. S’agissant de la Syrie, Israël est un “usual suspect”. Même si “sous-traiter” – c’est à dire laisser un service étranger opérer illégalement en France sous condition de partage du renseignement – est possible, rien dans cette affaire ne vient le corroborer. Mais nous ne saurons jamais qui navigue à l’arrière plan.
Si nous posons l’hypothèse d’un service étranger, de tels gros sabots et cette propension à dégainer très vite le carnet de chèque pointent vers la CIA. Donner rendez-vous pour déjeuner de 14 à 17 heures dans un hôtel Marriott quatre étoiles bd Hausmann? La station de la CIA à Paris est située à deux pas, également bd Hausmann.
La CIA dispose de moyens quasi-illimités mais son rendement réel est somme toute faible vu les fonds engagés. Peu d’Européens ont idée de la lourdeur bureaucratique de l’agence de renseignement états-unienne. Tout est y procédurisé jusqu’au moindre détail, il y a des manuels pour tout et n’importe quoi, ce qui la rend aisément prévisible pour qui connaît son modus operandi – dont l’utilisation des hôtels Marriott de partout dans le monde pour des rendez-vous clandestins. La centrale américaine en possède les plans, pratique question sécurité mais peu discret.
Si nous posons l’hypothèse d’un service français, alors cela serait plutôt la Direction centrale du renseignement intérieur (devenue DGSI en 2014), dont la création date du 1er juillet 2008 par fusion de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST). D’autant que la DCRI avait parmi ses compétences judiciaires exclusives, compétences qu’a conservées la DGSI, la lutte contre les armes de destruction massive. M. X étudiait en France. Quel besoin aurait eu la sécurité intérieure de monter une telle mascarade façon Le Troisième Homme ?
Quoiqu’il en soit, le refus de M. X de rentrer dans la danse allait lui valoir des déboires et un harcèlement administratif tels que l’Etat français – le ministère de l’intérieur pour être précis – est forcément impliqué, d’une manière ou d’une autre.
Quant à savoir s’il s’agit de représailles pour son refus de coopérer ou bien de l’actionnement légitime du contre-espionnage français parce que M. X a eu des contacts répétés au moins six mois durant avec des services étrangers, c’est une autre histoire.
Et c’est celle que nous allons tenter de vous relater dans le prochain volet de notre enquête.
Adresse email samirrahal@safatmail.com, nom de domaine inexistant.